3.5. Rapport Belloubet - Frier (mars 2002)

Ce document de 76 pages, élaboré entre décembre 2001 et mars 2002, a l’ambition de proposer des voies de rénovation du lycée et des ses filières, propres à répondre à un double objectif à dix ans : permettre à deux tiers des élèves de poursuivre leurs études d’un niveau V vers un niveau IV, ce qui doit garantir à la moitié d’une génération l’obtention d’un diplôme d’enseignement supérieur. Les raisons qui ont motivé ce travail sont essentiellement dues à deux constats : la proportion des lauréats du baccalauréat stagne depuis plusieurs années, et se stabilise actuellement autour de 62 % d’une génération (alors qu’elle avait doublé entre 1980 et 1994) ; 52,5 % seulement des lauréats sont issus des séries générales, ce qui empêche l’accès immédiat dans l’enseignement supérieur de progresser.

Face à ces constats, les besoins de qualification et le souci de promotion sociale ne pourront être satisfaits dans les prochaines années. Le rapport se caractérise donc par la préoccupation d’adapter le système de formation à la demande sociale et aux exigences du monde économique.

La mission, réunie à six reprises, était composée de douze personnalités exclusivement membres de l’Education nationale. Notre recherche nous amène à nous concentrer sur la deuxième partie du rapport, consacrée (pp. 57-63) à l’adaptation des missions des enseignants « aux exigences d’une école républicaine » (propositions 24, 25, 26 122 ) ; pour compléter cette analyse, nous ferons un commentaire particulier sur la page 44 relative à la durée annuelle de l’enseignement en lycée.

Selon le rapporteur, trois raisons majeures plaident en faveur d’un urgente redéfinition de la profession enseignante : l’évolution des savoirs, la transformation rapide des vecteurs de communication et de transmission des connaissances, et la « mutation » des publics scolaires. Face aux impératifs que font peser sur l’institution scolaire ces trois facteurs, la mission constate que l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants est entravée par plusieurs contraintes de natures différentes. Les élèves ne maîtrisent pas les méthodes de travail qui leur permettraient de faire face aux spécificités du lycée, et il existe « un cloisonnement persistant entre collège et lycée », source de méconnaissance ou d’impréparation d’un cycle à l’autre. Les modes d’enseignement, les procédures d’évaluation et d’orientation demeurent traditionnels et peu adaptés aux populations qui rejoignent aujourd’hui le lycée. Enfin, la formation initiale gagnerait à être suivie d’une phase d’accompagnement lors de l’entrée dans la profession, et à être plus systématiquement enrichie par des stages réguliers en formation continue.

En réponse à ces défis, les propositions contenues dans le rapport sont d’une grande netteté dans l’inflexion à laquelle elles invitent, et dans le type des mesures qu’elles préconisent. Ainsi, la proposition 24 souligne les fréquentes difficultés éprouvées par les enseignants des lycées dans diverses dimensions de leur activité. S’agissant de l’enseignement à proprement parler, on déplore qu’il soit « fondé sur l’abstraction et la méthode déductive » et que les exigences posées soient peu accessibles à la majorité des élèves. Pour ce qui est de l’orientation, et des critères d’évaluation censés en éclairer les choix, des insuffisances sont stigmatisées. Quant à la facilité que procure la possibilité de dédoublement de groupes jugés trop lourds, on en signale les limites sur un plan pédagogique.

Si l’on admet la validité de ce constat, le renouvellement des pratiques pédagogiques est impérieux, on en conviendra logiquement ; la proposition 25 contient des suggestions en ce sens. La formation des maîtres, initiale et continue, doit assurer l’acquisition de démarches et méthodes diversifiées indispensables à la prise en charge de publics hétérogènes. L’université constitue le cadre légitime de ces formations, l’administration doit en garantir l’adaptation aux situations individuelles, mais aussi leur suivi plus systématique.

La proposition 26 préconise la réécriture des missions des enseignants, sous une forme plus impérative qui consacrerait la pluralité des tâches qu’ils doivent assumer. Des modifications substantielles pourraient, en outre, être apportées à la définition de leurs services. La traduction en heures intégrées dans ce service des missions à accomplir, et le rééquilibrage des activités que cela entraînerait pourraient durablement modifier leurs conceptions professionnelles, c’est du moins ce que l’on semble escompter.

