3.2) Du formel au personnel : Numbers

Chronologiquement antérieure aux collaborations que nous avons analysées jusqu’à ce point, Numbers (1968) nous intéresse à ce stade car elle synthétise les tendances créatives que nous avons remarquées dans Presences, Theaters et Life & Death : dans cette collaboration Creeley met en place sa poétique de la présence, en se concentrant sur la présence physique des chiffres dans notre vie quotidienne, tout en exposant la façon dont le « je » poétique s’affirme dans sa dimension autobiographique. De plus, dans cette collaboration considérée justement par la critique comme une des meilleures réalisées par Creeley, nous découvrons les indices d’un thème, celui de la banalité et de la complexité du lieu commun, central dans l’œuvre du poète et que nous aurons l’occasion de traiter plus tard 372 .

Numbers représente une des premières vraies collaborations de Creeley, réalisée grâce au soutien et à la direction de William Katz, ami du peintre Robert Indiana 373 et artiste très actif dans le milieu Pop. Katz, pendant les années 1960, avait réalisé plusieurs collaborations avec Indiana lui-même mais aussi avec d’autres artistes et écrivains de l’époque : parmi elles figurent Stamped Indelibility (1967), collection de poèmes de Ginsberg et Creeley accompagnés par des œuvres d’artistes comme Wesselman ou Indiana et 5 Numbers 374 .

La conception de Numbers révèle toutefois un effort pour établir un rapport plus direct entre les mots et les images et pour bâtir un dialogue constant entre les deux langages. Composée de dix sérigraphies représentant des chiffres dessinés par Robert Indiana, l’œuvre alterne chaque image avec un poème de Creeley qui figure en anglais et ensuite en allemand. L’édition, réalisée en 1968 par la maison d’édition Domberger de Stuttgart, est en effet bilingue 375 .

L’objet livre a été soigneusement étudié : les images ont été imprimées sur des feuilles blanches et brillantes qui contrastent avec la rugosité des pages sur lesquelles figurent les poèmes. Ceux-ci, imprimés en noir dans leur version anglaise et en rouge dans leur version allemande, semblent gravés dans la page : l’encre est absorbée par l’épaisseur de la feuille, ce qui donne un aspect vieilli aux textes contrastant avec la modernité et la luminosité des images qui les suivent. La couverture en matière textile est rigide et le caractère précieux du livre est accentué par la conception d’une boîte à l’intérieur de laquelle on peut glisser l’œuvre et sur laquelle le titre est imprimé 376 .

41. Robert Creeley et Robert Indiana. Numbers. Dusseldorf: Galerie Schela, 1968. (Couverture. 21,27 x 25,40 cm). John Hay Library, Brown University
42. Robert Creeley et Robert Indiana. Numbers. « Two » de Robert Creeley.

Cet aspect rare et recherché de l’objet livre contraste ironiquement avec la simplicité des poèmes et des images : ce contraste incarne parfaitement l’ambiguïté et « la complexité du lieu commun », comme le rappellent également Elisabeth Licata et Amy Cappellazzo 377 . Dans l’introduction, l’éditeur Dieter Honish marque d’ailleurs ce contraste soulignant l’originalité de l’art des deux artistes par rapport aux formes expressives des années 1950 : il signale la nouveauté de leur style qu’il fait correspondre à une nouvelle approche du monde plus directe, informelle et caractérisée par une simplicité essentielle par rapport au passé mais, néanmoins, « pleine de vie ».

‘They represent an American generation that has done away with the self-coding that was in vogue in the fifties, and they take a new approach toward reality. They celebrate life – love, eating, drinking, friendship – in a simple language. An easy, folksonglike mood typifies their works which are crammed with life. The directness with which they reach our minds is due to the avoidance of any formal attitude 378 .’

Sans aucun maniérisme, le langage de deux artistes s’impose par sa qualité directe et immédiate comme nous le remarquons face aux images de Indiana. Caractérisées toujours par le même format rectangulaire, à l’intérieur duquel est inscrit un cercle, les tableaux fonctionnent comme des cibles pour le regard de l’observateur : le cercle s’impose comme un cadre à l’intérieur duquel les numéros sont inscrits. En dessous de ce cadre le numéro est représenté à l’aide du code langagier, établissant une étrange association du système décimal et du système verbal 379 . C’est comme si l’artiste voulait apposer une étiquette à côté de l’image pour en définir le titre ou pour nommer la forme dont il reproduit le portrait.

