4.4.1.9. La présence ou l’absence de formes de démarcations entre la sphère professionnelle et la sphère privée

Nous avons montré que le travail de ces professeurs dépasse largement et fréquemment les frontières de l’établissement, et du cadre restreint du temps scolaire, pour s’étendre jusqu’à leur domicile, selon des rythmes et des horaires qui peuvent empiéter sur le domaine privé. Dans ces conditions, il nous faut convenir qu’un professeur devrait chercher à instaurer des démarcations, temporelles et spatiales, qui pussent limiter les phénomènes d’envahissement de la sphère privée. En pointant cette caractéristique, nous pensons qu’il pourrait s’agir soit de rituels et de routines, soit d’organisations rationalisées.

Mais, dans ce registre, nous devons insister sur un point délicat qui nous incite à opérer une nouvelle distinction. On peut convenir, sans grand embarras, que les choix opérés en matière de travail personnel, pour ceux qui choisissent de l’effectuer dans l’établissement, relèvent d’arbitrages qui semblent s’inscrire dans un continuum professionnel strict ; ils pourraient donc être analysés en tant que tels, comme relevant manifestement de la pratique professionnelle, à partir de critères habituels en la matière. Dès lors que le travail personnel, à tâches équivalentes à celles qui auraient pu être accomplies dans l’établissement, s’inscrit dans un autre espace et d’autres temporalités, nous ne pouvons en restreindre les critères d’analyse de cet espace-temps au seul champ professionnel. Nous notons par exemple qu’en matière de rythmicité, de périodicité, d’inscription dans un espace délimité, l’interrelation avec la vie sociale, familiale ou domestique ne peut être exclue du champ d’investigation. Nous ne pensons pas ici aux interférences ponctuelles, sources de nuisances aléatoires ; nous soulignons la probabilité d’une influence plus fondamentale, qui présiderait aux choix opérés par le professeur concerné. Cette influence prendrait la forme d’une négociation dont les termes seraient plus ou moins explicités par les partenaires, en réponse à des besoins locaux, perçus comme prioritaires par rapport aux activités « importées ». Si cela se vérifiait, il nous faudrait tenir compte du degré d’influence induit par la situation : selon le mode de vie qu’ils adoptent, selon la profession du conjoint 186 éventuel, selon les conditions matérielles de logement des situations diverses peuvent exister.

Pointer la nécessité pour les professeurs d’établir des délimitations nettes entre les domaines professionnel et privé nous invite, concomitamment, à admettre que certains ne puissent ou ne consentent à s’y astreindre. Les causes de cette absence éventuelle de bornage ne peuvent être postulées a priori ; tout au plus pouvons-nous nous attendre à ce que les formes d’agencement du temps et de l’espace ainsi induites complexifient un peu plus l’éventail des pratiques. Nous nous intéresserons davantage aux cas dans lesquels le volet professionnel prend le pas sur le volet privé, mais nous ne manquerons pas de répertorier les cas où se manifesterait l’inverse.

Notes
186.

Que l’on pense au cas des conjoints professeurs comparé à celui d’un professeur célibataire, pour ne citer que cela.