6.5.3. Sous-groupe 9 et 10

Prise en compte, pour les hypothèses 1 (première proposition) et 4, des caractéristiques du sous-groupe d’entretiens 9 et 10.

Hypothèse 1, première proposition : « L’organisation du temps de travail personnel a, dès l’entrée dans le métier, une influence significative sur la représentation que les enseignants-stagiaires du secondaire ont des types de tâches professionnelles qu’ils sont susceptibles de devoir accomplir. ».

Concernant cette première partie de l’hypothèse, nous rappelons les caractéristiques essentielles du sous-groupe 9 et 10 :

  1. les professeurs-stagiaires considérés terminent le premier trimestre de leur année de validation PLC2 ;
  2. compte tenu de cela, il est possible d’estimer que les « types de tâches professionnelles qu’ils sont susceptibles d’accomplir » leur ont été progressivement présentés et qu’ils peuvent en avoir une connaissance raisonnable, au moins sur un plan théorique ;
  3. l’organisation du temps de travail personnel, si elle n’a pas été testée sur une période suffisamment longue pour être durablement stabilisée, a pu faire l’objet de premiers ajustements et, selon les besoins, d’ajouts ou d’élagages plus substantiels ;
  4. le sujet du mémoire professionnel a dû être circonscrit et a très probablement nécessité la focalisation sur une question d’enseignement inhérente au travail des professeurs-stagiaires ; opérer ce choix a, sans doute, donné lieu à un questionnement de leurs représentations, originelles, des tâches dévolues à un professeur du secondaire.

Nous examinerons la validité de cette première proposition à partir des tableaux de synthèse 2 et 3, et des commentaires qui les accompagnent.

Hypothèse 4 : « Les phénomènes liés au temps et à l’organisation du travail de l’enseignant ne sont pas appréhendés de manière systématique et cohérente par le futur enseignant en cours de formation initiale. »

Cette hypothèse ne peut être examinée dans toute sa portée puisque la deuxième année de formation – cruciale pour ce type d’apport – est loin d’être achevée. Néanmoins, c’est bien « en cours » du cursus que nous avons recueilli les informations que nous traitons ici ; les remarques que nous pourrons faire seront donc strictement relatives au seul trimestre considéré.

Hormis les données biographiques, la seule différence notable entre les deux entretiens concerne le cycle d’enseignement dans lequel chacune des informatrices effectue son stage en responsabilité. Les autres données, notamment la discipline, étant identiques, des comparaisons pourront être établies.

Nous examinerons cette hypothèse à partir des réponses à la question trois.

Examen des hypothèses 1 et 2 en fonction des tableaux de synthèse et des commentaires afférents.

Notre première remarque concerne les niveaux de contrainte en matière de déplacement (tableau 2, N) ; dans les deux cas, ils pourraient a priori avoir une influence sur l’organisation du travail personnel des professeurs-stagiaires, en limitant leur présence dans l’établissement au temps de service assorti des éventuelles plages intermédiaires de l’emploi du temps, ou bien, à l’inverse, en les incitant à l’augmentation du temps de travail sur place, dans un souci de rationalisation, en fonction de la distance par rapport au domicile. La première option pourrait donc partiellement éclairer le choix déclaré dans l’entretien 9 (pas de travail personnel dans l’établissement, hormis un passage épisodique au C.D.I., tableau 3, B) ; la seconde contribuerait à expliquer la mention de l’établissement scolaire comme lieu de travail plus régulier, pour l’entretien 10 (tableau 3, B et F).

Ces remarques doivent être tempérées par la prise en considération d’un facteur sans doute plus déterminant : les modalités du travail personnel du professeur d’Histoire et Géographie et, plus précisément, les contraintes induites par la recherche documentaire. La prédominance didactique relevée dans les deux entretiens ainsi que la hiérarchisation des espaces de travail confortent notre réflexion : les « lieux de documentation » après le domicile pour l’entretien 9, les bibliothèques avant le domicile pour l’entretien 10.

Les tâches à accomplir étant circonscrites, dès les premiers mois de formation, tant par l’accès aux instructions officielles que dans le guidage proposé dans les modules de formation en didactique, il incombe alors à chaque stagiaire d’organiser son temps et son espace de travail en fonction des priorités qu’il estime pertinent d’établir. Ainsi, à des situations comparables sur les plans formatif et statutaire correspondent, dans les deux cas que nous examinons, des choix différents ; ces options distinctes peuvent illustrer l’autonomie dont jouissent les professeurs en matière de travail personnel dès la prise de responsabilité partielle - et supervisée, en tant que professeur-stagiaire. En matière d’options différentes, il est intéressant de souligner qu’il ne nous a pas été possible de repérer de forme stable de partenariat professionnel dans l’entretien 9, alors que, dans le cas de l’entretien 10, le partenariat déclaré concerne, à la fois, certains collègues de l’établissement scolaire et des pairs professeurs-stagiaires, côtoyés dans le cadre de l’institut de formation ; ce lieu prend ainsi une place légitime dans l’espace de travail personnel considéré, en procurant à l’intéressée une occasion supplémentaire d’interlocution professionnelle.

