3.7. Conclusion

Ces rapports n’ont pas force de loi, mais peuvent traduire certaines préoccupations politiques et étatiques 131 et révéler, partiellement et imparfaitement 132 , divers aspects de la réalité institutionnelle sur laquelle l’attention se focalise. Sans aucunement prétendre à l’exhaustivité, nous rendons compte des quelques réflexions que nous suggère la comparaison des rapports. Des traits communs et des différences inhérentes au thème traité ainsi qu’aux points de vue adoptés caractérisent cet ensemble.

Nous notons, tout d’abord, l’insistance sur le renforcement nécessaire du lien entre formation initiale et entrée dans le métier, par le biais d’un tutorat étendu aux premières années d’exercice. Cette mesure aurait une influence sur la conception que les jeunes enseignants se font de leur activité professionnelle, en présence des élèves et en dehors de la classe. On peut supposer que cet accompagnement génèrerait, outre les effets formatifs visés, des formes d’influence moins désirables dues au rapport d’autorité qui peut naître de ce compagnonnage institutionnalisé. L’autonomie du professeur, indissolublement liée à l’exercice de sa responsabilité, pourrait-elle, dans un tel contexte, s’affirmer rapidement et avec toute la force souhaitable ?

En second lieu, nous abordons le thème, récurrent dans les différents rapports, de l’élargissement des tâches qui incombent aux enseignants du second degré. Cette diversification est jugée nécessaire, voire inéluctable. Elle est souvent justifiée par la complexité accrue que revêt la gestion pédagogique et éducative des populations scolarisées. Les tâches nouvelles ainsi identifiées ne peuvent être assumées par d’autres catégories de personnels puisqu’elles touchent, directement ou indirectement, aux processus d’enseignement et d’apprentissage ; projet interdisciplinaire, aide et conseil à l’élève en matière de travail personnel, réflexion sur le lien entre évaluation et orientation, ce ne sont là que quelques exemples. Le constat d’un accroissement des tâches amène certains rapporteurs à préconiser un allègement du service d’enseignement propre à favoriser la prise en charge effective de ces besoins. Cette recherche d’un point d’équilibre modifierait fortement le cadre temporel et organisationnel du travail tel qu’on l’a connu jusqu’ici. Un service qui comprendrait, sur une base de 18 heures, 15 heures de cours et 3 133 heures d’autres activités pédagogiques ou éducatives serait peut-être, d’un strict point de vue quantitatif, équilibré et équitable, mais il convient de ne pas se contenter de cette première approche. Ce changement supposerait un aménagement non négligeable du décret de 1950 puisqu’il modifierait la nature des obligations de service des professeurs du second degré. On pourrait émettre l’idée qu’une partie des missions des enseignants, contenues dans la loi d’orientation de 1989 et la circulaire du 23 mai 1997, relèverait alors du service obligatoire des professeurs. A ce titre, ces tâches feraient-elles l’objet d’un contrôle administratif, comme le reste du service, et d’une évaluation ponctuelle ? Selon quels critères ? Et par qui ? Sur ce point, certains rapports préconisent une modification substantielle et urgente des modalités d’inspection pédagogique et de notation administrative.

Une autre difficulté majeure se présenterait en cas d’adoption de nouvelles règles en matière d’organisation des services. Elle ne relève pas du même registre. Si, comme on le souligne dans plusieurs rapports, l’enseignement est et demeure un travail d’intellectuel formé, en tant que tel, à l’université, et, dans la majorité des cas, dans une discipline unique, comment maintenir cette exigence de haut niveau de formation et de réflexion dans des activités connexes à l’enseignement lui-même mais qui dépassent le strict territoire disciplinaire ? Cette remarque touche, au cœur de l’activité professionnelle des enseignants, à la hiérarchisation des tâches, à leur valorisation ou à leur relégation, selon qu’elles respectent l’identité disciplinaire ou appartiennent au champ anomique de la transversalité. C’est peut-être dès la formation universitaire initiale, au prix d’une élévation nette du niveau de connaissances des futurs enseignants dans des domaines trop souvent inexplorés, ou dont leurs aînés auront, à l’occasion de brèves sessions de formation, simplement effleuré les frontières, qu’une reconsidération des attitudes traditionnelles peut être envisagée. En résumé, pour conserver au service des enseignants une unité en termes d’activité intellectuelle spécifique tout en procédant à une diversification des tâches, il serait souhaitable que ces dernières répondissent, dans leur définition, à un haut niveau d’exigence, sur le plan des connaissances qui concourent à leur réalisation aussi bien que dans les attentes de l’institution à leur propos. Dans le cas contraire, le risque est grand de voir ces tâches indispensables souffrir de la déconsidération, coutumière dans le monde enseignant, qui frappe le travail « administratif » ou « l’animation » pédagogique et éducative.

