4.7.3.3. Quelques effets induits par la forme du courrier

Pour des raisons d’ordre méthodologique, nous avions décidé de ne pas expliciter le thème précis de l’entretien dans notre courrier. Si ce choix nous semble toujours justifiable, nous admettons qu’il a pu en atténuer quelque peu l’impact ; nous l’avons constaté lors des contacts avec les quatre informateurs qui ont accepté de contribuer à notre travail. La relative imprécision - volontaire - du champ proposé et la variété des pistes de réflexion qu’il implique peuvent constituer, selon les individus, une source de curiosité ou une cause de réticence.

Le courrier envoyé à nos informateurs potentiels est sobre et ne comporte pas d’insistance sur l’importance de la contribution souhaitée ; seules tiennent lieu d’invite les formules introductive et conclusive « j’ai l’honneur de solliciter votre concours » et « Si, comme je l’espère, il vous est possible d’accéder à ma requête ». La formule de présentation succincte du domaine et du thème général d’investigation dévoile, en revanche, sans ambiguïté, le cadre de notre démarche : Le « travail des professeurs de l’Enseignement secondaire en France […] la construction et l’organisation de ces pratiques de travail dans la phase initiale de la carrière. » Cette dernière précision peut montrer au destinataire en quoi il est concerné et, s’il le souhaite, comment il peut concourir à notre travail. Cette forme d’insistance indirecte compense sans doute, en partie du moins, l’absence de formule explicite dans le courrier.

La deuxième partie de la phrase contient une conjonction de coordination : « construction et organisation », qui marque une relation exclusive : il n’y a pas, à nos yeux, d’organisation autonome du travail des professeurs sans construction réfléchie des pratiques qui y contribuent. Nous pensons que certains professeurs-stagiaires auront hésité face à cette formulation, par manque de recul sur la phase d’apprentissage qu’ils achevaient à peine, et par manque d’assurance quant à la pertinence de leur propre organisation.

Par ailleurs, les règles élémentaires de la recherche nous invitent à ne pas faire état de notre situation professionnelle actuelle, qui nous lie au domaine de la formation des professeurs dans la région concernée et de notre expérience professionnelle dans l’Enseignement secondaire ; en la circonstance, ce type d’information pourrait déplacer le rapport informateur / chercheur en le situant dans un registre où l’expertise professionnelle apparente du second pourrait perturber l’informateur. Cette absence de référence, dictée par une nécessité impérieuse, rend nos courriers très formels, très neutres. Dès lors, une distance peut s’instaurer entre le requérant et les destinataires.

L’unique point de repère biographique est donc constitué par la mention de notre préparation de thèse en Sciences de l’éducation. Nous avons pu, dans ce registre, être soumis à un aléa supplémentaire : les Sciences de l’Education jouissent-elles, aux yeux de nos interlocuteurs, d’une image claire et valorisante ? Cette question ne nous semble pas devoir être minimisée ; le concours qui était demandé appelait en retour une forme de rétribution symbolique : « A quoi ma parole contribuera-t-elle, et en quoi sera-t-elle vraiment utile pour la recherche à laquelle on m’invite à participer ? », « Cela sera-t-il valorisant pour moi en tant que professeur de telle ou telle discipline ? »

Selon nous, la première partie de l’interrogation « A quoi ? » pourrait être mise en relation avec les évènements sociaux qui ont agité, depuis plusieurs mois, le milieu de l’enseignement. Dans un contexte où l’image publique et professionnelle des professeurs était en jeu, nous postulons que s’engager sur la voie, même anonyme, du témoignage personnel n’était pas anodin. Notre sollicitation pouvait donc amplifier, en mai et juin 2003, plusieurs préoccupations :

  1. Quel rôle une recherche en Sciences de l’Education peut-elle jouer par rapport à cette image publique ?
  2. Quelles sont les hypothèses du chercheur, et à quelles conclusions pourrait-il aboutir ?
  3. Suis-je autorisé, d’un point de vue déontologique, à m’exprimer sur le sujet en question, a fortiori en tant que débutant ?