3.2. Rapport Monteil (juin 1999)

Contemporain du rapport BANCEL, celui-ci se propose d’examiner la question de l’évaluation des enseignants. Nous l’avons retenu car les outils et les modes évaluatifs dont se dote l’institution pour mesurer la qualité de l’activité de ses agents traduisent, sans prétendre couvrir l’intégralité du champ complexe du travail enseignant, des attentes et des normes explicites ou implicites qui influent nécessairement sur la conception que chacun se fait de sa tâche.

Ce rapport est composé de cinq parties développées en 9 pages 98 . Un avant-propos en resitue l’objet (p. 1). La première partie du compte-rendu dresse des constats relatifs au statut de l’évaluation, aux spécificités des modalités de mesure des compétences des enseignants et aux rituels et représentations qu’elles engendrent (pp. 1-3). Puis, le rapporteur envisage les conditions d’une évolution des critères de mesure de la pratique professionnelle des enseignants (pp. 3-5), après quoi il énonce trois propositions « liées », qui viseraient à enrichir les procédures traditionnelles (pp. 5-9). Enfin, la conclusion rappelle quelles préoccupations ont nourri la formulation des propositions du rapport (pp. 9-10). Nous ne disposons pas d’indications relatives aux modalités d’élaboration des propositions (groupe de travail ou rapporteur autonome, sources consultées…).

Nous soulignons tout d’abord que les procédures traditionnelles d’inspection, destinées à statuer sur la qualité de l’enseignement (aspects didactiques et pédagogiques) et impliquant un face-à-face enseignant-inspecteur, sont, selon les termes du rapporteur, « plus proches d’un rituel pédagogique en voie de sécularisation que d’une démarche pour repérer et apprécier les performances et des compétences. » ; ce rituel est lui-même soumis aux limites reconnues d’une évaluation à caractère institutionnel, de type plus normatif que formatif donc, et aux effets induits par ce type de procédure. La mise en garde émise dans cette première partie n’équivaut cependant pas à une remise en cause du principe d’évaluation de l’activité enseignante qui, quelles qu’en soient les modalités, demeure indispensable à la régulation administrative et pédagogique propre à l’institution scolaire.

Retenons la nécessité d’une reconsidération du mode de prise en compte des démarches didactiques et pédagogiques élaborées et mises en œuvre. Nous pensons, avec le rapporteur, que le caractère parfois aléatoire des jugements portés sur un travail complexe, de longue haleine, et l’importance, pour l’avancement et la carrière, de la note attachée à la visite ponctuelle de l’inspecteur peuvent amener les professeurs à adopter, durablement et par pragmatisme, une posture empreinte de conformisme prudent ou d’imitation résignée, tant les initiatives novatrices et les investissements pédagogiques militants sont perçus comme peu rémunérateurs, mal reconnus au plan institutionnel, voire générateurs de critiques de la part de collègues (BARRERE, 2002 99 ). Dans ce registre, on distinguerait en matière de temps de travail en dehors de la présence des élèves, ce qui s’impose à tous les enseignants et se traduit dans le cahier des charges de l’inspection rituelle (préparation d’une séquence dans le cadre du programme et des instructions officielles, correction des travaux afférents), et, par ailleurs, ce qui n’est pas directement pris en compte dans cette vérification institutionnelle 100  : les autres activités transversales ou disciplinaires qui concourent pourtant à la prise en charge globale des élèves dans leurs apprentissages et leur éducation. On peut par exemple, dans le respect des orientations de l’Education nationale, citer les modules, l’aide individualisée en classe de Seconde, les études dirigées et les parcours pédagogiques diversifiés. Plus largement, on fera référence aux textes définissant la mission du professeur 101 .

Des propositions que contient le rapport (pp. 5-8), nous retenons, en substance, les points suivants :

La production d’un rapport triennal aurait, nous le pensons, une influence sur la manière dont les enseignants envisagent leur activité professionnelle, et sur leur conception de cette activité dans le temps. Sa rédaction constituerait, incontestablement, une tâche de longue haleine, qui susciterait sans doute des modifications dans l’organisation temporelle des activités enseignantes : tenue d’un journal afin de recueillir, avec régularité, les observations et éléments d’analyse propres à nourrir, à terme, le rapport d’activité, synthèse intermédiaire des éléments retenus, rédaction partielle, échanges avec des pairs pour éclairer ou valider tel ou tel point.

