3.6. Rapport de la commission Thélot

Compte tenu de la mission dévolue à la commission présidée par Claude THELOT, et de son mode de travail particulier, ce rapport revêt un caractère spécifique qui le différencie des cinq documents que nous avons précédemment étudiés. D’autre part, l’étendue et la diversité des champs couverts par les travaux de la commission nous amèneront à ne pas conserver le même type de présentation que pour les autres rapports. En outre, le caractère synthétique du contenu nous interdit de procéder à une analyse détaillée de ce document, comme nous l’avons fait pour les autres.

Nous nous contenterons d’une mise en évidence des points les plus saillants de l’argumentaire qui sous-tend les propositions du dossier, en nous focalisant sur le chapitre relatif aux questions liées au métier d’enseignant 124  ; il s’agit du chapitre 6 de la seconde partie du rapport qui en contient 8, intitulé : «  Dans l’équipe éducative, redéfinir le métier d’enseignant . », où il y est précisé que cette réflexion est à mettre en relation avec les préconisations contenues dans les chapitres 1, 2 et 3 du rapport, dont les titres sont, respectivement :

  1. La scolarité obligatoire : s’assurer que chaque élève maîtrise le socle commun des indispensables et trouve sa voie de réussite.
  2. Repenser la définition et l’équilibre des voies de formation en lycée.
  3. Aider les élèves à construire un projet éclairé et le respecter le mieux possible.

Nous comprenons donc que c’est bien en fonction des priorités qui ont retenu l’attention des membres de la commission que ces derniers en ont tiré les conséquences en ce qui concerne la fonction enseignante. En cohérence avec cette démarche, ils ont donc été amenés à partir du cadre réglementaire 125 , tel qu’il se présentait au moment de l’élaboration du document, à en décliner les conséquences sur les exigences qu’il incombe à chaque professeur de respecter dans le cadre de son travail. Sont ainsi mentionnés, p. 108 :

Ces points sont étroitement liés et, par la trame ainsi constituée, ils fournissent un faisceau d’arguments convergents, qui concourt à la réfutation de certaines positions traditionnelles en matière de travail enseignant.

A ce propos, le rappel du sens attaché à son statut d’agent de l’Etat (a) impose que le professeur se préoccupe de tous les élèves (e), par rapport à leur situation présente et à leur avenir, quel que soit le degré auquel il enseigne (b). Cette préoccupation, qui traduit le respect du principe d’égalité promu par la République et du souci de l’équité qu’inspire l’esprit démocratique (a), ne saurait être confinée au seul registre de l’instruction (c). En effet, aux yeux des rapporteurs, cela limiterait singulièrement la portée de l’aide apportée aux élèves, à chaque élève (e), et serait peu propice à la prise en compte d’avis différents et complémentaires (c, e) susceptibles de mieux étayer la décision finale.

Sous cet angle, la question de la définition du service (d) est donc cruciale : il est indiqué que « son service recouvre l’ensemble des activités scolaires des élèves », ce qui met en évidence le triptyque instruction, éducation, orientation : « la transmission et l’accompagnement vers la maîtrise de connaissances et de compétences », « de règles de comportement », « l’évaluation des progrès et des acquis des élèves, l’éducation aux choix. » Ce point de vue conduit logiquement la commission à préconiser des modifications significatives dans l’aménagement du service des enseignants ; tout en reconnaissant le place « centrale » des heures consacrées à l’enseignement, on souligne que « les autres composantes du métier, déjà assurées par de nombreux enseignants, devraient être précisées » (p. 109). A la page suivante, on ajoute qu’il s’agit de s’inscrire « dans le prolongement de pratiques existantes mais disséminées » ; la proposition, que nous allons détailler, vise donc un double objectif : s’assurer de l’équité entre tous les agents, en reconnaissant le travail entrepris par nombre d’entre eux ; tendre vers l’égalité de traitement des élèves en passant de la dissémination aléatoire à la diffusion systématique de pratiques renouvelées.