Nonobstant les spécificités qui caractérisent chacun des deux entretiens, nous avons déterminé qu’une rationalité du même type pouvait expliquer les choix exprimés par l’une et l’autre des informatrices. Cette rationalité, traditionnelle, met en jeu des habitudes et pratiques antérieures, durablement établies et suffisamment éprouvées, dans l’esprit des individus concernés, pour qu’ils aient de bonnes raisons de les faire perdurer, y compris dans un contexte inédit 263 . à ce propos, nous notons que cette forme d’arbitrage est étroitement dépendante des représentations initiales du contexte en question et que, de surcroît, elle ne semble pas assortie d’examen critique par le truchement d’échanges avec des tiers professionnels 264 .

Pour illustrer cela, observons, dans les deux entretiens étudiés, que, pour valider un certain nombre de choix dans l’organisation de son travail, la première interlocutrice s’est clairement appuyée sur son expérience d’étudiante, marquée par une situation particulière de suivi des cours par correspondance ; la seconde a également souhaité préserver certaines caractéristiques de son mode antérieur de travail, en restant fidèle à des habitudes contractées dans le second cycle universitaire : dans ce cas, comme elle l’indique, l’intérêt pour la recherche et pour une conception cumulative du savoir marque de leur empreinte l’activité tout entière. Nous devons ajouter que, pour l’entretien 10, la rationalité secondaire, utilitaire, renforce le caractère personnalisé de l’organisation adoptée ; « j’aime bien », « j’ai besoin », « j’ai une passion » sont des expressions récurrentes, qui illustrent l’importance des goûts, des intérêts personnels dans cette démarche d’organisation. Au contraire, dans l’entretien 9, la rationalité téléologique, dont nous avons détecté la manifestation, paraît tempérer la focalisation sur les habitudes antérieures, en amenant à adopter des moyens inédits, plus propices au dessein ambitionné.

Le dernier point sur lequel il nous semble important d’insister concerne la focalisation commune sur le seul volet didactique des tâches prescrites. Le matériau que nous avons recueilli ne nous autorise pas à identifier avec fiabilité la source précise de ce choix, et nous sommes donc contraint de nous borner à avancer quelques conjectures.

  1. Compte tenu des conditions d’organisation de leur travail personnel, c’est la seule représentation dominante des deux professeurs-stagiaires qui a favorisé l’adoption exclusive de la priorité didactique.
  2. Compte tenu des conditions d’organisation de leur travail personnel et des contenus de formation, la représentation dominante des deux professeurs-stagiaires s’est trouvée confortée, ce qui a favorisé l’adoption exclusive de la priorité didactique.
  3. Compte tenu des conditions d’organisation de leur travail personnel, il n’a pas été matériellement possible de consacrer un temps significatif ou d’investir des espaces afférents aux tâches pédagogiques et éducativesL’espace-temps de la classe n’est pas assorti, dans ce cas, d’une place identifiable sur la « scène du travail personnel »..

Il est possible que ces trois entrées soient cumulées, ce qui renforcerait le primat du volet didactique.

A partir de ces remarques, il est possible de valider la première partie de l’hypothèse 1 ; en effet, les types respectifs d’organisation du travail personnel des deux informatrices traduisent, outre l’autonomie dont elles jouissent, la permanence de représentations antérieures liées à un cadre préférentiel de travail intellectuel (entretien 9) ou à une forme particulière d’appréhension de la discipline (entretien 10). L’influence des principes organisationnels du travail personnel des professeurs sur leurs représentations serait liée, dans le cas présent, à deux phénomènes conjoints : l’individualisation des pratiques et l’isolement qu’elle génère, d’une part, et l’absence de points de comparaisons possibles, ce qui rend tout schéma de travail personnel déjà éprouvé potentiellement attractif, d’autre part. Ce dernier point est d’autant plus crucial que, dans la phase initiale de mise en place des pratiques professionnelles, le besoin de réassurance est grand et que la question de la maîtrise des contenus est, nous semble-t-il, particulièrement prégnante en Histoire et Géographie.