Les trois propositions forment un ensemble qui, à des degrés divers, peut se révéler source de questionnement quant au cadre de travail des professeurs du second cycle du secondaire. Sur le plan de l’identité enseignante, si l’on réaffirme l’exigence d’« un haut niveau de compétences disciplinaires » (proposition 26), on souligne la nécessité d’une articulation de celles-ci avec d’autres, tout aussi indispensables. On confirme ainsi la diversification du travail, et la modification inéluctable du cadre temporel qui le régit depuis plusieurs décennies. Nous pensons que cette prise en compte effective des tâches est indispensable. Le respect de 18 heures de service, et l’affectation adéquate des types d’heures selon les activités (cours, pilotage de projets, conseil, concertation) peuvent rendre plus lisibles, et légitimes, les activités dont il est question. Les heures effectuées en dehors de la classe seraient plus commodément inscrites sur des plages communes à plusieurs enseignants, ce qui faciliterait théoriquement la coopération.

Il resterait à établir la correspondance entre une heure de cours, qui est assortie, théoriquement, d’un temps de préparation et de correction, et une heure d’activité nouvelle, qui n’impliquerait pas toujours le même type d’investissement. L’annualisation de tout ou partie du temps de service aurait deux avantages : elle permettrait de respecter le rythme d’activités diversifiées qui ne s’inscrivent pas dans la grille hebdomadaire, et elle favoriserait l’assouplissement des modalités d’enseignement (propositions 17, 18, 19). Cette volonté d’annualiser les services des enseignants exigerait que l’on prît la peine d’évaluer avec plus de précision le nombre de semaines de travail 123 .

En outre, et cela constitue un écueil non négligeable, de telles mutations n’entraîneraient sans doute pas les mêmes effets sur des populations d’enseignants selon l’ancienneté des cohortes considérées, la discipline enseignée et le type d’établissement d’exercice, la catégorie. Le renoncement à un type de fonctionnement et d’image de son métier, la compréhension, l’acceptation de pratiques nouvelles, plus collectives, plus pragmatiques, méritent, c’est notre hypothèse, d’être considérées comme des phénomènes significatifs du processus de changement ; l’accompagnement des individus et des groupes, que ce soit en formation initiale, continuée ou continue, constituerait donc un facteur de réussite pour l’institution dans son ensemble.

L’ampleur du changement esquissé par la mission Belloubet - Frier serait considérable s’il devait advenir selon les termes contenus dans le rapport. L’autonomie des enseignants ne serait pas nécessairement mise en cause, elle trouverait son espace de réaffirmation dans des champs moins traditionnels que l’enseignement frontal et solitaire, et selon des processus de décision plus concertés avec les pairs. En revanche, germe d’une contestation potentielle, l’indépendance de chacun, actuellement traduite dans un emploi du temps individuel et dans un travail souvent effectué dans l’espace privé, serait profondément questionnée.

Une réserve doit être exprimée, nous semble-t-il, non sur les propositions mais sur la manière dont sont formulés les attendus qui ont permis de poser un diagnostic alarmant sur la situation du système de formation en lycée. L’école doit, c’est incontestable, répondre à des besoins économiques aussi bien qu’à des aspirations sociales, mais peut-elle le faire, en toutes circonstances, sans perdre de vue son rôle de formation de l’esprit critique, du jugement, et sans réaffirmer le primat de la formation intellectuelle gratuite sur une nécessaire formation utilitaire ? Comment maintenir cet équilibre précaire dans une période de fort accroissement des publics scolarisés ? Par ailleurs, le constat de carences méthodologiques et cognitives à l’entrée en lycée suggère une alternative : soit, comme le préconise le rapport, il reste à adapter le contenu et les modalités de la formation dans le second cycle du secondaire ; soit, ce n’est pas antinomique, on cherche à mieux comprendre les raisons qui expliquent ces déficiences. Cette question n’est pas sans intérêt si l’on veut bien considérer que la pratique enseignante en collège a déjà évolué, dans de nombreux domaines et sous l’impulsion de réformes de fond ; les effets attendus ont-ils eu lieu ?

Pour ce qui relève de la conception de la professionnalité enseignante, il nous semble que, dans le rapport, cette dernière soit considérée prioritairement sous son angle adaptatif : l’enseignant reçoit des missions qui peuvent évoluer substantiellement et qui doivent l’amener à renouveler ses pratiques au profit d’élèves engagés dans un cursus long. On note également que le corps enseignant est surtout caractérisé par son conservatisme : les méthodes sont trop traditionnelles et il existe un manque d’appétence pour la formation professionnelle continue.

Notes
122.

Comme précisé dans le titre, 30 propositions sont contenues dans le rapport.

123.

Le rapporteur signale cette ambiguïté en soulignant que sur 36 semaines théoriques de « temps lycéen », on n’effectue que trente et une, « voire trente semaines de cours » (p. 44). Ce calcul a bien entendu des incidences sur la question du temps de service des enseignants, même en prenant en compte la participation aux jurys d’examen.