2) Les collaborations « à distance » de Robert Creeley

Le terme « collaboration », dérivant du latin collaborare, indique un « travailler ensemble », mettant ainsi l’accent sur le processus de « faire » et sur la communauté qu’il implique. Si l’on considère les définitions les plus courantes de l’activité collaborative en tant que travail commun d’un artiste et d’un poète nous remarquons la prévalence d’acceptions évoquant l’échange et le dialogue, ce qui témoigne d’une concentration sur l’acte effectif de « créer » caractéristique du processus collaboratif. Yves Peyré, dans son ouvrage récent consacré aux rapports entre la peinture et la poésie, parle de « dialogue par le livre » 147 , et Robert Miltner, dans son article intitulé « Where the Visual Meets the Verbal : Collaboration as Conversation » 148 , définissant la collaboration comme le produit d’un dialogue entre des individus appartenant à des « mondes » différents, affirme la nécessaire connaissance du langage de « l’autre » de la part de chaque interlocuteur. « The poet must enter into the world of the painter, learning the language which is used for communication in the country of painters », écrit-il. John Yau, fin connaisseur de l’œuvre collaborative de Creeley, tout en soulignant la grande variété des œuvres réalisées par le poète, met l’accent sur la nature fondamentalement dialogique que son processus collaboratif peut, parfois, acquérir: « Collaboration is a dialogue, responses discovered during the process of addressing a theme or subject » 149 , affirme-t-il.

La collaboration de Creeley implique sans doute cette acception dialogique si reconnue et exploitée par la critique. Néanmoins, l’extrême variété de ses projets collaboratifs tout comme l’hétérogénéité de leurs produits nous dévoilent la nature polymorphe de l’activité collaborative elle-même : il est donc difficile, sinon presque impossible, de considérer une seule et unique définition de la pratique collaborative comme exhaustive, surtout dans le cas du travail de Creeley. Confronté à ce même problème, le poète nous paraît effectivement s’intéresser à la définition d’une telle pratique : par ses collaborations il entreprend la recherche d’une définition exhaustive de la pratique collaborative elle-même. Collaborer donc, pour Creeley, signifie avant tout s’interroger sur ce qu’est une collaboration, essayant de proposer des suites à son questionnement par chaque expérience collaborative.

Recherchant une réponse à sa question, le poète témoigne par son activité artistique de la réelle instabilité d’une telle pratique comme du fait qu’elle peut être définie et redéfinie chaque fois par de nouveaux collaborateurs. Cette variabilité de l’activité collaborative semble être un produit de la précarité du rapport entre représentation plastique et linguistique. Comme le souligne Michel Foucault, leur rapport de subordination « ne demeure stable que rarement : car il arrive au texte du livre de n’être que le commentaire de l’image, et le parcours successif, par les mots, de ses formes simultanées ; et il arrive au tableau d’être dominé par un texte dont il effectue, plastiquement, toutes les significations » 150 . Les collaborations de Creeley gardent ainsi ce caractère ouvert (reflet de la nature du dialogue qui les a produites) nécessaire à l’existence de toute œuvre engendrée par une combinaison de langages différents : par des interrogations, des contradictions et par des blancs, elles rappellent au lecteur leur instabilité, reflet de la nature provisoire de la hiérarchie que l’œuvre collaborative établit entre les deux langages employés.

Nonobstant la polymorphie des projets collaboratifs de Creeley, qui produisent des œuvres mouvantes nous échappant constamment, il est possible d’opérer, en utilisant comme paramètre la distance (temporelle et spatiale) existant entre le poète et ses collaborateurs, une taxinomie des ses collaborations. Nous les organiserons ainsi en trois groupes : les collaborations « in praesentia », les collaborations « à distance » et les collaborations « in absentia » 151 .