Pour ce faire, il est préconisé d’allonger la présence des enseignants dans les établissements de quatre à huit heures par semaine, et d’en tenir compte dans la rémunération 126 . On le voit, cette extension obéirait à une amplitude variable, ce qui rend l’option novatrice 127 . Ce sont des critères locaux qui autoriseraient, en fonction des besoins des populations scolarisées et des compétences des enseignants 128 , à moduler le volume d’activité afférent ; on souligne que le contrat d’établissement joue donc, dans ce cas, un rôle indéniable. La prise en compte de besoins en locaux adaptés faciliterait l’exercice convenable des tâches dont on préconise la prise en charge plus systématique par les professeurs. Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, c’est sans doute à une réflexion approfondie sur l’architecture scolaire et les enjeux socio-éducatifs qu’elle doit prendre en compte que les établissements pourraient se trouver confrontés, plutôt qu’à un simple réaménagement hâtif, qui conserverait la juxtaposition des conceptions successives en y ajoutant un nouvel appendice.

Le changement potentiel qu’est susceptible d’induire une telle proposition touchant aux services et aux pratiques professionnelles ne serait donc pas anodin. S’il est tacitement admis qu’à service équivalent sur le plan de l’horaire hebdomadaire correspond un volume de travail afférent, qu’elle que soit la discipline enseignée, il deviendrait moins aisé d’établir de telles comparaisons dès lors que seraient considérés des types de tâches variables – parce que définis localement – inclus dans le temps de présence dans l’établissement. Certes, le nombre d’heures effectué serait réglementairement identique, mais on peut supposer que la variété, la complexité, la pénibilité des diverses tâches qui seraient alors prises en charge constitueraient, selon les caractéristiques des établissements, un motif de contestation au sein du corps enseignant 129 . Par ailleurs, en cas de généralisation de ces pratiques innovantes à l’ensemble des établissements, les quatre à huit heures d’activité devraient être effectuées en lien étroit avec les autres membres de la communauté éducative et les partenaires extérieurs. La fréquence de coopération qui s’en suivrait apparaît sensiblement plus haute que ce que l’on peut en constater aujourd’hui, malgré d’indéniables évolutions dans tel ou tel type d’établissement. De plus, la présence simultanée d’une équipe de professeur - à un niveau de classe donné, par exemple – suppose, pour garantir le caractère effectif et durable de la collaboration attendue, la mise en place de règles de travail et de relations quotidiennes qui, à l’heure actuelle sont peut être moins nécessaires parce que les coopérations professionnelles sont plus restreintes (dans la même discipline) ou plus épisodiques. Il convient d’ajouter que d’autres conséquences pourraient également survenir : pour le chef d’établissement, la présence accrue des enseignants constituerait une source potentielle de complication en matière de gestion des personnels ; pour l’équipe éducative, le partage quotidien de certaines tâches pourrait, malgré le soutien ainsi obtenu, nécessiter des ajustements professionnels particuliers, pour les enseignants, la question du contrôle des tâches nouvelles et du temps qui y serait consacré susciterait sans doute quelques réticences.

En conclusion, nous soulignons la logique d’ensemble de ces propositions : en prenant en compte simultanément, dans une tension irréductible, le statut, le cadre d’exercice et de service, la mission de l’enseignant, il a semblé possible et souhaitable de proposer une modification de la définition du service des enseignants. Le report d’une mesure de ce type rendrait aléatoire la prise en charge par ces derniers de certains aspects de leur mission et, partant, l’égalité des élèves en matière de service d’éducation. L’adoption 130 d’une telle mesure nécessiterait, pour contribuer à pallier ces faiblesses, un accompagnement au sein de chaque établissement, des équipes ainsi renforcées ou, plus généralement, des propositions de formation initiale et continue permettant aux intéressés de mieux maîtriser les mutations de leur cadre d’exercice professionnel.

Notes
124.

De l’Enseignement secondaire, en ce qui concerne cette recherche.

125.

Code de l’éducation.

126.

Cette proposition nous rappelle la proposition 26 du rapport BELLOUBET-FRIER.

127.

On sortirait du cadre strict du service standard qui obéit aux habituels critères de qualification et de catégorie.

128.

Ce critère semble moins solidement établi que celui qui concerne les besoins des élèves : de quel type de compétences parle-t-on ? Sans doute faut-il mettre ce point en relation avec les modifications proposées en matière de formation initiale des maîtres.

129.

Sans mentionner la mutation des « emplois du temps » traditionnels et des éventuels avantages qu’ils procurent.

130.

La loi ultérieurement adoptée n’intègre pas cette mesure.