Indiana fait souvent usage du rectangle et du cercle, deux formes dont il explore les possibilités dans plusieurs œuvres. Les compositions du peintre s’organisent selon une structure binoculaire similaire à celle que nous avons remarquée dans Theaters. Elle est réalisée, comme nous l’avons vu, par le positionnement d’un axe vertical qui divise la toile en deux, créant ainsi des espaces distincts et séparés mais symétriques. La particularité des images qui composent Numbers réside dans l’apparente absence de cette structure et dans l’accentuation du cercle en tant que forme centrale de l’image, ce qui semble suggérer plutôt une vision monoculaire. Les images semblent en effet être des agrandissements d’une des parties qui normalement caractérisent les tableaux d’Indiana, où, par l’utilisation d’une croix (autre signe typique de son art), il divise la toile en quatre parties égales. En agrandissant les formes et en les présentant comme emprisonnées dans le cadre rectangulaire, le peintre leur donne un impact visuel très fort et, en même temps, réduit l’effet binoculaire qui caractérise ses œuvres les plus connues.

L’impact des œuvres est aussi dû à leur frontalité et à leur platitude produites par une savante organisation des couleurs qui structure l’image : comme Honish l’explique, les caractères imprimés sur la toile par Indiana servent uniquement de base pour permettre aux couleurs de s’activer réciproquement.

‘Indiana […] starts out in his pictures from ancient scriptural and numerical stencils and uses them as vehicles for his colors that are thus isolated; there is no apparent intention of forming at the first glance. In the course of the visual process, the colors complete with one another so keenly that the figures and numerals dwindle into obscurity 380 .’

A cause de la platitude de ces images, l’œil perçoit avec difficulté le rapport entre le fond et la surface, ce qui produit des effets optiques qui parfois semblent faire prévaloir les formes négatives. Indiana en effet joue avec les yeux du spectateur dont il exalte l’activité réceptive et auxquels il demande d’être constamment dynamiques et prêt à reconsidérer leur rapport avec l’image. Cette stimulation des organes visuels correspond à un désir commun aux artistes Pop de remettre en cause les habitudes perceptives de l’observateur : en présentant le motif de façon immédiate, qui dans ce cas particulier peut être vu et lu à la fois, Indiana vise à libérer les chiffres de leurs fonction ordinaire, de leur statut de véhicules de messages 381 . Par cet acte le peintre met en place le désir creeleyien de libérer le signifiant de son devoir référentiel et de l’exalter pour ses qualités objectives. Ainsi le peintre nous montre les qualités à la fois concrètes et abstraites des codes (numérique et langagier) dont nous faisons quotidiennement l’usage. Par l’ostentation des éléments du système décimal, dépouillés de leurs fonctions, l’artiste pose les bases d’une activité contemplative de l’observateur qui en regardant ces objets peut remarquer leur valeur esthétique 382 . Ceci est d’autant plus intéressant si nous nous concentrons sur le choix d’Indiana d’encadrer chaque numéro dans un cercle en le présentant à la fois comme un portrait et comme un miroir dans lequel chacun peut se reconnaître. La qualité d’étrangeté des nombres et des lettres ainsi représentés coïncide avec une distance, créée par l’artiste, nécessaire pour qu’il puisse y avoir abstraction : le peintre vise à nous faire perdre le contact, par l’observation, avec les notions collectives associées aux systèmes dont il expose les constituants.

‘I am very much impressed … how, with a little mental exercise, if one concentrates long enough on a word or a figure, it’s very easy to lose the conscious grasp of what it is … And I should like … this to be part of my work, too 383 .’

En mettant en valeur le statut d’objets tangibles des chiffres et des lettres, Indiana veut également insister sur la nature abstraite de ces objets qui deviennent concrets uniquement lorsque nous les plaçons dans leurs systèmes de référence.