Les collaborations « in praesentia » rassemblent les projets pour lesquels nous pouvons effectivement parler de dialogue, car l’artiste et le poète sont tous deux présents (partageant un lieu et un temps déterminés) au moment de la création de l’œuvre qui se révèle être le produit de leur conversation et de leurs échanges directs. Les collaborateurs travaillent alors véritablement ensemble pour produire une œuvre « unique » qui, résultant de la fusion de leurs deux langages, porte les traces de leur travail commun 152 . Creeley ne réalise pas de collaborations « in praesentia » pures, où les collaborateurs sont présents en même temps et où l’œuvre est le produit de leur travail commun. Il produit ce que nous pourrions appeler des collaborations « in praesentia impures », car les deux conditions (coprésence des collaborateurs et création commune) ne se vérifient pas ensemble chez lui. Theaters, collaboration réalisée avec le sculpteur Cletus Johnson, en constitue un exemple : l’œuvre est bien le produit d’un travail commun (car les poèmes et les images sont crées les uns en fonction des autres pendant tout le processus collaboratif) mais le dialogue a lieu par le moyen d’un support (fax) puisque les collaborateurs ne sont pas présents physiquement dans le même lieu au moment du travail. La condition de coprésence ne se vérifie donc pas. A l’inverse Drawn and Quartered, conçue avec le dessinateur Archie Rand, présente la condition de coprésence des collaborateurs mais reste, elle aussi, « impure » à cause du décalage chronologique du texte par rapport à l’image qui a été conçue avant les poèmes 153 .

Dans tout dialogue il y a bien évidemment une alternance des voix, une hiérarchie : dans les collaborations « in praesentia » toutefois elle est tellement « mouvante » et instable que l’on en perd presque la perception, croyant parfois à tort que les deux voix sont constamment au même niveau. Le dialogue est tellement serré que l’on oublie que chacun parle à son tour. A cause de leur statut « impur », les collaborations « in praesentia » de Creeley nous rappellent constamment l’existence de cette hiérarchie dialogique qui consiste à laisser parler l’autre pour ensuite lui répondre : le « retard » de l’une ou l’autre forme expressive est toujours révélé, même s’il est masqué partiellement par l’échange entre les deux collaborateurs. Le rapport texte-image confirme d’ailleurs cette alternance dialogique car, comme nous l’avons souligné, à l’exception de Theaters, dans les œuvres collaboratives elles-mêmes le visible et le lisible ne se superposent ni ne se touchent : ils demeurent chacun dans leur espace tout en dialoguant 154 .

Tableau 1 : Les collaborations de Robert Creeley

L’exaltation de cette hiérarchie alternée dans les collaborations de Creeley est également le produit des conditions matérielles de production de l’œuvre : dans la plupart des cas, Creeley collabore avec des artistes internationaux distants physiquement du lieu où il réside. C’est pour cela que nous pouvons affirmer que la grande majorité des collaborations du poète appartiennent à la catégorie des collaborations « à distance ». Le dialogue entre l’artiste et le poète a bien sûr lieu, même s’il se développe à distance et donc par l’intermédiaire d’un support (lettre, email, fax) qui en influence inévitablement le rythme, mettant en plus l’accent sur l’alternance des voix impliquées. Le support constitue ainsi un lieu intermédiaire et provisoire, un lieu de passage d’une importance capitale car il prépare le véritable dialogue entre les deux « langages » ayant lieu par le livre, une fois que la collaboration est achevée. Dans le cas des collaborations « à distance » nous ne parlerons pas toutefois uniquement de dialogue, mais aussi de « réponse », terme d’ailleurs souvent utilisé par Creeley pour décrire son attitude collaborative, ce qui suppose la préexistence d’une des deux formes artistiques par rapport à l’autre. Il s’agit effectivement, dans la plupart des cas, de collaborations réalisées à partir de l’œuvre d’art et donc caractérisées par un processus qui va du tableau/sculpture/photo au poème. La distance physique entre les collaborateurs est ainsi accompagnée par un décalage chronologique des œuvres (artistique et littéraire), ce qui fait que généralement le travail de l’artiste, préexistant à celui de Creeley, n’est susceptible de modification que dans l’assemblage avec l’autre (poème, texte en prose). Ceci expliquerait d’ailleurs l’intérêt de Creeley pour la conception matérielle du livre et pour l’organisation des rapports texte-image.

Les collaborations « à distance » peuvent donc être subdivisées en deux groupes selon la préexistence du texte ou de l’image. D’une part nous aurons des collaborations caractérisées par un rapport image-texte. Celles-ci, largement plus nombreuses, dévoilent la primauté du visuel dans l’activité collaborative du poète : la plupart de ses collaborations suivent une direction unique qui va du visible au lisible car Creeley veut laisser à l’art la possibilité de définir les termes du jeu collaboratif qu’il entreprend avec l’artiste. « It is the art », explique Yau, « which sets the terms for the collaboration; it becomes both the frame and substance of his [Creeley’s] experience » 155 . Creeley apprécie ce genre de collaborations car elles lui laissent la possibilité d’agir activement à partir du visible, lui conférant un rôle de « modelant ». Numbers et Parts, réalisés respectivement en collaboration avec Robert Indiana et Susan Rothenberg, confirment notamment le désir de Creeley d’être stimulé par l’image. A propos de la réalisation de Numbers, Creeley raconte:

‘That poem [Numbers] was written on the suggestion of a friend, Robert Indiana. He at first asked if he might use a selection of poems that were published to accompany this sequence of prints, of numbers from one to zero. I thought, wow, what would be far more interesting from my point of view to try to write a sequence of poems involved with the experience of numbers 156 .’

