3.2. La découverte et le réemploi de la langue étrangère

Selon Krashen, l’acquisition se réalise à l’exemple de l’acquisition naturelle d’un enfant. Il observe qu’un enfant reçoit d’abord de l’input pendant les premières années de sa vie, avant qu’il commence lui-même à parler. Il propose alors la même chose pour l’acquisition d’une langue étrangère. Ainsi, Krashen constate que l’input joue un rôle primordial dans l’acquisition d’une langue. L’apprenant va se retrouver dans une situation où il entend et lit une grande quantité de la langue étrangère et va alors lentement développer un sentiment pour la langue. Il va d’abord développer des compétences dans la compréhension, puis, petit à petit, va se sentir capable de reproduire des énoncés. Krashen met en évidence qu’il est important de ne pas forcer l’apprenant à produire de l’output, mais d’attendre jusqu’à ce que l’apprenant se décide lui-même de parler. Il pourra alors produire des énoncés sans peur et aura déjà des compétences pour se sentir assuré. Pourtant, des conditions précises doivent être respectées pour arriver à une acquisition à partir de l’input. L’apprenant doit comprendre l’input, il doit alors d’abord se focaliser sur le sens du message et non pas sur la forme, de plus, le message doit avoir la difficulté i + 1 (i étant la compétence actuelle de l’apprenant). Ainsi, le message doit toujours se trouver un peu en dessus des compétences de l’apprenant. Si le message était exactement i, l’apprenant n’apprendrait rien, si le niveau du message était beaucoup plus élevé que i, l’apprenant ne comprendrait rien et ne pourrait alors pas acquérir les structures du message. Si un apprenant se trouve dans une conversation dans une situation naturelle, l’input de i + 1 est le plus souvent garanti, puisque le locuteur de langue maternelle va adapter son énoncé aux connaissances de l’apprenant, parler plus lentement et utiliser du vocabulaire et des structures plus simples. En cours, c’est l’enseignant qui accomplit cette fonction et qui adapte sa langue et la compréhension orale aux connaissances des apprenants. Krashen remarque qu’un cours de langue est le plus utile pour les apprenants débutants, puisqu’il y a de fortes chances qu’ils ne trouvent que peu d’input compréhensible dans une situation naturelle. Par contre, les apprenants avancés pourraient faire plus de progrès dans une situation naturelle qu’en cours. En ce qui concerne l’output, Krashen constate qu’il ne se développe pas en faisant le plus grand nombre d’exercices, mais qu’il se développe seulement par le biais de l’input. L’output peut seulement être un moyen pour solliciter plus d’input. Plus on produit d’output, plus on reçoit des réactions à celui-ci, et ces réactions peuvent alors à nouveau servir à améliorer les compétences de l’apprenant. Krashen constate pourtant que l’input compréhensible, nécessaire pour l’acquisition, n’est pas suffisant. Il faut avoir de l’input qui n’est pas seulement compréhensible mais également intéressant afin que l’apprenant oublie dans le meilleur des cas que le message est formulé en langue étrangère.

Généralement, dans un cours de langue étrangère, l’apprenant est forcé de produire de l’output avant de se sentir prêt. Dans ce cas, il va produire des énoncés sans avoir les compétences nécessaires dans la langue étrangère. Krashen prévoit qu’il va alors avoir recours aux connaissances qu’il a dans sa langue maternelle et qu’il va produire des phrases de langue étrangère avec la structure de la langue maternelle. Il constate que cela peut avoir des avantages et des désavantages. D’abord, l’apprenant peut avoir besoin de communiquer certaines idées qu’il ne peut pas encore formuler dans la langue étrangère puisqu’elles se trouvent au niveau i + 1. Pour assurer la communication, il doit alors avoir recours aux structures de la langue maternelle. De plus, comme déjà mentionné auparavant, l’output sollicite à nouveau de l’input, qui le fait avancer dans l’acquisition de la langue étrangère. Un désavantage est le fait que la structure de la L1 n’est souvent pas la même que celle en L2. Ainsi, comme nous l’avons vu dans le deuxième chapitre, des fautes se produisent. Le moniteur ne peut pas toutes les compenser. Krashen constate de plus que le fait même de devoir utiliser le moniteur de manière constante est une manière désagréable pour faire un énoncé. Ce serait un énoncé où plus d’attention est faite à la forme qu’au sens et l’énoncé serait alors réalisé très lentement et souvent de manière inadéquate par rapport au sens de la conversation en cours.