Par cette dialectique entre concret et abstrait, entre numéro en tant qu’objet individuel et à la fois partie d’un système, Indiana explore également le rapport entre l’individualité et la collectivité, un motif central dans la poésie de Creeley. En présentant les numéros en série tout en les isolant les uns des autres, il met en évidence leur singularité à l’intérieur d’un système. Cette dialectique est intensifiée par le contraste très fort que le peintre installe, par les couleurs, entre l’intérieur et l’extérieur des formes dont les frontières sont marquées très nettement. Le spectateur n’est ainsi pas uniquement confronté à une mise en question perpétuelle de ses capacités visuelles, mais il est poussé également à réévaluer sa conception des codes dont il se sert quotidiennement. Indiana rend visible la manière dont le système décimal et alphabétique est organisé selon la dialectique entre individuel et collectif qui caractérise notre rapport avec le système social dans lequel nous sommes insérés. Toutefois, l’artiste présente cet état de choses sans le commenter. Le spectateur, face à ces images, est appelé à fournir ses propres explications : « Viewers », explique Susan Ryan à propos des images d’Indiana, « had to provide their own connection – which they could easily do – for these common but confrontational words and phrases » 384 .

Cette demande d’engagement actif adressée par le peintre de façon indirecte aux spectateurs de ses œuvres est saisie pleinement par Creeley qui répond aux images en formulant ses propres associations et en les traduisant dans ses vers :

‘I looked up texts on numbers and got some information that way but it was immediately so scholastic and scholarly in tone that I couldn’t use it. I was really using something as simple as “what do you think of when you think of the number eight; is that a pleasant number for you?” I was thinking of saying like “two’s company, three’s crowd.” I was thinking of the groupings implied or the imbalances implied or the odd numbers, the even numbers 385 .’

Le poète explore au niveau conceptuel la présence physique des chiffres dans sa vie en décomposant le système décimal et en exposant sa structure : il montre comment ce système est organisé sur la base du numéro 1. Ainsi, il met en place une façon de compter souvent négligée mais qui, comme l’explique Gertrude Stein, est la plus naturelle :

‘After all the natural way to count is not that one and one make two but to go on counting by one and one as chinamen do as anybody does as Spaniards do as my little aunts did. One and one and one and one and one. That is the natural way to go on counting.
Now what has this to do with poetry. It has a lot to do with poetry 386 .’

Par ce processus d’énumération, on avance par accumulation, ce qui montre comment Creeley est en train de concrétiser une vision de la vie dont il donne une formulation directe dans Presences : « Human life he had begun to reorganize as an accumulation of persistent, small gestures and acts, intensively recurrent in their need if not, finally, very much more than that » 387 . Nous remarquons également chez Indiana cette conception de l’existence en tant qu’accumulation d’événements, ce qui souligne une coïncidence essentielle entre les pensées de l’artiste et du poète : « Over a period of time things have accumulated, and I am a keeper » 388 . C’est donc sur la base de cette conception que Creeley compose ses poèmes, en assemblant des fragments d’expérience à l’intérieur desquels il nous fait découvrir la présence des chiffres. Dans ses vers, nous remarquons encore une fois comment, en mettant en place des associations entre le numéro un et ses dérivés, Creeley est en train d’évaluer le rapport entre son identité et celle de « l’autre ». A l’aide de prépositions il bâtit des couples associatifs où l’individuel (représenté par l’unité) est constamment confronté à un autre : « In Numbers you find multiple senses of the ‘seed’ number or situation so defined : one by one, one after one, one with one, one for one, one to one, one as one – etc » 389 . En soulignant les relations entre les éléments du système décimal, Creeley analyse sa position personnelle à l’intérieur du système dans lequel il vit, en alternant son rôle entre celui de sujet et d’objet : en se montrant comme une partie d’un système et ensuite en se réintégrant dans l’ensemble dont il s’était isolé.

Ce voyage dans l’univers de l’individualité et son rapprochement progressif à l’autre, (voyage qui nous semble d’ailleurs incarner le processus de rapprochement du « I » de Creeley à sa « company »), commence par la présentation et l’évaluation de la condition du « je » comme unique dans « One » :

‘What
singular upright flourishing
condition …
it enters here,
it returns here.
.
Who was I that
thought it was
another one by
itself divided or multiplied
produces one.
.
This time, this
place, this
one.
.
You are not
me, nor I you.
.
All ways.
.
As of a stick,
stone, some-
thing so
fixed it has
a head, walks,
talks, leads
a life.’