En ce qui concerne Parts, le projet prévoyait également au début un travail du peintre à partir de l’écriture de Creeley, toutefois ce dernier avait ensuite préféré créer à partir des images de Rothenberg qui représentaient des sections de corps d’animaux en mouvement 157 . Le rôle de l’artiste en tant que collaborateur est donc, dans ce cas, de produire des œuvres susceptibles de stimuler le travail du poète. Le peintre et sculpteur John Chamberlain, avec lequel Creeley a réalisé Famous Last Words 158 , en envoyant des reproductions de ses tableaux au poète, se préoccupe justement de leur pouvoir de l’inspirer : « Here are ten prints for whatever use to you », écrit il. « Hope they influence enough to find words you haven’t used for a while » 159 . À ce groupe image-texte appartiennent ainsi les collaborations de Creeley avec Francesco Clemente, Susan Rothenberg, Elsa Dorfman, John Chamberlain, Robert Therrien, Archie Rand, Arthur Okamura, Alex Katz, Donald Sultan, Robert Indiana, Marisol, ou encore Joe Brainard.

D’autre part, à l’intérieur des collaborations « à distance » nous retrouvons des projets marqués par un rapport texte-image. Dans ce cas, Creeley de modelant devient « modèle », position qu’il assume cependant rarement. Le texte peut être alors d’une double nature : il peut être conçu indépendamment du visuel ou expressément pour lui. Dans le premier cas, nous sommes face à des œuvres où le texte est réalisé par le poète sans aucune intention collaborative spécifique et qui est ensuite associé à des images créées par l’artiste en fonction du texte. À l’intérieur de ce groupe nous retrouvons alors, The Dogs of Auckland 160 , Mother’s Voice, Stamped Indelibly et Mabel 161 . Le rôle actif est laissé principalement à l’artiste qui ne crée pas uniquement à partir du texte mais qui agit également en tant que connaisseur de l’œuvre du poète. Les éventuels rapports de référence directe entre le visible et le lisible sont ainsi uniquement le produit du travail de l’artiste, même si le poète peut ensuite jouer un rôle important dans la conception du livre. Dans le deuxième cas, le texte, étant conçu pour la collaboration avec un artiste spécifique, établit des rapports directs avec l’art de celui-ci. Même si Creeley ne crée pas à partir d’une image précise et préexistante, il écrit pourtant des poèmes (ou des écrits en prose) sous l’influence du style artistique de son collaborateur dont il connaît bien le travail. L’écriture cherche ainsi à préparer un terrain favorable à la création artistique : dans cette configuration le rapport entre le poète et son collaborateur est inversé par rapport aux collaborations image-texte où, nous l’avons vu, c’est l’artiste qui se préoccupe de favoriser la création de l’écrivain. Outre The Immoral Proposition, que nous avons analysée en détail dans le chapitre précédent, appartiennent à ce groupe les collaborations de Creeley avec les peintres R.B. Kitaj (A Day Book) et Georg Baselitz (Signs), avec le sculpteur James Surls (There Used to be a Lake) et Pictures, réalisée avec Jim Dine 162 .

