1.10 ENTRETIEN N°10

13 décembre 2003, NANTES.

Q1 / Pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste, selon vous, le travail d’un professeur de second degré en dehors de son service devant élèves ?

En dehors des services ? Dans tout ce qui est préparation ? Oui. Le temps de préparation, déjà, il me semble, très important, c’est presque au moins le triple, je dirais. On passe le triple du temps à préparer son cours, à y penser à y réfléchir par rapport à la durée finalement assez faible de temps passé devant les élèves. Et surtout je dirais c’est une préparation continuelle, parce que je sais qu’en regardant la télévision, en feuilletant un livre, en regardant un magazine, tout le temps l’obsession, ça peut servir à un cours, peut-être pas cette année, peut-être dans deux ans, donc c’est finalement un métier qui prend énormément de temps et, comme c’est une passion, ça se complète assez bien. Parce que moi j’ai une passion pour l’histoire, peut-être un peu moindre pour la géographie. Et c’est vrai que j’aime l’histoire, donc je vais m’intéresser à ce qui sort, justement dans l’actualité historique, en ouvrages, en émissions et en plus je me dis « tiens », ça pourrait être utilisable en cours, pour permettre une meilleure compréhension en cours pour les élèves. Lorsqu’il y a des notions un peu compliquées, par exemple, là il y avait l’Armistice du 11 novembre, il y a un peu plus d’un mois, donc là je me suis intéressée à ce qui pouvait sortir en émissions, en documentaires, etc., pour les réinvestir après dans mon travail. C’est ce qui me vient à l’esprit, comme ça, pour l’instant.

Q2 / Comment cette activité, que vous venez de décrire peut-elle être organisée en terme d’espace et en terme de temps ?

Justement, ce n’est pas très rationnel, il n’y a pas un temps pour la préparation de cours, tel quel, si, bien sûr, il y a certains moments pour préparer le cours, il faut quand même arriver à un certain résultat, mais moi je travaille beaucoup sur le long terme. J’ai beaucoup de mal à m’organiser dans l’urgence, je peux pas prévoir un cours du jour au lendemain. Il faut beaucoup de temps pour ça, il faut plusieurs semaines pour y réfléchir, pour enrichir ma réflexion, chercher les documents, les interrogations qui sont les plus pertinentes pour les élèves. Donc je reviens assez souvent sur mon travail. C’est très long, j’ai pas un cadre vraiment défini, c’est quelque chose d’assez diffus finalement. J’ai besoin de temps, j’ai besoin d’aller voir un peu partout. Je ne peux pas me contenter d’un ou deux manuels, d’un ou deux livres. J’ai besoin d’amasser, déjà, beaucoup de documents, beaucoup de données, de réfléchir beaucoup. Donc j’ai pas vraiment un temps de préparation tel quel.

Q3 / Et en terme d’espace ?

En terme d’espace, où je vais chercher les informations ?

Oui, où le travail se déroule-t-il ?

Alors y a plusieurs emplacements, une grande partie du travail se fait, d’une part, à la bibliothèque, j’aime beaucoup aller lire, aller réfléchir, aller voir ce qui s’est fait comme livres, ça j’aime beaucoup. Ca se fait aussi en réflexion avec les collègues, soit à l’I.U.F.M., soit tout simplement dans mon établissement. Alors j’ai juste ma tutrice en fait, comme c’est un tout petit collège, il n’y a que ma tutrice qui est professeur d’histoire géographie, donc c’est vrai que ça limite un petit peu, mais j’aime bien discuter avec elle. Après, la « macération » se fait chez moi, avec toutes les données, que j’ai amassées, avec tous les conseils que j’ai pu recueillir à droite à gauche. Je fais ensuite une espèce de mise en commun chez moi. (…) Non je n’ai rien d’autre sur l’espace.

Q3 / Comment avez-vous fait l’apprentissage de cette pratique que vous développé ? Comment ça s’est manifesté, cette maîtrise du temps et de l’espace, que vous venez de décrire ?