Dans ces vers Creeley semble faire le portrait idéal de cet « égoïste incertain » dont, nous l’avons vu, il nous présentait la condition dans sa première collaboration, The Immoral Proposition. Il faisait alors l’éloge d’une attitude solipsiste grâce à laquelle l’homme peut se voir épargner ce qu’il appelle la « tragédie des relations humaines », en affirmant la nécessité d’être ferme sur sa position d’isolement car, comme il le dit dans ses derniers vers, « the unsure egoist is not good for himself ». L’individu présenté dans One semble au contraire très sûr de sa position : enfermé sur lui-même il est le centre de son monde (« it enters here, /it returns here »). Le cercle du tableau de Indiana dans lequel le chiffre est inscrit devient ainsi la trace des frontières de cette dimension individuelle évoquée par Creeley : ce qui renvoie à la condition de l’homme dans le monde représentée par les mandala dont Indiana fait souvent l’usage dans la composition de ses tableaux 390 . Par des jeux d’assonances le poète introduit l’ambiguïté de l’image de Indiana à l’intérieur de son texte : il imite son caractère à la fois abstrait et concret, en alternant la présentation du « je » en tant que sujet (« Who was I that/ thought ») et objet (« it was/ another one by/ itself divided or multiplied/ produces one »). Ainsi, le titre du tableau et son motif sont réitérés plusieurs fois dans les vers mais avec des fonctions et des significations toujours différents. Les références à l’image abondent : par les adjectifs Creeley évoque la verticalité du numéro peint par Indiana (« singular, upright » ; fixed ») qui acquiert des traits anthropomorphes dans les derniers vers où il est comparé à un bâton (« stick ») mais néanmoins est doté d’une tête, semble marcher, parler. La dialectique entre le sujet et l’autre, ainsi que le désir de définir les frontières qui les séparent pour éviter que l’identité soit menacée, est évidente dans la quatrième strophe, où Creeley réinsère un motif que nous avons déjà remarqué dans Life & Death (« You are not/ me, nor I you »). L’insistance sur la négation, mise en évidence à la fin du vers, confirme la crainte de dépersonnalisation du sujet lyrique qui insiste sur son unicité et qui, dans la strophe précédente, souligne la fixité de sa position. Ceci se traduit sur la page au niveau visuel par une compression du temps et de l’espace de l’écriture qui imite la conclusion de Presences : « This time, this/ place, this/ one ». L’inexorabilité de la condition d’isolement de l’individu est marquée dans le « all ways », écho de « always », isolé dans la cinquième strophe.

L’écriture de Creeley se présente encore comme constituée de fragments séparés dans le temps et dans l’espace par un point, unité graphique et temporelle, qui marque les différents moments de solidification de l’expérience de l’individualité par le sujet lyrique. La condition de l’individu isolé du reste du monde est enfin comparée à celle d’un objet (évoqué par l’enjambement « some-/ thing ») : la description que Creeley nous donne de l’apparence graphique du chiffre dans la dernière strophe est intégrée à l’anthropomorphisation dont nous avons parlé plus haut pour souligner la rigidité de cette condition. Même s’il parle et marche, l’homme enfermé sur lui-même est victime de l’anonymat car sa vie, n’étant pas caractérisée par la variété que les relations humaines apportent, est juste une vie parmi les autres (« a life »).

A mesure que les chiffres croissent dans la série proposée par Indiana, Creeley poursuit son énumération basée sur l’accumulation. Il utilise l’association (« one with one ») pour former le numéro deux et évoque ensuite des images variées qui touchent à la géométrie aussi bien qu’à l’imaginaire collectif du couple et de la famille, pour donner une forme aux relations humaines dont il voit le reflet dans les numéros. Dans « Three » par exemple le couple formé précédemment dans « Two » semble être accompagné d’un nouvel élément :

‘They come now with
one in the middle –
either side thus
another. Do they
know who each other
is or simply walk
with this pivot between them.
Here forms have possibility.
.
43. Robert Indiana. Three. Image tirée de Numbers. John Hay Library, Brown University.