Dans les collaborations « à distance » Creeley met l’accent sur la double nature de l’échange qui s’instaure lorsque l’on collabore. D’une part, il existe le dialogue entre le poète et l’artiste qui se développe selon le modèle de l’improvisation jazz ou de la danse. « Someone leads and someone follows » 163 , explique Creeley à propos de son processus collaboratif : il existe bien une hiérarchie entre les deux différents systèmes sémiotiques engagés dans la création, confirme Creeley, même si celle-ci est « mouvante » (car dialogique) et instable tout comme celle qui se produit pendant les jam sessions, lorsque les musiciens alternent dans le rôle de leader, un rôle qui est ainsi provisoirement occupé par chaque membre du groupe alternativement. Cette alternance est en effet caractérisée par le fait que les collaborations « à distance » de Creeley suivent justement le double mouvement image-texte et texte-image dont nous venons de parler. D’autre part, outre le dialogue poète-artiste, il faut considérer le dialogue que le poète engage avec l’œuvre d’art, un dialogue qui ne peut pas être analysé selon le modèle communicatif traditionnel impliquant la présence d’un émetteur et d’un récepteur. Ce type de dialogue se base sur la dimension pragmatique du tableau, c’est-à-dire sur la capacité de l’image à « provoquer » le spectateur en suscitant sa réponse. Ce modèle communicatif fonde l’expérience esthétique en elle-même, constituée par le choc rétinien et le réinvestissement, un réinvestissement qui est traduit, ou mieux « réifié » selon la terminologie chère à Creeley, par l’écriture. Si le premier type de dialogue, entre le poète et l’artiste, n’avait pas lieu et que seul cet échange existait entre le poète et l’œuvre d’art, nous nous trouverions alors face à une troisième catégorie de collaborations que nous pourrions qualifier de « in absentia » car l’artiste serait si loin du poète (chronologiquement et géographiquement) qu’aucun contact, et donc aucun dialogue avec lui, ne serait alors possible. Il est légitime donc de se demander si l’on peut bien parler de « collaboration » dans les situations « in absentia ». Ces situations ne semblent constituer rien d’autre que les bases de la création ekphrastique car il s’agit bien, dans ce cas, d’utiliser le langage pour décrire une œuvre d’art. Nous n’avons aucun exemple dans la pratique collaborative de Creeley de ce type de situation où l’artiste est exclu du travail et où le poète est le seul à prendre l’initiative : ses collaborations sont toujours le produit d’une décision commune de l’artiste et du poète qui, même s’ils sont parfois encouragés par l’éditeur, décident l’un comme l’autre de collaborer.

Il nous semble encore plus difficile de parler de collaboration lorsque la condition d’absence touche les deux collaborateurs. Dans ce cas une troisième personne, souvent l’éditeur, choisit un poème et une image parmi le répertoire de deux artistes qu’il aimerait rapprocher et les assemble à l’intérieur d’une œuvre. Même si l’éditeur choisit le texte et l’image l’un en fonction de l’autre, essayant de les concilier et d’exalter leurs rapports, aucun dialogue effectif ne précède le travail et le visible et le lisible ne communiquent que dans le livre. Dans le domaine des collaborations de Creeley apparaissent ainsi des projets que les critiques ont souvent tendance à insérer parmi ses collaborations, même s’ils n’en font pas vraiment partie. Dreams en est un exemple 164 .

13. Robert Creeley et Duane Michals. Dreams. Periphery & The Salient Seedling Press, 1989. (Couverture. 26,67 x 17,14 cm). John Hay Library, Brown University.
14. Robert Creeley et Duane Michals. Dreams. (Dernière page).

Inséré dans le catalogue In Company, cette « association » entre Creeley, le photographe Duane Michals et l’artiste Karl Klingbiel n’est que le produit de la combinaison d’un poème de l’écrivain avec une photographie de Michals et un monotype de Klingbiel, trois œuvres qui, tout en étant similaires, ayant pour sujet le même motif du rêve, n’ont pas été conçues suite à un accord commun des artistes 165 . Creeley lui même ne considère pas véritablement ce projet comme collaboratif 166 . Le poète admirait le travail de Michals mais, comme il le raconte, c’étaient les éditeurs qui avaient initié et géré tout le projet et les « collaborateurs » ne se sont jamais rencontrés. D’ailleurs à la fin du livre, comme élément paratextuel nous lisons : « Dreams, a collaboration between Ann Noonan and Katy Kuhen. Photograph is a letterpress reproduction of original print by Duane Michals. Cover is adapted from a monotype by Karl Klingbiel ». Ces détails suffisent pour considérer Dreams comme un projet qui, tout en étant intéressant, ne peut pas être considéré comme collaboratif, du moins en ce qui concerne les artistes 167  : la quasi totalité des collaborations de Creeley, même réalisées à distance, sont issues d’un rapport d’amitié des collaborateurs qui se rencontrent souvent avant de démarrer le projet collaboratif pour en discuter 168 . La distance physique n’est donc jamais une distance d’esprit. Comme Hank Hine le raconte par exemple, la collaboration entre Creeley et le peintre allemand Georg Baselitz, qu’il avait suivie en tant qu’éditeur, commence par une rencontre des collaborateurs : « After discussions with Baselitz and an invitation to Creeley, the collaboration commenced with a personal meeting, Creeley travelling with me to the artist’s residence in Germany » 169 .

