3.1. L’acquisition versus l’apprentissage

Dans le chapitre précédent, nous avons observé que la plupart des règles apprises en cours ne semblent pas être maîtrisées. Pourquoi cela est-il le cas ? Krashen propose de différencier l’acquisition d’une langue étrangère de son apprentissage. Tandis que l’acquisition ressemble au processus inconscient que parcourt un enfant lors du développement de sa langue maternelle, l’apprentissage se fait explicitement et consciemment. Selon Krashen, l’enseignement de la grammaire fait partie de l’apprentissage. Les règles grammaticales apprises servent à établir le moniteur qui a la fonction de vérifier l’énoncé avant, après ou au cours de celui-ci. Il constate pourtant que ce moniteur ne peut pas toujours être utilisé. Ainsi, il faut remplir trois conditions pour qu’un apprenant puisse s’en servir. D’abord, il faut avoir assez de temps pour recourir au moniteur. De plus, l’apprenant doit se focaliser sur la forme, c’est-à-dire il doit veiller à ce que l’énoncé soit correct au lieu de se focaliser seulement sur le sens. Enfin, l’apprenant doit connaître la règle en question pour utiliser le moniteur d’une manière adéquate. Krashen met en évidence qu’un apprenant peut déjà avoir vu la règle, mais que cela ne dit pas qu’il l’a déjà intériorisée. Ceci a en effet été le cas chez les apprenants testés, par exemple en ce qui concerne les déterminants à valeur possessive qui ont majoritairement été utilisés correctement par les apprenants du niveau A1, mais dont la règle a été oubliée par les apprenants plus avancés. Nous supposons que dans le test, deux des trois conditions ont été remplies, puisque l’attention des apprenants a été focalisée sur la forme et ils ont eu assez de temps pour recourir au moniteur. Les apprenants n’avaient alors pas encore intériorisée la règle dans le moniteur.

La conséquence est que, selon Krashen, l’apprentissage n’est pas souhaitable, puisque dans une situation naturelle, les trois conditions pour utiliser le moniteur ne sont jamais remplies. Ainsi, un apprenant qui a appris une langue mais qui ne l’a pas acquise ne va pas pouvoir la maîtriser dans des situations naturelles. Une langue doit alors être acquise. Dans l’exemple des déterminants utilisés pour exprimer une valeur possessive, ceci n’a pas non plus été les cas. Les apprenants ne les avaient encore ni acquis, ni intériorisés dans le moniteur.

Il semble être vrai que l’acquisition d’une langue étrangère, à l’exemple de l’acquisition de la lange maternelle, paraît garantir le plus de succès. Ainsi, un savoir inconscient et l’utilisation spontanée des formes et du vocabulaire sont le but de tout apprentissage d’une langue étrangère. Comme Krashen le constate correctement, ceci peut être réalisé au mieux si l’apprenant se trouve dans le pays où la langue est parlée et s’il a alors des contacts directs avec celle-ci. Ainsi, il est vrai que l’apprenant du niveau A1 qui a passé quelques temps dans un pays francophone, a mieux su utiliser les déterminants que les autres apprenants du même niveau. Pourtant, la plupart des apprenants n’ont pas l’occasion d’acquérir le français dans un milieu naturel. La seule possibilité qu’ils ont, est de suivre un cours de langue. Que faut-il alors faire pour que les structures apprises fassent partie du moniteur ? Ou encore, comment la langue est-elle acquise dans un environnement artificiel ?