3.3.2. Les approches inductive et déductive

En ce qui concerne la découverte d’une structure, Weskamp (2001) observe que celle-ci fait seulement sens si l’apprenant est arrivé au niveau adéquat dans son interlangue. Il est vrai que cela est difficile à respecter dans des cours de langue où les apprenants ont tous un niveau différent. Comme il est quasiment impossible de connaître et alors d’influencer d’une manière égale les interlangues des apprenants, Weskamp (2001) remarque que la façon dont la médiation des structures est effectuée est alors particulièrement importante. Il propose alors d’introduire les structures par induction pour aussi faciliter l’approche à la nouvelle structure aux apprenants dont l’interlangue se trouve à un niveau inférieur que celui requis.

Par induction aussi bien que par déduction, Krashen entend l’enseignement explicite de la grammaire. Il y a pourtant une différence notable entre ces deux notions. Ainsi, dans l’approche inductive, l’apprenant doit, à partir d’un document, découvrir et développer lui-même la règle d’une structure. Dans l’approche déductive, l’enseignant présente la règle toute faite aux apprenants et met à leur disposition des exemples pour l’illustrer. Lennon (2002) constate qu’il est important de pratiquer un enseignement inductif. Pour trouver les règles des points grammaticaux différents, les apprenants apprennent à utiliser des stratégies qui peuvent également leur servir dans une situation naturelle. De plus, ils retiennent mieux les règles qu’ils ont trouvées et formulées avec leurs propres mots que celles lues dans les manuels. Finalement, cette formulation explicite de règles entraîne une plus grande conscience et un plus grand éveil à la langue. Lennon (2002) remarque également qu’il y a bien sûr aussi des inconvénients pour l’utilisation de l’enseignement inductif. Ainsi, l’introduction des nouvelles structures prend plus de temps que dans une approche déductive, non seulement en classe mais aussi dans la préparation. De plus, l’enseignant doit faire attention à ce que les apprenants ne retiennent pas de règles incorrectes. Certains apprenants réagissent également en se montrant déçus de devoir trouver les règles eux-mêmes et attendent de l’enseignant qu’il réponde à toutes leurs questions avec précision grammaticale. Lennon (2002) constate pourtant que les avantages prédominent. En ce qui concerne le comment réaliser un enseignement inductif, il plaide pour une utilisation de documents authentiques. Il est vrai que pour avoir un document qui contient une multitude des structures qu’on veut étudier, il est plus facile de le construire soi-même. Lennon (2002) remarque cependant que l’utilisation de textes authentiques renforce clairement la motivation chez l’apprenant. D’une part, les apprenants trouvent souvent que les sujets sont plus intéressants, d’autre part, ils se rendent compte de l’authenticité et voient alors le document comme un lien avec la culture étudiée, comme un produit d’une communauté active. Estor (2002) propose de différencier les apprenants débutants des apprenants avancés. Ainsi, elle propose d’introduire une structure de manière inductive, avec une connexion étroite entre sa forme, sa fonction et sa valeur sémantique, quand il s’agit d’apprenants débutants, par exemple de collégiens (« grammaire vécue » 19 ). Il lui semble pourtant important de procéder différemment avec des apprenants avancés, par exemple des lycéens, puisqu’ils ont le plus souvent déjà un certain bagage de structures qui peut aider à comprendre et à acquérir la nouvelle structure. Ainsi, elle propose de commencer d’abord à reprendre les structures connues sur lesquelles la nouvelle forme est basée, avant de procéder à l’introduction de la nouvelle structure. Les exercices se font si possible dans un contexte communicatif. Estor (2002) décrit également que la langue se forme en combinaison des deux hémisphères du cerveau, celle qui est lié à l’émotion et celle qui est lié à la raison. En parlant, un fait compris ou vécu qui se forme dans la première va entraîner la formation des structures dans la deuxième. En ce qui concerne une langue étrangère, il faut développer de nouvelles possibilités de lier les deux hémisphères. Ceci peut être assuré en vivant la langue étrangère dans des situations les plus personnalisées et authentiques possibles. Il faut alors trouver des contextes qui sont des contextes intéressants et qui affectent les apprenants personnellement, dans lesquels se trouvent une multitude de nouvelles structures qui se répètent et qui peuvent être répétés par les apprenants selon leur besoin.