La coprésence de dialogue (entre les artistes) et de décalage chronologique entre les deux systèmes sémiotiques (généralement du lisible par rapport au visible) que cette classification des projets collaboratifs de Creeley a contribué à mettre en évidence, nous oblige à considérer la pratique collaborative de Creeley par rapport à deux traditions distinctes : d’une part, si l’on parle de dialogue, et donc si l’on se concentre sur le rapport entre le poète et l’artiste, il faut se placer dans le cadre de la tradition collaborative et, principalement, de ce que Peyré appelle le « livre de dialogue ». D’autre part, si l’on se concentre sur la réponse de l’écrivain face aux stimuli de l’œuvre d’art, et donc si l’on considère le rapport entre Creeley et l’objet d’art, il faut analyser son travail collaboratif à la lumière de la tradition ekphrastique.

Notes
147.

Peyré. Peinture et poésie : le dialogue par le livre. Paris : Gallimard, 2001.

148.

Miltner. « Where the Visual Meets the Verbal: Collaboration as Conversation ». Enculturation 3.2 Fall 2001.

149.

Yau. « Active Participant: Robert Creeley and the Visual Arts ». In Company. 48.

150.

Foucault. « Ceci n’est pas une pipe ». Dits et écrits. 643.

151.

Voir le tableau « Les collaborations de Robert Creeley ». Les situations « in absentia » peuvent également être définies comme des « fausses collaborations » car l’étude de la pratique collaborative montre comment ces projets, n’étant pas issus d’un échange direct entre les collaborateurs, ne peuvent pas être considérés comme collaboratifs. A ce propos voir les pages suivantes.

152.

Lorsque l’on parle de travail commun on se réfère à la création d’une œuvre qui était inexistante avant le début de l’activité collaborative : aucune image ne précède la création du poème et, à l’inverse, aucun poème n’est réalisé avant l’image mais ils sont tous deux créés ensemble au moment de la collaboration.

153.

Comme nous le verrons dans le chapitre C2, partie I (« A Form Cut in Space : poétique de la présence »), Theaters est une des seules collaborations dont Creeley estime qu’elle est le produit d’un véritable travail réalisé en commun comme le témoigne le produit du travail, constitué par des sculptures qui intègrent directement dans leur matière des poèmes de Creeley. Toutefois, la distance physique entre les collaborateurs perdure. Dans Drawn and Quartered au contraire, comme le titre le suggère, l’art précède chronologiquement l’écriture. Néanmoins, les artistes ont été en contact direct et donc un dialogue serré s’est produit lors de la réalisation des poèmes que Creeley a écrit directement, en dessous des dessins réalisés par Rand, lors d’une unique session collaborative qui a eu lieu au Castellani Museum, Niagara University. (Voir « Archie Rand » dans In Company CD-ROM). Il est vrai que, à cause de la distance chronologique du texte et de l’image, Drawn and Quartered pourrait également être considérée comme une collaboration « à distance ». Toutefois, ce qui la distingue de ce groupe est le fait que la collaboration est le produit d’un échange dialogique direct entre l’artiste et le poète : ainsi, même si l’image préexiste au texte, elle est toujours susceptible de modifications lors de cet échange. Cette possibilité de variation accordée à l’image distingue ce projet des collaborations « à distance » où, comme nous le verrons, une fois que Creeley reçoit l’image de la part de son collaborateur, elle est rarement retravaillée par l’artiste, et toute modification ne concerne que son assemblage avec le texte.

154.

Dans Drawn and Quartered nous assistons à un positionnement singulier de l’image et du texte. A la différence de Theaters, ils ne se superposent pas. Pourtant leur cohabitation dans l’espace de la page différencie cette collaboration de la plupart des projets de Creeley où le texte et l’image demeurent sur deux pages séparées. Il semble que la coprésence des collaborateurs dans le même lieu façonne l’emplacement des deux langages qui, s’ils n’arrivent pas à se fondre l’un dans l’autre à cause du retard du texte par rapport à l’image, se rapprochent néanmoins d’une façon inédite, réduisant l’espace blanc et la distance qui les séparent normalement. (Voir Annexe II) A propos du rapport texte/image dans les collaborations de Creeley voir le chapitre suivant (B3).

