Au cours de la dernière décennie, le développement des outils informatiques 182 a pu jouer un rôle dans les conditions de l’exercice professionnel dans l’enseignement du secondaire. Nous ne cherchons pas à mobiliser des outils de recherche pour explorer ce domaine, mais il nous paraît possible d’avancer prudemment quelques éléments de réflexion. Ces outils et les supports qu’ils permettent de consulter ou de produire ont trouvé leur terrain d’expansion dans plusieurs domaines de l’activité enseignante : le domaine administratif, le domaine pédagogique et didactique, le domaine de l’interaction entre pairs. De plus, nous notons qu’ils ont pu, successivement ou concomitamment, trouver place dans l’établissement comme dans la sphère privée et, dans le premier cas dans la classe comme dans les salles réservées aux professeurs.
Cette évolution a eu plusieurs facettes : mise à disposition des professionnels de machines, de logiciels et des périphériques en nombre suffisant, proposition de formations, accès aux outils et aux réseaux de diffusion des pratiques via les centres régionaux ou départementaux liés du C.N.D.P., promotion des démarches innovantes dans le domaine des disciplines. Ainsi, l’institution a pu, indirectement, modifier les habitudes de travail des professeurs, nous nous contenterons d’en donner quelques illustrations.
L’informatisation des tâches administratives, saisie des notes, appréciations ; après une phase d’acclimatation, ce type de tâche peut se révéler plus rationnel et plus rapide en mode informatique. Une certaine forme de « dématérialisation » du support et une uniformisation de la forme à l’écran peuvent concourir à standardiser ce type de tâche tout en rendant possible des saisies simultanées multiples, ce qui se révélait impossible avec un support-papier unique et, en outre, était facteur d’attente et de tension lorsque plusieurs professeurs de la même classe cherchaient à avoir accès aux formulaires.
En dernier lieu, toujours sur le plan administratif, la mise en place de réseaux internes 183 permet à tout moment l’accès aux informations indispensables et élimine une partie importante des circulaires sur papier, d’où un gain de temps éventuel en terme de classement des documents administratifs..
Dans les domaines pédagogique et didactique, un professeur qui a accès aux outils informatiques adéquats dans son établissement peut être enclin à organiser son activité de préparation des cours sur place, pour rationaliser au mieux recherche documentaire : sélection des ressources, préparation des supports et des montages, mise en place éventuelle d’une animation informatique, tirages papier des documents. L’introduction des Travaux personnels encadrés au Lycée, des Parcours pédagogiques diversifiés au Collège a été l’une des occasions qui ont incité les professeurs à adopter des pratiques de coopération. Selon les thèmes ou les disciplines considérées, ces pratiques ont été rendues plus efficaces quand elles s’appuyaient sur un usage bien compris de l’informatique. Pour ne pas majorer les effets dont nous supposons l’existence, nous nuançons le propos en mentionnant l’importance qu’il conviendrait d’accorder aux conceptions que les professeurs se font de la place des nouvelles technologies dans l’enseignement (CUBAN; 1997 184 ).
Un dernier point mérite d’être signalé quant à l’influence supposée de l’informatique sur la modification de pratiques enseignantes. La décentralisation des responsabilités en matière de financement des locaux scolaires a permis d’accélérer, en une décennie, la rénovation des collèges et des lycées. Dans cette phase, en fonction des besoins des professeurs en matière d’outils informatiques, les espaces mis à leur disposition ont subi une mutation profonde. Les traditionnels espaces ouverts que constituaient les « salles des professeurs », lieux de simple passage ponctuel, de stations provisoires, pour corriger quelques copies entre deux cours ou remplir des bulletins trimestriels ont pu laisser place à des salles de travail dûment équipées, de taille plus modeste, et en nombre accru. Sans atteindre au confort d’un bureau individuel, ces locaux invitent davantage au travail sur site que les salles anciennes, et peuvent peut-être constituer une alternative recevable au travail à domicile.
Ces changements qui doivent autant à l’accélération des progrès technologiques qu’au caractère novateur de propositions architecturales en matière de construction scolaire ne se limitent pas, en réalité, à ces deux origines. Le vocable « poste de travail », courant en informatique, est révélateur, dans son double sens, d’une philosophie nouvelle quant à la place des professeurs et de leur travail hors de la classe. Les théories du management qui ont influencé les administrateurs de l’Education nationale dès les années 1980, ne sont peut être pas étrangères à ces mutations dans lesquelles il serait sans doute excessif de ne voir qu’une conversion des responsables institutionnels aux vertus du seul progrès technologique, pas plus d’ailleurs qu’aux seules nécessités d’une ergonomie repensée du travail enseignant.
Les postes de travail informatiques fixent autant le travail enseignant dans un lieu qu’elles modèlent certaines tâches. Pour montrer leur capacité à utiliser adéquatement le matériel performant mis à leur disposition, les professeurs devront y investir du temps et consentir à en passer une partie dans l’établissement. Pour répondre aux exigences de leurs propres disciplines en ce qui concerne les T.I.C.E., ce mode d’investissement se révèlera d’autant plus indispensable. Cela entraîne un effet pernicieux : le niveau de qualité formelle des documents rassemblés ou produits constitue, à l’insu des professeurs, une norme qui peut hâter la relégation du support manuscrit ou de l’illustration figée du manuel ; la demande sociale en la matière imposerait donc une amélioration constante du niveau de qualité technique des supports et outils utilisés dans l’enseignement, au détriment du fond.
Enfin, s’il est possible à une collectivité de renouveler un parc informatique pour le maintenir aux standards les plus récents, il n’est pas sûr que chaque professeur aura les moyens suffisants et consente à les mobiliser, pour combattre l’obsolescence programmée des matériels et des logiciels.
Bien entendu, nous ne datons pas l’émergence des outils et supports informatiques de cette période, mais, pour ce qui est du milieu scolaire, l’accélération des équipements intégrés aux établissements, liée à la baisse des coûts, à l’augmentation exponentielle des performances et aux effets des lois de décentralisation, a marqué un tournant indéniable.
De type Intranet.
CUBAN, L., « Salle de classe contre ordinateur - Vainqueur la salle de classe »; in Recherche et Formation, n° 26, 1997, pp. 11-30.