2) Formalisation de la « scène du travail personnel « :

La « scène du travail personnel » s’inscrit dans deux espaces principaux : le domicile de l’informatrice et les lieux de documentation qu’il lui est nécessaire de fréquenter dans le cadre de son travail professionnel de recherche, qu’il s’agisse des champs académique, didactique et pédagogique. On peut concéder que le second type d’espace ne possède pas, en tant que lieu de travail, le caractère homogène du premier ; de toute évidence, il est décliné en plusieurs sous-ensembles spécifiques qui amènent l’informatrice à se déplacer, selon ses besoins du moment. Il peut s’agir d’un espace public (bibliothèque), d’un centre dédié à l’activité professionnelle (C.R.D. de l’I.U.F.M., C.D.I. du lycée où se déroule le stage en responsabilité). Il est notable que la mention de ce dernier lieu constitue la seule référence à l’établissement, en tant que lieu de travail ; nous devons donc considérer que l’activité qu’y accomplit l’informatrice se limite aux cours.

Le domicile est donc l’espace de travail qui prend le pas sur les autres. Il s’agit de « l’endroit où on se retrouve le plus finalement » (H.dQ2r2.1); « Donc, c’est vrai que je passe beaucoup de temps à travailler chez moi » (H.dQ2r2.2) ajoute-t-elle.

Physiquement ou matériellement, le domicile n’est cependant pas doté, dans la description que nous en livre l’informatrice, de caractéristiques concrètes qui en illustreraient la spécificité, en tant que lieu principal du travail personnel ; ce sont ses fonctions qui sont explicitées : le domicile comme lieu de travail de conception, de planification, de programmation et de correction. On y est « plus au calme. » (H.dQ2r2.1).

Le volet temporel de la « scène du travail personnel » est caractérisé par une dominante quantitative, les expressions abondent qui en attestent ; elles qualifient tantôt la durée estimée des tâches qu’il faut accomplir, tantôt, et de manière plus imprécise, des volumes relatifs au temps global de travail. Ainsi, on peut citer, dans le premier cas, en dehors des cours eux-mêmes, « entre quatre et six heures par jour /…/ les week-ends pareil. » (I.a.Q2r1.2). Pour le second cas, les expressions « très important », « assez énorme », « beaucoup plus de temps », « beaucoup plus d’heures » contribuent à illustrer la perception que l’informatrice se fait du travail personnel du professeur.

Deux points particuliers méritent, nous semble-t-il que l’on s’y attarde : le degré de généralisation perceptible dans le discours qui nous a été tenu, et la conception sous-jacente du volume de travail personnel global d’un professeur.

L’emploi fréquent de « on » de préférence à « je », qui s’étend d’ailleurs à d’autres aspects du discours, confère à ce dernier une visée généralisante, qui tend à minimiser l’impact des choix personnels au profit d’une situation qui s’imposerait à tous ; néanmoins, il n’est pas possible de déterminer avec fiabilité ce que ce collectif recouvre : le moins improbable serait qu’il s’agisse du groupe des pairs, professeurs-stagiaires en Histoire-géographie, le type de travail décrit, notamment pour ce qui relève du comblement des lacunes académiques, semble en apporter quelques indices concordants. Dans ce volet de l’entretien, le travail envahit le temps et l’espace personnels du jeune professeur-stagiaire d’une manière apparemment irrépressible