Comme il le souligne dans le dernier vers, les formes, de même que les images, sont douées d’une potentialité qui peut être activée par l’imagination de l’observateur : par l’exploitation du numéro trois nous pouvons songer à l’image d’une famille ou à une situation triangulaire qui semble apparaître devant nos yeux par ce processus de transformation perpétuelle d’une image en une autre que le poète met en place dans son écriture :

‘When either this
or that becomes
choice, this fact
of things enters.
What had been
agreed now
alters to
two and one,
all ways.
.
The first
triangle, of form,
of people,
sounded a
lonely occasion I
think – the
circle begins
here, intangible –
yet a birth.’

Les images semblent se mélanger les unes aux autres dans l’esprit de Creeley qui nous fait partager ce mouvement, comme dans Presences. Le poète réinvestit chaque image par sa biographie comme le montre « Four », où l’instabilité des formes semble trouver un point de stase, un équilibre. Le poète commence sa composition en exposant son appropriation personnelle de l’image :

‘This number for me
is comfort, a secure
fact of things. The
table stands on
all fours. The dog
walks comfortably,
and two by two
is not an army
but friends who love
one another. Four
is a square,
or peaceful circle,
celebrating return,
reunion,
love’s triumph.
.

La stabilité associée par Creeley à ce chiffre est véhiculée par le désir d’affirmer d’une façon plus manifeste le réinvestissement du motif par sa subjectivité (« this number for me/ is comfort »). Le lexique souligne ces qualités de régularité en accompagnant la présentation d’images qui évoquent des situations où le nombre quatre est associé à des indices d’équilibre et d’ordre : (« The// table stands on/ all fours. The dog/ walks comfortably »). L’instabilité semble être également annulée par l’intégration, à l’intérieur de la présentation du numéro quatre, des numéros qui ont été présentés auparavant isolément. Ainsi, le numéro quatre contient le couple aussi bien que l’unité, ce qui établit des liens de réciprocité qui renforcent la stabilité suggérée depuis le premier vers : « two by two/ is not an army/ but friends who love/ one another ». Aussi bien dans le couple que dans la famille, représentés par les numéros deux et quatre respectivement, Creeley semble vouloir nous rappeler la présence de l’individu, mais souligner en même temps sa nécessité de faire partie d’une communauté, son besoin des autres qui semblait être niés dans « One ». Le mot qui se répète le plus souvent dans le poème est en effet « love », un mot composé de quatre lettres et qui renvoie au célèbre tableau de Robert Indiana, Love, dont le thème a été repris et retravaillé plusieurs fois par le peintre 391 . Ainsi, reconnaissons-nous le lien entre le verbal et le visuel : dans ses vers Creeley, n’insère pas uniquement pour la première fois le titre du tableau, qu’il expose à la fin du dixième vers (« Four/ is a square »), mais il renvoie également aux deux figures géométriques utilisées par Indiana pour la composition de sa série Numbers, notamment le carré et le cercle. La stabilité, dont le numéro quatre semble être le symbole, est caractérisée par l’image du « peaceful circle » où le mouvement, signe du changement et de l’action du temps, évoqué par les formes circulaires, est annulé par son association avec la stabilité et la régularité du carré.

Ces éléments stabilisants contrastent avec la structure syntaxique présentée par Creeley qui, à la différence de ce que l’on pourrait attendre dans ce poème, reste caractérisée par la fragmentation et par l’absence de coïncidence entre la structure grammaticale et l’organisation des vers. Creeley montre dans la structure de « Four » son habileté dans la construction des structures syntaxiques et confirme son intérêt pour les relations entre les parties d’une structure, verbale ou numérique quelle qu’elle soit. Par la décision de ne pas abolir les juxtapositions lorsqu’il s’engage dans la présentation d’une réflexion sur un numéro qui chez lui évoque la stabilité, Creeley confirme son désir de rendre par l’écriture cette idée de circularité « pacifique » qu’il saisit dans la composition géométrique d’Indiana et qu’il définit directement dans le douzième vers. Il alterne ainsi l’utilisation de la virgule et la segmentation régulière du discours avec les enjambements. Cela se traduit par une structure qui, tout en restant régulière, n’abolit pas le mouvement et ne cesse de rappeler la précarité de tout équilibre (« The// table stands on/ all fours »).