Ces tâches prendraient une densité d’autant plus forte qu’elles pourraient couvrir, c’est la proposition du rapporteur, plusieurs champs d’activité ; l’instruction, qui « en fournirait le thème principal », et, « éventuellement 103  », indique le rédacteur, l’éducation et l’administration.

La destination ultime du rapport triennal pourrait également conférer à cette activité de production une place non négligeable dans les préoccupations professionnelles des enseignants ; ce document, dit le rapporteur, « serait à considérer comme une contribution à une réflexion collective sur la discipline et les situations pédagogiques pour la définition et le suivi des projets d’enseignement », il se révélerait utile « pour faire évoluer les dispositifs éducatifs des établissements », et « serait susceptible d’apporter de précieux éclairages pour l’organisation pédagogique et sociale qui structure une part significative des projets d’établissements. » (p. 5). Enfin, et ce ne serait pas le moins impliquant pour chaque enseignant, ce « rapport constituerait la base d’un entretien ouvert et approfondi avec le professeur qui associerait les inspecteurs concernés et le chef de l’établissement. 104  »

‘La seconde des propositions que nous avons mentionnées pourrait, moins directement il est vrai, modifier, dans l’organisation de ses tâches, les préoccupations de chaque enseignant. Le poids de la didactique de sa propre discipline, prioritairement pris en compte dans une démarche traditionnelle, se verrait équilibré par un souci de transversalité 105 plus propice à l’amélioration des pratiques pédagogiques. Cette option, une fois validée, pourrait juguler la propension que manifestent beaucoup d’enseignants à s’isoler dans la redoute de leur discipline et qui les amène, dans les cas les plus radicaux, à rejeter les approches pédagogiques jugées non disciplinaires, voire même anti-disciplinaires. Enfin, nous voulons le souligner, procéder de cette manière nouvelle favoriserait la prise en compte statutaire d’activités apparues au cours de la dernière décennie 106 , qui n’ont pas été assorties de modes d’évaluation professionnelle clairs, ce qui a sans doute nui à la considération que les enseignants ont pu leur accorder.’

Troisième proposition, la prise en compte, pour les professeurs en début de carrière, de conditions spécifiques d’évaluation et la proposition d’un tutorat par des pairs de leur discipline, « eux-mêmes animés par les corps d’inspection. » (p. 7), appellent plusieurs remarques. Notons tout d’abord que ce dispositif vise à diminuer plusieurs effets pervers inhérents aux conditions de mise en premier poste ; l’isolement relatif dans lequel peuvent se trouver de jeunes enseignants frais émoulus de l’I.U.F.M. et nommés au hasard des postes disponibles, et, dans la hâte qu’ils ont à répondre précisément aux exigences de l’enseignement de leur discipline, un investissement lourd dans la préparation scrupuleuse des séquences didactiques et dans les corrections afférentes. Ces deux facteurs, à eux seuls, peuvent générer un mode de travail qui éloignerait certains jeunes praticiens de toute pratique collective, sans garantie de bénéfice pour leur efficacité professionnelle individuelle. Aménager cette entrée dans la carrière, selon les termes de la proposition du rapport MONTEIL, ne permettrait-il pas une saine émulation par le contact ainsi établi avec un collègue, dans la continuité de ce qui a été vécu en deuxième année de formation initiale ? Modifier les conditions des deux premières inspections n’aurait-il pas pour effet d’installer le travail du néophyte dans la durée, pour mieux l’autoriser, avec l’aide de son tuteur, à faire valoir les acquis de sa pratique, après les avoir régulièrement jaugés avec le recul critique indispensable, le préparant ainsi à mieux comprendre où se situent ses besoins en matière de formation ? C’est ce qu’escompte le rapporteur, nous semble-t-il.