Bah ! c’est plutôt, c’est sur le terrain, c’est une pratique très empirique en fait, ça s’est fait un peu au fil de l’inspiration. Ayant une formation d’histoire, j’ai fait une maîtrise d’histoire et puis, j’aimerais bien plus tard continuer dans cette voie-là, éventuellement dans une thèse, donc j’ai gardé ce côté-là, aller fouiller dans les bibliothèques, cet aspect-là de ma formation qui joue. Et puis, j’essaye de piocher l’information partout où je peux la trouver, demander des conseils, donc c’est quelque chose de très empirique, c’est pas vraiment réfléchi, j’essaye d’amasser un maximum d’aide et de conseils, comme j’imagine, beaucoup de mes collègues, en tout début de carrière, on n’a pas beaucoup d’expérience, on n’a pas beaucoup de documents chez soi, on ne sait pas exactement ce qui « marche » auprès des élèves ou ce qui ne marche pas, ce qui est compréhensible ou ce qui l’est moins. Donc ça se joue (…) oui, on fait son expérience sur le tas, sur le terrain.

Et qu’est ce qui vous permet de valider, dans l’empirisme, une option plutôt qu’une autre dans ce travail en temps de service ? Qu’est ce qui vous amène à dire au fond « tiens, telle chose fonctionne mieux qu’une autre » ? Est ce c’est simplement une évaluation sauvage ou est ce qu’il a d’autres critères en terme de formation ?

Alors, pour moi ce qui fonctionne, c’est d’une part, on discute pas mal à l’I.U.F.M., on commence à avoir un cadre un peu plus pratique, ce qui était simplement expérience vécue sur le terrain, commence à s’affiner un peu, à se cadrer, là, la rentrée s’est faite depuis trois mois donc bon en trois mois beaucoup de chose se passe. De plus, à force de discuter avec les collèges, qu’ils soient stagiaires ou professeurs, et bien on commence à avoir une perception plus pratique et plus efficace. On sait mieux où chercher, on n’est un peu moins éparpillé justement dans l’espace, on sait mieux où chercher l’information, comment la traduire et finalement avoir un travail plus efficace, de façon à ce que le temps de préparation ne devienne pas exponentiel et gigantesque au point de ronger tout le temps libre, donc oui, on apprend à travailler de façon plus efficace. Mais là encore, oui, c’est par l’encadrement des collègues, par ce que j’apprends à l’I.U.F.M., par ce que j’apprends en classe, on apprend à être un peu moins empirique, un peu plus pratique et théorique. Et là encore, je pense que c’est l’expérience qui joue petit à petit. On doit être de plus en plus efficace au fur et à mesure que le temps passe, du moins j’espère.

Q4 / Si vous aviez aujourd’hui à opter pour des modalités particulières d’organisation de votre travail hors temps de service pour la rentrée prochaine, quels seraient vos choix ?

Des choses que j’ai pas faites à cette rentrée-là et qui seraient utiles pour la rentrée prochaine ?

Quand vous serez à temps plein, quelles seraient les priorités que vous ferrez dans votre travail hors temps de service ?

Alors déjà, j’espère être prévenue un peu plus en avance que je ne l’ai été cette année, et donc passer une bonne partie de mes vacances d’été à déblayer tout ça, surtout si j’ai des niveaux différents, là j’ai des sixièmes et des quatrièmes, donc y a fort à parier, même si je ne suis pas entièrement satisfaite des cours que j’ai pu faire depuis trois mois, je vais quand même reprendre les bases, de ce que j’ai déjà établi. Donc, il y a déjà une partie de ces cours qui sont prêts, mais pour les autres, puisque je vais découvrir finalement, et bien là, tabler d’une part sur des livres d’accompagnement, de programmes, de mises en pratiques qui sont très utiles déjà, pour se faire une idée, des livres que je n’avais pas forcément au début puis qu’on m’a fournis après, qui fournissent une base de travail très intéressante. Même si on ne les suit pas forcément, je m’en inspire, mais sans suivre toutes les directives données. Et puis j’essayerai de mettre en place des fiches d’objectifs beaucoup plus claires que celles que j’ai pu faire en début d’année. Je me rends compte, petit à petit, qu’il faut donner des consignes très claires aux élèves puisque ce qui me paraît clair à moi ne l’est pas forcément pour eux. Donc établir comme ça par chapitre des grandes fiches d’objectifs, savoir être, savoir-faire, etc., et savoir communiquer, pour être plus clair, à la fois pour eux et aussi pour moi, ce qui permet de mieux savoir où on va. Donc c’est ça que j’essayerais de faire pendant les vacances pour préparer ma rentrée et être le plus efficace possible.