Le maintien de représentations antérieures – leur importation, devrait-on dire – a-t-il pour corollaire une mise à distance de pratiques nouvelles, liées, en particulier, aux instructions et préconisations officielles, institutionnelles, didactiques ou pédagogiques ? Si tel était le cas, cela contribuerait à confirmer l’influence de l’organisation du travail personnel sur les représentations.

Nous constatons qu’à partir d’un accès équivalent aux préconisations ou aux normes professionnelles, l’impact est sensiblement différent, dans le champ du travail personnel 266 de chacun des deux professeurs-stagiaires concernés ; dans le cas où la volonté de maintien du modèle antérieur d’organisation est la plus patente (entretien 9), l’intégration d’impératifs professionnels est néanmoins bien repérable. A l’inverse, dans l’entretien 10, alors que les contacts avec les pairs, enseignants et stagiaires, tempèrent déjà la conception universitaire de la discipline, la référence à des normes et orientations officielles n’est pas, pour autant, plus explicite. Nous ne pouvons donc pas conclure que le maintien de représentations antérieures, apparemment peu pertinentes dans le champ professionnel, obère nécessairement la familiarisation et l’intégration de normes nouvelles. Sans remettre en cause la validité de la première proposition de l’hypothèse 1, cela en nuance cependant la portée.

« Dans la population considérée, la perception du temps de travail personnel est étroitement liée à la notion d’espace de travail. »

Pour les deux entretiens 9 et 10, les modes de gestion du temps de travail personnel sont, respectivement, cumulatif et quantitatif et ont, sans doute, été structurés en fonction des perceptions des intéressés.

Les espaces de travail sont de trois types :

  1. bibliothèques et centres de documentation ;
  2. domicile ;
  3. établissements scolaire et de formation.

Des liens peuvent-ils être établis entre ces différents espaces et les perceptions du temps qui ont généré des modes de gestion spécifiques ?

En ce qui concerne l’entretien 9, seuls les deux premiers espaces sont à prendre en compte ; ils sont utilisés pour des tâches de documentation, d’une part, et de préparation, de correction, d’autre part. Il y a indéniablement correspondance entre la perception cumulative du temps et les tâches assumées par le professeur-stagiaire ; il y a un lien manifeste entre le lieu privilégié pour leur accomplissement (le domicile) et le mode de gestion du temps de travail personnel. La relation est moins explicite dans le cas des lieux de documentation.

Pour l’entretien 10, le degré de congruence semble supérieur : comme nous l’avons noté, c’est la lenteur du processus d’élaboration de la production qui favorise un mode quantitatif de gestion du temps, et qui peut concerner alternativement tous les espaces de travail. Pour nuancer le propos, il nous faut souligner que ce sont les lieux de documentation et le domicile qui sont les plus concernés ; les premiers à cause du plaisir ressenti par l’intéressée dans la proximité et la consultation intensive de livres, le second, car c’est le lieu du tâtonnement, du travail « empirique » et de la préparation à long terme. A l’inverse, l’institut de formation, constituant à part entière de l’espace de travail personnel, paraît échapper au schéma temporel général : c’est un lieu dans lequel le temps est partagé avec les pairs, en vue d’acquérir les moyens d’amender une pratique encore peu assurée ; le perception subjective du temps s’estompe probablement.

Cette réserve ne nous semble pas propre à remettre en cause la validation globale de l’hypothèse 2.

Hypothèse 3 : « Il existe des similitudes entre l’organisation du travail personnel du professeur-stagiaire 267 et la conception qu’il se fait du travail professionnel en dehors de la classe qui sera le sien une fois qu’il assurera un service à temps-plein ; ces similitudes peuvent concerner le temps et l’espace de travail. »

La date des deux enregistrements de ce sous-groupe (mois de décembre), aurait dû assortir la projection dans le service à temps-plein d’un certain degré d’incertitude ; cela ne se manifeste pas dans les propos des deux professeurs-stagiaires : l’étendue de leurs réponses et le degré de détail qui les caractérise ne sont pas significativement inférieurs à ce que nous avons recueilli dans le sous-groupe 1 à 4, enregistré en fin d’année de PLC2. Nous n’en concluons pas pour autant que les conceptions exprimées dans les entretiens 9 et 10 soient figées.