Parallèlement à cette amélioration éventuelle de la situation des professeurs débutants, il n’est pas sans conséquence que certains de leurs aînés, en nombre croissant si l’on veut bien considérer les nécessités du recrutement dans les prochaines années, accèdent à une fonction intermédiaire qui « réclamerait, pour les enseignants qui l’assumeraient, la mise en place d’un allégement de service. »

Enfin, et c’est la quatrième proposition que nous examinerons, on suggère la création d’un conseil des études qui devrait, selon les termes du rapporteur, favoriser « les conditions d’une mise en oeuvre collective d’actions et de projets pédagogiques disciplinaires et multidisciplinaires d’établissement. » En l’absence d’un descriptif plus précis de ce type d’instance, nous relevons qu’elle serait destinée à « retenir » et « exploiter » les données issues des rapports d’activité produits par les enseignants, « au service de projets collectifs disciplinaires et liées à la vie de leurs classes, à la réalité des programmes et à celle de leur mise en oeuvre. » Cette orientation résolue vers la réflexion et l’action collectives favoriserait la création d’un « patrimoine d’expertises 107 , didactiques et pédagogiques ».

La transparence prônée par le rapporteur, et l’analyse outillée des pratiques individuelles et collectives qu’elle présuppose seraient, immanquablement, de nature à modifier l’équilibre traditionnel qui lie le temps de service individuel et le temps de travail personnel hors de la classe. La relative méconnaissance, au plan collectif, du contenu du premier et l’absence de mesures administratives fiables, et de partage entre pairs à propos de ce qui donne sens et dynamique au second pourraient, selon les préconisations du rapport MONTEIL, laisser place à une pratique plus ouverte et, dans le meilleur des cas, singulièrement plus fructueuse pour la communauté scolaire.

Notes
98.

10 pages sur la version électronique disponible sur le site du Ministère, mais 9 annoncées dans le rapport lui-même.

99.

BARRERE, A., op. cit.

100.

Il est vrai que la notation pédagogique issue de l’inspection est tempérée, du moins en théorie, par la notation administrative qui est censée évaluer divers aspects du comportement professionnel de l’enseignant au sein de l’établissement.

101.

Plus particulièrement, la circulaire n° 97, du 23 mai 1997, publiée au Bulletin Officiel n° 22, du 29 mai 1997, pp. 1571-1576.

102.

S’agirait-il d’une catégorie qui puiserait dans le vivier des professeurs conseillers pédagogiques qui interviennent dans la formation initiale ?

103.

Cet adverbe est une marque, à nos yeux, de la circonspection dont le rédacteur fait preuve lorsqu’il envisage la prise en compte de champs qui ne relèvent pas strictement de l’instruction. Nous notons que ce caractère optionnel apparaît, sous le terme « éventuel « ou ses dérivés à quatre reprises (page 5), en lien avec les thèmes « éducation » et « administration ». La mission du professeur, délimitée dans la circulaire n° 97 du 23 mai 1997, est plus affirmative en ce qui concerne l’investissement attendu de l’enseignant dans la vie de l’établissement.

104.

Cette formule recouvre probablement une procédure nouvelle d’évaluation de l’activité enseignante. Les adjectifs « ouvert » et « approfondi » ouvrent, à eux seuls, des perspectives renouvelées par rapport à la classique inspection.

105.

Le rapporteur ne parle pas, ici, de transdisciplinarité. Nous remarquons que selon les appariements entre les disciplines de rattachement des inspecteurs associés à la visite, on aurait affaire à plusieurs combinaisons possibles, aux effets probablement différents selon les cas. En outre, l’existence d’un culture commune des inspecteurs pour ce qui relève d’un champ pédagogique transversal serait un élément déterminant de la réussite d’un telle démarche.

106.

On peut mentionner, pour le collège, les études dirigées, les parcours pédagogiques diversifiés puis travaux croisés, les classes à PAC, et pour le lycée, les modules en classes de seconde et première (mathématiques, français, LV1, histoire et géographie), l’aide individualisée en classe de seconde (mathématique et français), les travaux personnels encadrés (bi-disciplinaires), en première et terminale, les projets personnels à caractère professionnels (PPCP), l’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) sur l’ensemble du second cycle.

107.

Le choix de ce substantif est illustratif de la conception de l’enseignant comme expert dans son champ disciplinaire et dans les modalités pédagogiques qui s’y rattachent plus particulièrement ; cependant, sous réserve de doter le conseil des études d’une fonction scientifique autant que pédagogique (rapport BANCEL, 1999), on devrait peut être préférer le terme de « patrimoine d’expériences ».