Swain (1985) s’oppose à l’hypothèse de l’input qui prédit que seul l’input peut servir à acquérir une langue étrangère. En effet, elle observe que, bien que l’input joue un rôle important dans l’acquisition d’une langue étrangère, son effet sur le développement des compétences grammaticales par exemple est extrêmement surévalué. Dans une recherche effectuée auprès des élèves ayant accès à beaucoup d’input (s’agissant d’un cours d’immersion), elle constate qu’ils ne maîtrisent pas forcément ni les compétences grammaticales, ni les compétences sociolinguistiques. De plus, les élèves montrent qu’ils ont une très bonne compréhension, pouvant effectuer avec succès les examens qui sont tous en langue étrangère. Il faut alors supposer que l’input (même compréhensible) n’est pas suffisant pour acquérir une langue. Elle observe pourtant que l’input compréhensible n’est pas important pour l’acquisition des structures grammaticales parce que l’apprenant se concentre sur le sens mais parce que, ayant compris et connaissant les intentions du locuteur, il peut se focaliser sur la forme. Swain (1985) suppose alors que les problèmes communicatifs que montrent les élèves sont dus au fait que la vie scolaire ne leur donne pas assez d’occasions pour utiliser la langue. C’est pour cela que certaines formes sont peut-être entendues et comprises mais jamais appliquées à des situations naturelles de production. De plus, elle remarque qu’une compréhension de l’input ne veut pas forcément dire qu’on sait utiliser les mêmes structures dans l’output, puisqu’il faut effectuer une analyse de la structure pour réaliser cela. Si personne ne demande à un apprenant de produire de l’output, l’apprenant ne va pas effectuer cette analyse. Selon elle, ce n’est que si les apprenants sont forcés de produire des énoncés qu’ils vont analyser l’input qu’ils reçoivent et vont alors former des règles (inconscientes) des structures entendues. Ce qui manque alors est l’output. Il sert à donner l’occasion de donner du sens et d’utiliser ses ressources linguistiques. Swain (1985) met également l’accent sur le fait que l’output ne sert pas seulement à produire pour exprimer un sens, mais qu’il sert également à produire un énoncé précis, cohérent et approprié. Celui-ci se réalise uniquement si l’apprenant essaye également d’utiliser des formes qui ne sont pas encore acquises. Swain (1985) compare cette idée à l’hypothèse de l’input de Krashen. Ainsi, selon ce dernier, l’input doit toujours se trouver à un niveau supérieur de celui déjà acquis par l’apprenant (i + 1). De même, Swain (1985) propose alors que l’apprenant doit également se forcer à utiliser des formes qu’il n’a pas encore complètement acquises (« l’hypothèse de l’output compréhensible », Swain (1985 :249) 17 ). Pour acquérir une langue étrangère, il faut alors non seulement donner aux apprenants la possibilité de produire de l’output, mais il faut aussi les encourager et les pousser à le faire.

Weskamp (2001) est d’accord avec Swain (1985) sur le fait que l’output joue un rôle important dans l’acquisition d’une langue étrangère. Même s’il doute que par l’output, l’apprenant intériorise de nouvelles structures (et dans cela il suit l’hypothèse de Krashen), il remarque qu’en cours de grammaire, il faut offrir suffisamment de moments à l’apprenant pour produire de l’output avec les nouvelles structures. Ainsi, il a la possibilité de tester ses hypothèses sur la langue et de vérifier les structures acquises en observant la réaction du locuteur. L’output dans un travail de groupe peut également contribuer à l’acquisition, puisque les apprenant doivent négocier des sens, modifier leurs énoncés et les restructurer s’il y a des problèmes de compréhension.

La conséquence qu’il faut tirer des idées de Swain (1985) et de Weskamp (2001) est qu’il faut le plus rapidement donner la place à l’apprenant pour qu’il produise de l’output. Seulement en parlant et en écrivant, l’apprenant a la possibilité de tester ses nouvelles connaissances. Bien sûr, l’output, aussi bien que l’input, doivent être intégrés dans un cadre communicatif le plus authentique possible. L’apprenant profiterait moins d’un cours si l’input était artificiel et si l’output produit ne pouvait pas servir à l’apprenant dans une situation naturelle. Comme le dit Weskamp (2001), il faut également offrir suffisamment de moments à l’apprenant pour s’entraîner. Nous avons vu dans le chapitre précédent que les apprenants, par manque d’entraînement, ont souvent oublié les structures apprises.

Weskamp (2001) constate qu’au début de l’apprentissage, l’apprenant utilise des stratégies d’évitement et de communication pour faciliter une communication en langue étrangère. Une telle stratégie peut par exemple être le fait d’éviter certains thèmes, l’utilisation d’expressions générales au lieu d’expressions précises ou le recours à la langue maternelle. Si l’on n’encourage pourtant pas l’apprenant à produire également de l’output qu’il ne maîtrise pas encore, il ne va pas améliorer sa compétence à l’oral. En produisant des phrases avec de nouvelles structures, il ferait alors l’expérience de savoir que leur énoncé est incorrect mais que cela ne change souvent rien en la compréhension du sens exprimé. Pourtant, la focalisation sur la forme les forcerait d’éviter des erreurs à l’aide du moniteur.

Nous suivons alors l’approche communicative en ce qui concerne l’importance de l’output et de la focalisation sur la forme. Il faut pourtant bien constater : la forme ne joue pas toujours de rôle. Ainsi, dans les moments où les apprenants font des exercices communicatifs à l’oral, les apprenants se focalisent sur le sens et non pas sur la forme. Ils servent pourtant toujours à mettre en pratique les formes apprises.

Notes
17.

« Comprehensible output hypothesis » (Swain (1985:249)).