2) Formalisation de la « scène du travail personnel » :

En matière d’espace, trois lieux sont nommés, et nettement hiérarchisés : le domicile (bureau), des espaces culturels publics (bibliothèque ou lieu équivalent), et, enfin, l’établissement (la salle des professeurs). La formulation adoptée - « ça peut être… » - laisse supposer que l’usage des ces différents lieux obéit plus aux besoins immédiats qu’à un plan préconçu et stable. Cependant, pour nuancer cette remarque, on doit souligner que chacun des lieux, qu’elle qu’en soit la fréquence d’usage, répond à un besoin particulier : l’établissement pour « la discussion avec les collègues », la relecture, l’impression et la duplication des supports et documents, les espaces culturels « pour trouver les documents », le domicile, pour toute autre activité professionnelle, car « c’est, généralement, l’espace le plus propice. » Ainsi, l’on constate que chaque lieu est assorti d’une fonction principale, non-interchangeable, et que la fréquentation des bibliothèques ou de l’établissement est occasionnelle, l’espace central demeurant le bureau, « chez soi. » En outre, il convient de souligner que l’informatrice distingue deux registres dans la délimitation des espaces de travail personnel : ce qui est « matérialiste » et ce qui l’est « un peu moins », le domicile et les espaces culturels étant utilisés pour la première catégorie, la salle des professeurs pour la seconde. Par défaut, nous en conclurons que l’établissement n’est pas, majoritairement, un lieu d’activité « matérialiste » - préparation lourde et correction -, ce qui renforce la part du domicile et des espaces publics en ce domaine.

Le volet temporel de la « scène du travail personnel » confirme cette prédominance du domicile en tant que lieu central de l’activité. La fréquence - « chaque jour » -, ainsi que la périodicité - « le soir… après dîner… les week-end » - indiquent nettement que le bureau personnel doit être l’espace dans lequel s’effectue principalement la production. La réflexion relative à l’équilibre souhaitable entre vie personnelle et vie professionnelle (I.b.Q.5.2) fournit un indice à propos de la tension qui peut, selon la perception qu’en a l’interlocutrice, résulter de cette situation.

Le temps de travail personnel, tel qu’il nous est décrit, revêt une autre caractéristique qui semble amplifier sa prégnance sur la vie personnelle de la jeune enseignante : il est difficile, nous dit-on, de le (le temps) contenir dans des limites précises car « il est pas mesurable », « c’est in quantifiable. » Cette absence de bornage pourrait avoir des conséquences sur l’organisation générale du travail personnel. En premier lieu, il s’agirait d’une entrave à la programmation raisonnée de l’activité et à sa mise en œuvre régulée ; en second lieu, le risque permanent de débordement inopiné pourrait inciter le professeur-stagiaire à limiter ses engagements dans l’établissement, afin de disposer, en permanence du volume horaire utile ; enfin, - en considérant bien que nous avons affaire à une situation professionnelle initiale et provisoire -, on pourrait penser que le seul moyen de contrôle sur le temps de travail personnel consisterait à acquérir, selon ses propres termes, « des méthodes de travail », et à « réfléchir au mode d’organisation /…/ pour pouvoir être efficace. »

En prenant en considération la description des tâches et activités, nous constatons que l’option privilégiée par l’informatrice est chronophage, car elle met en jeu, selon ce quelle en dit, sa responsabilité directe dans la fixation et l’ajustement constant des choix didactiques et pédagogiques. Le schéma qu’elle a adopté articule les tâches de préparation et de correction avec des activités réflexives permanentes qui incluent, en particulier, la recherche de remédiation. Cette réflexion critique est sous-tendue par le postulat de la perfectibilité de la démarche et du dispositif didactiques (A.b.Q.1.4, A.d.Q.2.4, C.b.Q.2.2, D.b.Q.3.2, F.a.Q.3.1). La réflexion se situe en « amont et en aval du cours » ; elle mobilise donc, en permanence, un temps de travail dont le volume est directement déterminé par les conditions de la mise en œuvre de la séance ou de la séquence précédente.

Nous notons que les supports et matériels utilisés habituellement ne sont pas clairement nommés : les mots génériques « documents » et « supports » sont les seuls indices qui nous sont livrés. Les procédures et démarches adoptées, ainsi que les buts qu’elles autoriseraient à poursuivre s’inscrivent donc dans ce cadre. Aussi est-il possible de circonscrire un système relativement cohérent et autosuffisant ; la démarche réflexive est constituante de l’identité professionnelle (B.a.Q.1.1) et favorise la reconsidération de l’activité au regard de ses effets estimés (B.b.Q.1.2) ; le processus d’amélioration de la production obéit à un principe de continuité et donne lieu à infléchissement des méthodes - introduction de la notion d’objectif (B.d.Q.4.1) -.

Les buts que ces procédures et démarches semblent concourir à atteindre sont de deux ordres : en priorité, il s’agit, selon les indicateurs que nous avons pu repérer, de chercher à améliorer constamment les conditions d’apprentissage, au bénéfice des élèves - apprenants. Les destinataires de l’activité sont ainsi clairement dénommés : en matière de documentation, le professeur-stagiaire s’interroge sur ce qui peut convenir à ses élèves (C.a.Q.1.1) ; le temps à consacrer à la régulation dépend « des élèves » et la fixation des objectifs de ce qu’elle veut « faire comprendre aux élèves. » Le second but poursuivi se situe en tension avec le premier : le professeur-stagiaire aspire à une meilleure maîtrise de son propre processus de production didactique ; cela sera d’autant plus crucial, mais difficile à accomplir, que les exigences de remise en cause du travail personnel seront élevées.

Dans une perspective interdisciplinaire, les destinataires des fruits de la discussion avec les pairs peuvent être « les mêmes classes » dans lesquelles ils interviennent. Les collègues enseignants sont donc associés à la réflexion ; il s’agit d’un échange libre, informel, dont chacun peut être l’initiateur (F.a.Q.2.2) ; le groupe partage des conceptions communes (F.a.Q.3.1) et l’informatrice semble en être un membre à part-entière lorsqu’elle déclare: «  on dit toujours … entre nous , entre professeurs… »

Nous remarquons que cette intégration au groupe professionnel se traduit également, de manière ponctuelle, par une formulation généralisante - « on », « nous », « se » - lorsqu’elle évoque ses conceptions du travail d’enseignement (A.a.Q.1.2, A.b.Q.2.4, E.a.Q.3.1, 3.2, 4.1)