Vous disiez au début de l’entretien dans votre réponse à la première question, vous estimiez le temps hors service, à trois fois le temps en service. Je résume. Dans la perspective d’un temps plein, quelle serait votre estimation raisonnable ? C’est un choix personnel que vous émettez.

Y-a fort à parier que se sera la même chose, seulement étant passée à 18 heures, ça va devenir très compliqué, donc je serai obligée de réduire et d’aller plus rapidement à mes objectifs, de passer moins de temps à réfléchir, à préparer mes cours, mais je sais que je ne préparerai jamais mes cours du jour pour le lendemain, c’est pas mon mode de fonctionnement, je m’établis des plannings en fait, je sais que, arrivée à telle date, je dois préparer les cours, pour quinze jours ou trois semaines avant. Je veux toujours avoir un délai devant moi, donc je sacrifierai autre chose, je sacrifierai une partie de mon temps libre pour quand même avoir un délai. Mais je passerai peut-être pas de un à trois comme rapport, entre mon temps de présence et mon temps de préparation, mais de un à deux. Je pense pas que je puisse baisser ça. Au moins pour les premières années, puisque c’est aussi la découverte de niveaux que je n’aurais pas forcément eus, mais je pense au moins les deux premières années à temps plein, ce sera ça. Et puis, je dis ça aussi par rapport à l’expérience d’amis, de cousins, cousines, qui sont eux aussi passés par-là et qui ont quelques années de plus que moi et qui ont donc vécu leurs premières années d’enseignement à temps plein, et qui eux - aussi ont eu pas mal de temps de préparation.

Q5 / Il y a une thématique sur laquelle je souhaiterais faire une relance, c’est l’organisation que vous avez décrite, en ce qui vous concerne, le travail hors temps de service devant élèves. Pensez-vous que cette organisation soit différente selon que le professeur est un homme ou une femme ? Pensez-vous que ce critères-là puisse jouer dans les modalités d’auto organisation du professeur ?

Euh ! je ne sais pas si c’est vraiment une question de sexe, mais plutôt d’organisation habituelle. Tout au long de mes études, j’ai toujours travaillé de cette façon-là, il me faut beaucoup de temps, j’aime avoir du temps devant moi, je me fais des plannings pour m’organiser, pour ne pas être prise de cours à la dernière minute. J’ai des amis, donc des garçons, qui fonctionnent de la même façon et puis j’en ai d’autres au contraire qui s’y prennent à la dernière minute et des filles également. Moi, dans les gens que je côtoie, il n’y a pas cette différence vraiment, hommes et les femmes. Après, je ne connais pas assez de professeurs, non plus, pour mes faire une idée. Mais il ne me semble pas a priori que ce soit si déterminant. Non, je n’ai pas une opinion tranchée là-dessus.

Est-ce que ça pourrait avoir une influence dans la prise de fonction ?

Le fait, d’être une femme ? Dans certains types d’établissements, dit plus sensible ou autre, je pense que ça peut jouer énormément, et spécialement entre un homme et une femme, mais je le remarque notamment avec la classe que j’ai. Une classe de quatrième qui est assez agitée et assez difficile. Euh ! on est une majorité de femmes assez jeunes, et il y a un prof, un peu plus âgé et qui est devenu professeur principal et les élèves se sont tout de suite assagis, je devrais dire par rapport à lui, alors qu’ils restent encore assez agités avec les autres professeurs féminins. Je pense que quelque part, dans l’autorité, ça joue un petit plus. Je pense qu’il reste un prestige, enfin, c’est un terme impropre, une autorité qui semble plus naturelle chez un professeur homme que chez une femme, même si c’est pas un constat sans appel, bien sûr.

Et ça aurait une influence, selon vous, sur le travail hors service, le fait d’avoir cette différence que vous mentionner pendant le service ?

Non, je la ressentirais plus en service, devant les élèves qu’à l’extérieur. Ca me semble plus nébuleux à l’extérieur cette organisation du temps.