155.

Yau. In Company. 48.

156.

Creeley. Entrevue avec Michel André. Tales Out of School. 111.

157.

Voir Parts dans In Company CD-ROM. La collaboration est disponible en Annexe II.

158.

La collaboration est disponible en Annexe II.

159.

Chamberlain. Fax envoyé à Creeley le 8 mars 1988. Reproduit dans In Company CD-ROM.

160.

La collaboration est disponible en Annexe II.

161.

Le statut de Mabel, tout comme de A Day Book (collaboration entre Creeley et R.B. Kitaj) est ambigu. Le texte est un produit évident du désir de l’écrivain d’explorer un nouveau type de création dans la prose. Néanmoins l’on sait que Creeley conçoit Mabel pour une collaboration avec le peintre Jim Dine, ce qui nous pousserait à rechercher dans le texte les traces d’éléments formels aptes à stimuler le travail de son collaborateur. La prose de Mabel toutefois, ne nous semble évoquer l’art de Dine que de façon indirecte, ce qui n’est pas comparable au désir de favoriser son collaborateur évident dans les textes d’œuvres telles que The Immoral Proposition ou A Day Book. Ceci nous mène donc à insérer cette collaboration dans ce groupe.

162.

Le cas de A Day Book est également singulier. Tout en appartenant à ce groupe, cette collaboration témoigne également du désir de Creeley d’explorer un nouveau type de composition en prose et donc d’utiliser la collaboration comme l’occasion de développer des recherches personnelles qui l’intéressaient depuis longtemps (ce qui introduirait A Day Book dans le groupe auquel appartiennent Mabel et The Dogs of Auckland). Néanmoins, le choix de la structure du journal intime est le produit de sa conscience que le texte dont Kitaj avait besoin pour sa séquence d’images devait être plutôt long et présenter des divisions internes relativement nettes. Ce désir évident de préparer le terrain pour son collaborateur situe donc l’œuvre à l’intérieur du groupe représenté par The Immoral Proposition. Nous aurons l’occasion d’analyser en détail A Day Book dans le chapitre A1, partie III.

163.

Creeley. Discussion avec l’auteur. Université Brown, 6 octobre 2004.

164.

Creeley et Duane Michals/Karl Klingbiel. Dreams. Periphery & The Salient Seedling Press, 1989. L’œuvre est insérée dans In Company, le catalogue ressemblant tous les projets collaboratifs de Creeley. Au même groupe de projets réalisés principalement par l’éditeur (ou, en général, par une troisième personne) appartiennent des broadsides comme Echo (1993) réalisé avec l’artiste Sol LeWitt (la collaboration est disponible en Annexe II) et Pittsburgh’s Poetry on the Bus (1981), où l’écriture de Creeley est associée à des images d’œuvres de Land Art (Christo). Comme on le souligne dans In Company (CD-ROM), même si ces projets n’ont pas un véritable statut collaboratif, ils contribuent néanmoins à diffuser la culture au niveau populaire.

165.

Klingbiel participe à l’œuvre avec un « monotype » utilisé pour la couverture du livre. La reproduction d’une photographie de Michals accompagne à l’intérieur du livre le poème « Dreams » de Creeley.

166.

Interrogé à propos de cette collaboration Creeley avait affirmé: « There was no true collaboration between us ». Discussion avec l’auteur. Université Brown, 6 octobre 2004.

167.

Il nous semble en effet que, s’il s’agit de collaboration, celle-ci concerne uniquement les éditeurs. Il est en effet tout à fait paradoxal que, suite à l’explication des termes de la collaboration que nous venons de citer et qui insiste sur la collaboration entre Ann Noonan et Katy Kuhen, nous trouvions les signatures de Michals et Creeley et non celles des concepteurs du livre.

168.

Parts, collaboration réalisée par Creeley et Susan Rothenberg, représente une exception à cette règle. Le projet collaboratif a eu lieu « à distance », comme le raconte l’éditeur Hank Hine, mais les deux artistes se sont rencontrés uniquement après l’achèvement du projet. « The entire project developed in an epistolary fashion, artist and poet not meeting until the project’s completion – even the proofs travelled by U.S. Mail », explique-t-il. (In Company. 85). Le dialogue à distance n’empêche pas pourtant l’échange entre les collaborateurs comme le confirme le produit final de la collaboration.

169.

Hine. « On the Publisher’s Role ». In Company. 83.