L’analyse qui est faite de cette situation met en exergue quelques caractéristiques saillantes. Le surcroît de travail est dû au nécessaire investissement initial dans plusieurs domaines connexes : académique (compensation des lacunes), didactique (connaissance des programmes), pédagogiques (connaissance des méthodes et des publics) ; à l’étape suivante, l’année de prise de poste à temps-plein, ce travail constituerait, selon ce que déclare l’informatrice, un terreau qu’il ne resterait qu’à faire fructifier. L’effet escompté revêt un aspect spectaculaire puisque l’informatrice avance l’idée qu’elle aura « beaucoup plus d’heures de cours et beaucoup moins d’heures de travail personnel. » (I.a.Q4.2). Une conception personnelle se fait jour dans cette formulation : il est possible de faire fructifier l’investissement de départ en matière de recherche, de conception, de planification en réduisant significativement la charge de travail personnel dès la prise de fonction à temps-plein. Cela signifierait que la situation nouvelle dans laquelle on se trouvera ne générera ni questions inédites dans les domaines mentionnés, ni besoins spécifiques dans des domaines non-encore explorés (travail d’équipe, réponses à des questions éducatives, etc.) En outre, si l’on compare les deux phrases « il va falloir que j’arrive à gérer tout en essayant de ne pas travailler trop » et « j’aurai plus d’heures de cours et moins d’heures de travail personnel », on peut constater que l’enjeu est bien de « s’adapter », selon l’informatrice, en vue de limiter l’investissement global à un volume raisonné, sinon raisonnable. En d’autres termes, le volume de travail cumulé, cours et extérieur, devrait pouvoir être contenu dans des limites implicites, ce qui laisse supposer qu’il s’avèrerait nécessaire d’effectuer des choix judicieux afin de ne pas dépasser ces bornes : « ne pas travailler trop. » (E.c.Q4.4).

Nous devons donc considérer que l’organisation qui nous est présentée a un caractère provisoire, sur le plan de la quantité de travail consacrée aux différentes activités et tâches répertoriées, y-compris celles dont l’approche en est à un stade exploratoire ; néanmoins, le volume global de travail pourrait préfigurer une matrice plus durable, à l’intérieur de laquelle des équilibres nouveaux pourraient advenir.

Les tâches et activités principales sont celles qui ont été mentionnées plus haut, lors de la délimitation des espaces de travail. Le double vocable s’applique particulièrement bien à la « scène du travail personnel » sur laquelle nous nous penchons ; en effet, elle relèvent à la fois de tâches officiellement prescrites (au plan national, et médiatisées dans la formation au plan local), et rigoureusement assumées dans le travail quotidien, constituant ainsi le cœur des activités de l’informatrice. Il nous faut souligner que la prise en compte d’autres tâches liées à l’activité prescrites au sein de l’établissement scolaire n’est pas abordée.

Les procédures et démarches adoptées le sont au service des tâches et activités décrites ; elles mettent en jeu des processus conceptuels et réflexifs au moyen desquels l’informatrice semble chercher à garantir la validité théorique des choix effectués. A ce propos, nous notons que, dans la recherche d’une meilleure connaissance individuelle des élèves, une mise à distance est instaurée puisqu’il est question de les connaître « à travers les copies », « à travers leur travail. », sans que les indices directs prélevés en cours ne soient associés explicitement à cette étape. Les supports et matériels utilisés découlent des choix généraux effectués.

Les destinataires du travail personnel du professeur sont évoqués de manière virtuelle et, dans les formulations adoptées, la neutralité domine : « un professeur va enseigner à ses élèves » (C.a.Q1.1), « des capacités de tel ou tel élève » (C.b.Q1.3), « connaissance des élèves » (C.c.Q1.4), « copies d’élèves» (C.c.Q2r2.1). Elles font écho à celles qui sont en usage dans les textes officiels sur lesquels s’appuie l’informatrice dans son travail de conception et de programmation, aussi les destinataires sont-ils appréhendés en référence à l’enseignement dispensé.

Dans l’ensemble de l’activité qui se déroule sur « la scène du travail personnel » que nous analysons, l’absence de partenaires associés est flagrante. Nous ne pouvons prendre les pairs professeurs-stagiaires en compte, même s’ils sont cités à propos de l’apprentissage du travail en équipe, puisque le volet formatif n’avait pas, au moment de l’entretien, fait l’objet d’une transposition dans l’exercice professionnel lui-même ; l’informatrice dit être « en attente d’avoir d’autres méthodes de travail, une méthode de travail peut-être plus en équipe (Q3)».

La singularité biographique inhérente au modalités de suivi du cursus universitaire de l’informatrice éclaire les orientations qu’elle dit privilégier : son autonomie, son indépendance prennent le pas sur la recherche effective de coopération, fût-elle embryonnaire. Similairement, sa conception initiale des exigences du travail disciplinaire ne paraît pas avoir subi de mutation alors que le cadre de référence, devenu professionnel, aurait pu en motiver une reconsidération. Les points de vue que nous venons d’évoquer conditionnent les choix en matière de lieux, de temps, de tâches, activités, et la place accordée, pour le moment, aux partenaires et destinataires.