2) Formalisation de la « scène du travail personnel »

La « scène du travail personnel » peut s’inscrire, alternativement, dans trois lieux successivement cités : le domicile, les lieux de documentation, l’établissement. Pour chacun de ces trois lieux, on décline la liste des activités qui sont accomplies et les raisons pour lesquelles ces choix ont été faits.

Nous notons, d’emblée, que les options dont il est question peuvent être éclairées par deux motifs complémentaires : des activités « ponctuelles » sont effectuées au domicile, car le travail extensif du soir n’est pas une habitude antérieurement contractée par le professeur-stagiaire, et parce que le lieu ne se prête guère à un travail de longue durée (l’appartement est petit et l’ergonomie du mobilier peu incitative) ; des activités spécifiques sont accomplies dans l’établissement, qui sont liées à la présence de collègues - de la même discipline - susceptibles d’être sollicités ou observés, et, également, à l’accès au matériel de reprographie 359  ; la recherche des textes et la confection des cours se concentre dans les lieux de documentation, puisqu’ils avaient été fréquentés précédemment par l’informatrice et qu’ils lui permettent d’accéder à l’essentiel des ressources dont elle a besoin 360 .

Dans la plupart des cas, les activités énumérées ci-dessus répondent à des tâches prescrites (réunions, évaluation et correction, programmation et progression, entretien avec le PCP) ou à des normes (J.a.Q.1.3) intégrées par le professeur-stagiaire ; sa propre initiative est essentiellement repérable dans le domaine de la répartition des plages de travail (D.d.Q2.1.1, Q2.2, H.b.Q3.2.)

Les effets de cette influence des normes professionnelles sont indéniables. Ils génèrent une perception temporelle de l’activité qui prend alors trois dimensions : l’anticipation nécessaire, que ce soit en matière de programmation ou de projection dans des situations professionnelles ultérieures, amène l’informatrice à mobiliser son attention en dehors des temps strictement scolaires ; cette tension ne se dément pas dans le temps scolaire lui-même, à cause de la fréquence - quotidienne -, du travail de réflexion et de conception ; il résulte des deux précédents phénomènes un effet cumulatif qui, lié aux spécificités de la discipline enseignée, motive l’usage, à deux reprises, de l’adverbe « énormément », pour qualifier le travail du professeur de Français, d’une part, et du professeur débutant, d’autre part (I.b.Q.1.4 et Q4.1.)

Les démarches et procédures adoptées et les buts dont elles sont censées faciliter l’atteinte paraissent relativement stables et, apparemment, peu marquées par des conceptions antérieures du travail personnel en milieu universitaire. Lorsque le lieu de travail (bibliothèque) a déjà amplement été fréquenté, un changement de posture semble avoir favorisé le renouvellement du point de vue (C.b.Q3.1.) L’entretien ayant eu lieu à la mi-novembre, le degré déclaré d’intégration des normes professionnelles aurait donc été particulièrement rapide 361 . Les deux types de capacités mis en œuvre sont liés à cette démarche d’intégration : le discernement, dans les choix de supports et de documents mais, surtout, dans les adaptations aux destinataires du travail personnel du professeur-stagiaire ; la capacité à modifier ses habitudes pour mieux tenir compte du cadre de travail appréhendé progressivement, et, en outre, du cadre ultérieur dans lequel il faudrait pouvoir s’intégrer durablement (E.a et b.)

La « scène du travail personnel » que nous tentons de circonscrire est donc encore en gestation. Si certaines de ses composantes paraissent clairement définies, d’autres sont encore au stade de l’ébauche. Ainsi, l’appréhension du temps de travail personnel du professeur donne lieu à une comparaison qui peut traduire une forme d’incertitude identitaire : « comme les élèves » (QI.c.Q3.1), « je me retrouve, quelque part, un peu au même stade que mes élèves » (script de l’entretien, réponse à la question 3.) La rupture avec les formes rituelles du travail personnel de l’étudiant - en Lettres modernes -, entraînerait-elle une résurgence des pratiques qui s’étaient structurées dans le Secondaire ? Rien, dans l’entretien, ne nous permet de statuer sur ce point ; « comme les, au même stade que mes élèves » n’équivalent évidemment pas à « comme lorsque j’étais élève 362 » ; la comparaison pourrait donc plutôt illustrer la parenté entre des modes de travail, certes distincts, en fonction des statuts et des rôles, mais liés par un schéma temporel partagé. La notion d’emploi du temps aurait alors toute sa pertinence.

En dehors de ce type de comparaison, les destinataires du travail personnel du professeur-stagiaire sont clairement désignés (C.a, b) et peuvent influer, nous dit-on, sur la programmation et sur la progression élaborées initialement. Les motifs d’infléchissement peuvent être fournis par l’observation directe (C.b.Q1.2, Q1.3) ou par le conseil de pairs expérimentés (C.a.Q1.1.) La prise en compte des destinataires peut également intervenir dès la phase initiale de construction du projet (C.b.Q1.3,1.4, 3.1.)

Les conceptions sous-jacentes paraissent plus empiriques que théoriques. Pour avancer cette estimation, nous nous basons sur deux indices :

  1. l’absence de référence à des programmes ou instructions, à des ouvrages didactiques, aux modules de formation disciplinaire ;
  2. la valorisation, par l’informatrice, de l’observation de ses propres cours des cours de sa PCP, et des conseils prodigués par les pairs dans l’établissement.

Cependant, certaines limites ont entravé notre compréhension des conceptions de l’informatrice :

  1. la mention initiale d’activités éducatives (A.d.Q.1.9), et l’usage du terme « enfants » ne trouvent pas d’illustrations dans la description de l’activité dans l’établissement (F.b.Q2.1.1, 2.1.2, H.c.Q.2.1.2, 3.2.) ;
  2. la dimension individuelle de la prise en charge des élèves n’est pas évoquée.

La tentative de définition du travail préparatoire qui est esquissée dans la réponse à la question 1 (D.a.Q.1.1) peut, en résumé, nous permettre d’accéder à la logique qui anime la « scène du travail personnel » ; nous croyons y détecter l’articulation entre trois dimensions, prises en compte successivement : universitaire - c’est l’adjectif utilisé -, didactique - « le travail pour soi », « bâtir la séquence, la séance » -, pédagogique - prise en compte du point de vue de l’élève, de la mise en œuvre du cours -.

Notes
359.

Le matériel informatique ne fait l’objet d’aucune mention, et les pratiques documentaires ou de prise de notes demeurent fort traditionnelles.

360.

Nous n’avons pas trouvé mention d’une bibliothèque au domicile ou d’un C.D.I. dans l’établissement.

361.

L’expérience de pré-professionnalisation acquise à lU.C.O. aurait-elle permis un accès préalable aux normes en question et, partant, une maturation du projet d’enseigner ?

362.

C’est nous qui formulons.