2) Formalisation de la « scène du travail personnel » :

La « scène du travail personnel » s’inscrit, pour l’essentiel, dans deux espaces : le domicile de l’enseignante et l’établissement dans lequel elle effectue son stage en responsabilité. Un troisième lieu est mentionné, qui est d’ordre privé: « le domicile d’un ami » ; il apparaît en fin d’énumération et, selon les propos qui sont tenus, il est utilisé de manière complémentaire aux deux autres espaces, en fonction de besoins informatiques dont la spécificité n’est pas précisée. On peut postuler, en fonction des activités décrites, que le domicile personnel constitue le premier lieu dans lequel se déploie le travail en dehors du service devant élèves ; la description des activités de l’informatrice en témoigne de plusieurs manières : plus que par la spécification des lieux eux-mêmes, c’est par la hiérarchie implicite perceptible dans le discours, à travers les indices temporels qu’il contient, qu’il nous est possible de circonscrire cet espace composite.

Ainsi, en rapprochant les données relatives à la préparation des cours, à la correction des copies et à la lecture des différentes traces écrites collectées, d’une part, et, d’autre part, les indications concernant les activités qui mobilisent l’enseignante dans l’établissement, le domicile paraît constituer le lieu principal de l’activité. D’un point de vue temporel, l’estimation - entre quinze et vingt heures en plus du service (de 4h à 6 h) devant élèves - nous autorise à soutenir que la majeure partie de ce travail ne peut être effectuée dans l’établissement 355 . Les indications fournies en matière de tâches ou d’activités dans le lycée ne sont pas homogènes : on oscille entre une fréquence élevée (I.a.Q4.3.1) et une fréquence aléatoire (A.f.Q.4.3.1, C.d.Q1.4, H.b.Q2.4.2).

Pour ce qui est de la saisie informatique, nous pouvons, en outre, supposer que le poste personnel, auquel il faut ajouter, occasionnellement, celui d’« un ami », reste le plus utilisé ; en effet, lorsqu’il est question du matériel du lycée, on parle de « l’ordinateur du lycée » : ne s’agit-il pas d’une unique machine, mise à disposition de l’ensemble du personnel enseignant pour y effectuer de multiples tâches, comme c’est souvent le cas dans les petits établissements ?

En considérant l’ensemble de l’activité décrite dans l’entretien, la quantité de travail afférente à une heure de cours est estimée par notre interlocutrice à « deux heures de préparation », dont conception et saisie et « un quart d’heure par copie ». Il ne nous est pas possible, par manque d’indications plus précises, d’établir, à partir de la seconde donnée, une moyenne par heure de cours ; nous pouvons néanmoins postuler que, pour un temps-plein de dix-huit heures, pour un certifié, correspondraient trente-six heures de préparation, soit un total de cinquante-quatre heures par semaine d’activité, auxquelles il conviendrait d’ajouter un quart d’heure par copie, multiplié par le nombre d’élèves, ainsi que les concertations et autres conseils. Cette perspective astreignante suscite ce constat : Q2 / « bon, j’espère qu’avec l’expérience, j’mettrai beaucoup moins. »

Outre les explications que la situation de néophyte peut contribuer à fournir en matière de temps d’activité, il est patent que le phénomène doit être amplifié par la volonté d’élaborer, avec une avance que l’informatrice estime raisonnable, la préparation des chapitres ultérieurs.

La trame spatio-temporelle est donc structurée, à partir d’une programmation à moyen terme, par l’usage intensif de l’informatique (B.d.Q2.4.1), qui supplante, en quantité, les autres types d’activités : les lectures additionnelles (G.c.Q.2.4.1), les échanges avec les collègues de la discipline (A.f.Q4.3.1, F.a.Q4.3.1) ou avec le professeur principal (F.b.Q4.3.2), les rencontres avec des parents (C.d.Q1.4) ; seules, les corrections et vérifications des traces écrites mobilisent l’informatrice d’une manière aussi significative que la saisie, et la formalisation sur ordinateur, des cours et autres documents (D.b.Q1.2).

L’orientation du travail est indéniablement didactique : on relève à ce propos que, lors de l’entretien, d’éventuels contacts avec des professeurs d’autres disciplines n’ont pas été évoqués, à l’exception, sans doute, du professeur principal auquel il est fait allusion, au titre de sa fonction. Par ailleurs, le champ éducatif n’est pas abordé en tant que tel. On doit noter, cependant, que la prise en compte des destinataires du travail accompli en dehors des cours est patente, et cette préoccupation des besoins et du cadre réel du travail des élèves semble traverser l’activité tout entière et en influencer le rythme aussi bien que le contenu (C.a, b, c, D.a, b, E.a, b, c). Cette démarche, qui intègre donc des normes didactiques et des données pédagogiques, ne paraît pas avoir de portée repérable sur l’organisation spatio-temporelle dans l’établissement ; en effet, le suivi, individuel ou collectif, des élèves n’est pas évoqué comme source de mobilisation dans ce cadre. Nous constatons que deux canaux permettent au professeur-stagiaire d’acquérir une connaissance raisonnable des élèves : les traces écrites et copies qu’elle collecte régulièrement (D.b.Q.1.2, Q.1.3), et les informations ponctuelles qu’elle peut rassembler concernant la classe (D.a.Q.4.1).

Les partenaires qui interviennent sur la « scène du travail personnel » sont clairement nommés et peu nombreux. L’entretien avec le professeur principal retient, tout d’abord, l’attention (F.a.Q.4.3.2), par sa régularité, d’une part, et par son motif : « les progrès des élèves ». Cette démarche contribue donc à nourrir la préoccupation citée préalablement. L’absence de mention du professeur conseiller-pédagogique est notable : sa place n’est pas explicitée, en tant que partenaire dans la sphère du travail personnel, que ce soit au sein de l’établissement ou en lien avec la sphère formative.

En complément du recours à l’informatique, dont nous avons déjà souligné la prégnance, nous constatons que les autres types de supports sont limités : en dehors des travaux d’élèves, il n’est fait allusion, à une seule reprise, qu’à des programmes (G.c.Q2.4.1), en assortissant, en outre, cette mention du qualificatif de « petit travail ». On a donc affaire à une démarche d’ensemble empirique et pragmatique, dans laquelle les observations issues du terrain et les constats d’expérience sont enrichis par les conseils reçus en formation (E.b.Q.3.1.1). Le recours additionnel à des ouvrages de référence, didactiques ou généralistes, ne semble pas faire partie des procédures coutumières de notre interlocutrice.

Nous trouvons, en quelque sorte, une confirmation de cette conception du schéma d’organisation professionnelle dans la réponse à la dernière question ; ce qui compte, que le professeur soit une femme ou un homme, tient en trois exigences : connaître les mathématiques, pouvoir les expliquer, avoir préparé son cours.

Notes
355.

Compte tenu, également, des jours dédiés à la formation en instituts public et privé.