En ce qui concerne le cadre pratique d’un cours de langue, il nous semble important de suivre l’opinion de Lennon (2002) qui estime important d’introduire de nouvelles structures par le biais de l’induction. L’induction permet aux apprenants de trouver eux-mêmes les régularités et irrégularités d’un point de grammaire. Les avantages prédominent largement, puisque les apprenants retiennent mieux les structures traitées. Pourtant, l’objection d’Estor (2002) qu’il faut faire une différence entre les apprenants débutants et avancés nous semble également importante. Ainsi, un apprenant débutant n’a encore aucune connaissance de la grammaire et pourra donc la découvrir avec plus de facilité et de naïveté. En ce qui concerne les apprenants avancés, il est plus difficile de déterminer leur niveau de connaissances. Une nouvelle structure est fortement liée à d’autres et souvent, elle est la suite de structures traitées auparavant. Un point de grammaire se poursuit dans plusieurs niveaux et est donc traité au début de l’apprentissage mais aussi dans les années qui suivent. Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’entre les apprenants avancés, il y en a quelques-uns qui n’ont pas encore intériorisé les points de grammaire traités dans les années auparavant. Il y en a d’autres qui les connaissent, mais qui ne savent pas encore les utiliser et encore d’autres, qui savent les utiliser dans la plupart des cas. Si alors un nouvel aspect de ce point de grammaire est introduit, il nous semble indispensable de revoir l’ensemble des aspects relatés déjà appris. Ceci est favorable à tout le monde : ceux qui ne les maîtrisent pas encore ont la possibilité de « rattraper » le niveau du cours, et même ceux qui les maîtrisent sont situés dans le contexte de ce nouveau aspect de grammaire et savent directement dans quel contexte placer l’utilisation. En ce qui concerne l’enseignement de la grammaire dans des niveaux avancés, il peut alors être utile de revoir les règles de grammaire relatées. Dans ce cas, une approche déductive peut être pratiquée : ainsi, les règles de grammaire sont présentées par le prof (le mieux pourtant dans une sorte de remue-méninges des apprenants), pour après revoir des exemples et pour faire des exercices. Après cela, les nouvelles structures peuvent être introduites, étant alors déjà classées dans le contexte par les apprenants 20 .

Comme déjà mentionné auparavant, nous allons suivre l’approche communicative en ce qui concerne l’importance de la grammaire dans un cours de langue. Ainsi, la grammaire ne représente pas un but en soi, mais est plutôt un des moyens pour réussir à s’exprimer. En effet, la grammaire sert comme aide. Le cours de langue ne se définit alors pas par le point de grammaire traité, mais par le but communicatif qu’on veut enseigner. Une nouvelle structure est alors introduite quand elle peut servir à un but communicatif précis. Après l’introduction inductive du point de grammaire, les apprenants doivent avoir le temps de faire des exercices pour mieux intérioriser la forme et pour mieux retenir également dans quel contexte celle-ci est utilisée. Ces exercices devraient se faire à l’écrit et à l’oral. Selon Cuq (2003), les exercices doivent toujours viser à un objectif spécifique et doivent répondre à une difficulté particulière. Ainsi, selon l’objectif, il nomme des types d’exercices différents :

Comme nous l’avons déjà vu auparavant, les exercices de découverte sont ceux utilisés lors d’une approche inductive. Les exercices structuraux servent à donner l’occasion de répéter, substituer et de transformer les nouvelles structures apprises. Ainsi, la répétition des formes permet de se rendre compte de leur mécanisme et de maîtriser les formes différentes. Elle joue aussi un rôle dans la mémorisation. En substituant des éléments de la phrase, l’apprenant peut s’entraîner aux changements de la phrase que provoque la nouvelle forme. Ainsi, il se rend compte des rapports des éléments dans une phrase ou dans un texte (l’exercice à trou en est un exemple). La transformation de formes dans un exercice structural signifie que l’apprenant doit changer une phrase ou un texte complet selon un schéma structural. Ainsi, il s’agit souvent d’un changement syntaxique qui a lieu après une addition ou une réduction d’une forme (par exemple après une pronominalisation) (Cuq (2003)).

Il faut veiller à ce que les exercices se suivent pas à pas et qu’ils soient bien gradués. Ainsi, il est conseillé de commencer avec des exercices qui demandent la manipulation de la nouvelle forme, sans transformation de la phrase entière. Après une substitution des éléments peut alors suivre la transformation de phrases complètes. Le danger de tels exercices est pourtant que l’apprenant ne se rende pas compte de la fonction communicative qu’a la structure. Ainsi, il faut toujours veiller à ce que les exercices structuraux, qui, certes, ont leur importance dans l’enseignement de la grammaire (répétition etc.), soient alternés avec des exercices communicatifs où les formes sont utilisées dans leur contexte quasi-naturel. Ces exercices permettent à l’apprenant d’utiliser les structures plus librement et de voir dans quel contexte elles sont correctes. Les exercices communicatifs sont le plus souvent effectués à l’oral, mais peuvent également servir à l’entraînement de l’écrit (par exemple écrire des lettres, des commandes etc.). Le plus important semble ici que les situations sont celles où la structure peut ou doit être utilisée. Pourtant, un exercice communicatif n’a pas comme but de forcer l’apprenant à utiliser une structure déterminée mais lui laisse le libre choix de la structure. Ainsi, un jeu de rôle par exemple ne sert pas seulement à s’entraîner à utiliser une forme spécifique, mais permet également de développer des compétences sociolinguistiques et pragmatiques des apprenants. Le fait que deux personnes sont impliquées dans l’exercice amène les deux à réagir à l’imprévu et spontanément dans la langue étrangère.

Notes
19.

« Erlebnisgrammatik »(Estor (2000 :169)).

20.

Pour une élaboration plus détaillée, nous renvoyons au chapitre 4.

21.

Il ne s’agit pas d’une énumération exhaustive.