La question de l’établissement comme lieu de travail sera notre dernier point d’insistance. L’architecture des bâtiments scolaires est en jeu, le rapport Bancel le souligne. C’est d’une refonte profonde qu’il s’agirait, si l’on voulait, progressivement, susciter de nouveaux modes de travail professionnels. Cette refonte, quoi qu’on en pense, ne saurait être limitée à l’aspect matériel des choses. Certes, on connaît l’influence que l’agencement et la dévolution des espaces exercent sur le climat d’un établissement, on sait également qu’en matière de qualité d’enseignement et d’éducation, c’est une condition nécessaire, mais non suffisante. Dans le cas du travail enseignant hors de la classe, un autre impératif devrait être rempli, nous le pensons, s’il est question d’amener les maîtres à modifier leurs pratiques traditionnelles. Symboliquement, il conviendrait donc d’affirmer que l’établissement scolaire doit comprendre, comme une partie fondamentale, et toute considération architecturale mise à part, un espace réservé aux enseignants, qui tienne compte de leur nombre, des types de travaux divers qu’ils peuvent être appelés à accomplir sur le plan de leur discipline ou non, seuls ou en groupes, et avec un accès aisé à la documentation indispensable. Cette position inciterait les responsables des établissements et leurs équipes administratives et éducatives à reconsidérer le partage de l’espace, mais aussi du pouvoir sur cet espace. Il est perceptible dans certaines parties des rapports que nous avons cités, que le travail des enseignants est d’abord envisagé, sur un plan tactique, comme une variable d’adaptation à une population et à une structure scolaires en mutation irréversible. Les attentes qui pèsent donc sur les enseignants exigeraient qu’on reconsidérât la notion de cadre de travail, qui se confond souvent avec le lieu d’exercice 134 . Ce préalable ne garantirait pas, d’emblée, l’évolution des pratiques ; il permettrait au moins de lever certaines hypothèques qui pèsent à l’heure actuelle sur les tentatives volontaristes de certains enseignants et des équipes avec lesquelles ils coopèrent pour dépasser le cadre limitatif du strict service devant élèves.

Notes
131.

Nous voulons mettre en évidence, en citant ces deux dimensions, la constance du souci de continuité de l’état et de ses services, qui impose pragmatisme et circonspection dans les aménagements auxquels il faudrait consentir, et la nécessité de la réforme qui doit, sur un plan symbolique rendre lisibles l’ambition politique des responsables gouvernementaux et la philosophie qui la nourrit. Sur ce second plan, les rapports font souvent état des initiatives à privilégier, mais ils signalent également, selon le climat social ou politique du temps, les précautions qu’il conviendrait de respecter.

132.

Les règles de l’exercice imposent, dans la majorité des cas, des limites à la mission, au groupe et à son rapporteur. Ces contraintes sont d’ordre temporel, à cause des délais souvent courts qui sont octroyés aux rédacteurs. Elles sont également liées à la difficulté de réunir ou de consulter un éventail de fonctionnaires ou de personnalités extérieures qui soit susceptible de rendre compte de la diversité des points de vue sur la question traitée. Enfin, et ce n’est pas le moindre des obstacles, la destination de la commande invite, sur le plan formel, à procéder par propositions plutôt que par hypothèses, à s’attacher au général plutôt qu’au particulier. Cela étant posé, il appartient à chaque rapporteur d’apporter des aménagements à ces règles, et, dans certains cas, à traduire dans le document final les nuances qui ont pu être exprimées lors du travail préparatoire.

133.

Le rapport de la Commission THELOT préconise également une répartition approchante.

134.

Les cours et quelques réunions statutaires.