Dans l’entretien 9, le schéma général progressivement mis en place au cours du premier trimestre de l’année PLC2 semble, dans l’esprit de l’informatrice, pouvoir rester globalement stable, ce qui est particulièrement frappant dans son estimation du temps de travail : il serait souhaitable que le volume global n’augmentât pas, malgré l’accroissement inéluctable du nombre de classes ; la principale variable d’ajustement qui permettrait de maintenir le temps global d’activité dans les limites escomptées serait le volet du travail personnel. Cela peut sembler paradoxal, mais cette projection prend également en compte les connaissances et l’expérience qui auront, très probablement, été acquises d’ici-là. Nous pourrions donc conclure, provisoirement, que la continuité existerait d’un point de vue quantitatif global - service et travail personnel - mais que le mode de travail lui-même subirait une mutation indéniable puisque le temps de réflexion personnelle serait sensiblement réduit.

Une autre modification est envisagée, qui concerne l’utilisation de « temps spécifiques », constitués par les heures intermédiaires dans l’emploi du temps, et qu’il conviendrait de dédier à l’étude de sujets précis, la pédagogie, en l’occurrence. Dans une configuration à temps-plein, les heures ainsi disponibles seront sans doute plus nombreuses ; elles constitueraient donc une seconde variable d’ajustement.

Certaines de ces caractéristiques sont présentes dans l’entretien 10 : ainsi, nous y trouvons mention de la nécessaire compression du temps de réflexion, et la probable reconduction d’une partie de l’expérience accumulée dans le domaine de la préparation des cours. Quelques spécificités permettent néanmoins de distinguer l’entretien 10 du précédent : l’objectif de rationalisation du temps de travail personnel ne doit pas mettre en cause la capacité du professeur à garder une marge confortable pour la préparation des cours ; le cas échéant, le temps libre pourrait donc être ponctionné afin de répondre à cette exigence. Par ailleurs, une meilleure prise en compte des besoins des élèves nécessiterait l’élaboration régulière de « fiches d’objectifs », ce qui s’ajouterait donc au travail personnel.

En fonction de ces remarques, l’hypothèse semble pouvoir être validée ; aucune rupture ou remise en cause significative n’est, au moment de l’entretien, envisagée.

Hypothèse 4 : « Les phénomènes liés au temps et à l’organisation du travail de l’enseignant ne sont pas appréhendés de manière systématique et cohérente par le futur enseignant en cours de formation initiale. »

Rappelons, tout d’abord, que la date d’enregistrement des entretiens 9 et 10 tempère la portée des conclusions que nous pouvons tirer pour cette hypothèse, si nous considérons la seule deuxième année (PLC2) comme source d’apport en matière d’organisation du travail personnel des informatrices.

Nous constatons que dans les deux entretiens - pour des raisons différentes - c’est l’expérience antérieure de travail personnel en milieu universitaire qui a constitué, assez naturellement, le cadre organisationnel adopté en début de deuxième année d’I.U.F.M. : « j’avais déjà cette formation-là de travail personnel, à la maison, et ensuite, évidemment, je l’ai appliquée lorsque j’étais en première année de formation, je l’ai appliquée dans mon travail personnel. » (E 9) ; « j’ai fait une maîtrise d’Histoire et puis, j’aimerais bien, plus tard, continuer dans cette voie-là, éventuellement dans une thèse, donc j’ai gardé ce côté-là, aller fouiller dans les bibliothèques, cet aspect-là de ma formation qui joue. » (E 10).

En fin de premier trimestre de la seconde année de formation, si les intéressées admettent avoir questionné la pertinence de leurs options initiales, les moyens de palier rapidement et méthodiquement les limites repérées ne semblent ni systématiques, ni cohérents : « je sais pas si c’est la meilleure méthode, évidemment, mais je suis en attente d’avoir d’autres méthodes de travail, une méthode de travail peut être plus en équipe [… » (E 9) ; « Et puis, j’essaie de piocher l’information partout où je peux la trouver, demander des conseils, donc c’est quelques chose de très empirique, c’est pas vraiment réfléchi [… » (E 10).

Les concordances constatées nous conduisent à valider la quatrième hypothèse.

Notes
263.

S’il est indéniablement inédit par rapport à la situation antérieure en milieu étudiant, la discipline, étudiée et désormais enseignée, constitue manifestement un élément de continuité dont la prégnance peut atténuer la perception des ruptures.

264.

Hormis, dans le cas de l’entretien 9, le conjoint, professeur de Lettres modernes, qui peut, partiellement, endosser ce rôle, ou, dans l’entretien 10, le P.C.P. qui est l’interlocuteur privilégié ; mais nous n’avons pu recueillir aucune information à ce propos.

266.

Nous ne pouvons postuler que cette distinction existe également dans le travail en classe.

267.

Nous faisons ici la distinction entre les étudiants qui préparent le concours (1ère année en I.U.F.M.), et les lauréats des épreuves théoriques des concours, stagiaires rémunérés en 2ème année.