44. Robert Indiana. Four. Image tirée de Numbers. John Hay Library, Brown University.

Le poète poursuit ensuite son discours en proposant de nouvelles images auxquelles il associe les qualités de ce chiffre :

‘The card which is the
four of hearts must
mean enduring experience
of life. What other
meaning could it have.
.
Is a door
four – but
who enters.
.
Abstract – yes, as
two and two
things, four things –
One and three.’

L’idée du mouvement associé à la forme stable et régulière du carré est reprise par l’introduction de l’image de la porte, structure architectonique et équilibrée qui toutefois permet le mouvement, le passage d’une dimension à un autre, nous rappelant ainsi le rôle de l’image en tant qu’élément stabilisant et, à la fois ouverture pour l’imagination. Dans la dernière strophe enfin la décomposition du chiffre est exposée (« two and two/ things, four things –/ One and three ») ce qui révèle, comme Creeley l’affirme lui-même, les qualités abstraites du code, mises en évidence par le peintre également.

L’exhibition de ces procédés compositionnels a lieu aussi dans le poème suivant, « Five », où Creeley présente le numéro cinq comme l’expression du « plus que quatre » :

‘When younger this was
a number used to
count with, and
to imagine a useful
group. Somehow the extra
one – what is more than four –
reassured me there would be
enough. Twos and threesor
one and four is plenty.’

Creeley associe l’activité de compter au passé et à l’enfance, ce qui confirme encore une fois comment le réinvestissement biographique domine la composition de Numbers. En particulier, à mesure que nous avançons dans la lecture, nous nous apercevons de la réflexion que l’écrivain utilise comme guide pour la composition de ses poèmes. C’est lui-même qui nous la rend visible volontairement. En se basant sur le rapport entre le numéro 1 et les autres « unités » qui sont rajoutées à ce premier chiffre pour la création du système décimal, et en présentant ce rapport sous la forme de la dialectique entre la subjectivité et l’altérité, Creeley arrive jusqu’au point où il se demande dans « Seven » :

‘Are all
numbers one?
Is counting forever
beginning again.’

L’apposition de deux questions reflète le contraste, bâti par le poète dans toute la collaboration, entre réflexion sur le système décimal et appropriation personnelle de l’image et de son motif. La réponse à la deuxième question est connue et établie par la nature même du système (Creeley d’ailleurs n’utilise pas le point d’interrogation) : les éléments numériques qui composent le système décimal sont en nombre infini. Au contraire, la question qui la précède, par l’enjambement stratégique au niveau du « all », introduit une ambiguïté dont il est l’objet depuis le premier poème et qui témoigne du réinvestissement du motif pictural : tous les numéros sont-ils composés par l’unité ? En d’autres termes : sommes-nous tous pris entre l’individualité et la collectivité ?

45. Robert Indiana. Zero. Image tirée de Numbers. John Hay Library, Brown University.

Creeley semble répondre à cette question dans le dernier poème de la séquence : Zero, qui correspond au dernier tableau d’Indiana. Il est présenté à la fin comme un « non nombre », comme le point de départ de l’énumération auquel l’on revient après avoir épuisé le code numérique. Le zéro n’est pas composé de l’unité, il représente l’absence, le vide : Indiana saisit cette qualité et la rend évidente dans son image en se concentrant sur le vide exclusif qui caractérise ce numéro. Les formes négatives semblent prévaloir sur les positives : le zéro blanc disparaît presque sur un fond grisâtre et ce qui émerge en se présentant aux yeux de l’observateur est une forme arrondie centrale, peinte d’une nuance de gris plus foncée que celle du fond. Cette forme représente le vide qui caractérise aussi bien l’apparence graphique du chiffre que sa valeur dans le système numérique. Ainsi présence et absence, apparition et disparition dominent la toile où la circonférence, qui dans les tableaux précédents fonctionnait en guise de cadre à l’intérieur duquel les nombres étaient peints, coïncide ici presque avec le contour du numéro qui semble ainsi se dilater en poussant les limites de cette forme dans laquelle il est inséré.

L’ambiguïté perceptive de l’œuvre de Indiana est reproduite dans le poème de Creeley. Dans celui-ci le poète essaye de définir linguistiquement le concept de « zéro », mettant en évidence la difficulté de fixer par les mots l’idée de quelque chose qui à la fois « est » et « n’est pas » :

‘Where are you – who
by not being here
are here, but here
by not being here?
There is no trick to reality –
a mind
makes it, any
mind. You
walk the years in a
nothing, a no
place I know as well as
the last breath
I took, blowing the smoke
out of a mouth
will also go nowhere,
having found its way.
.
Reading that primitive systems
seem to have natural cause for
the return to one, after ten –
but this is not ten – out of
nothing, one, to return to that –
Americans have a funny way –
somebody wrote a poem about it –
of »doing nothing « – What else
should, can, they do?
.
What
by being not
is – is not
by being.
.
When holes taste good
we’ll put them in our bread
.

L’alternance entre apparition et disparition est reproduite dans le premier quatrain, la réitération de l’adverbe de lieu « here » imite, au niveau de l’écriture, le travail de l’œil de l’observateur face à l’image d’Indiana, où les jeux optiques entre image négative et positive demandent des réajustements constants 392 . Ce premier quatrain d’ailleurs, au niveau formel comme au niveau du contenu, constitue la synthèse de la problématique concernant la définition du « rien » implicite dans le concept de zéro. Comme Creeley l’explique en conversation avec Ekbert Faas il est presque impossible de définir l’absence : « How you could state that which by being is not, you know, that which by being is not is not by being. A curious paradox » 393 . La seule façon de le faire pourrait être de laisser la page blanche mais cela créerait un décalage entre la représentation visuelle et verbale car le peintre, tout en étant conscient de la difficulté de la tâche, propose néanmoins une représentation du concept.

L’ambiguïté visuelle est aussi reproduite à l’aide des enjambements qui redeviennent ici très présents et par lesquels Creeley crée d’intéressants effets de contraste et de passage d’une image à l’autre : de l’idée de mort suggérée par le « the last breath// I took » à la fin du vers, l’auteur nous introduit dans un autre contexte où la forme et les couleurs du zéro sont reproduites par l’évocation de l’image de la fumée sortant d’une bouche dont l’anonymat est marqué par l’article indéfini. L’abstraction de l’image de Indiana est ainsi reproduite aussi à l’aide de ces formes indéfinies qui ne permettent pas d’isoler une image ou un visage précis mais qui présentent, comme dans ce cas spécifique, des parties anatomiques séparées de leur corps. Le temps et l’espace sont également enveloppés dans cette atmosphère ambiguë : la voix lyrique parle « d’années » pendant lesquelles on parcourt un lieu inexistant « a/ nothing a no/ place ».

Dans les vers suivants, Creeley révèle encore une fois le statut de sa réflexion en s’interrogeant sur le rapport entre le zéro et la série précédente dont il semble ne pas dépendre. Surtout, il remarque comment dans le zéro, l’unité cesse d’exister : la conciliation entre l’identité subjective et la collectivité paraît impossible. Mêmes les lettres qui composent le nom du numéral dans le code langagier, utilisé par Indiana pour marquer le titre de l’œuvre et à la fois pour établir l’identité de l’image représentée, semblent disparaître. Le zéro est le lieu de l’absence du « je », qui ne paraît pas pouvoir se constituer face à ce vide.

Toutefois, dans le système décimal, le zéro est un élément essentiel pour l’intégrité du système entier, car il est un des dix symboles par lesquels l’on représente les nombres. En mettant en place le parallèle entre la condition du « je » dans le monde et de l’unité dans le système décimal, Creeley semble vouloir dire que le sujet a besoin de ce vide pour se définir, car sa vie est fondée sur cette absence :

‘The relation between zero and one is a perpetual dialectic by which each creates and defines the other, while both at the same time generate the number system which contains them. In the same way, the poet, his emptiness with the desires it causes, and the forms which he generates exist in perpetual interpenetration – containing and defining his existence 394 .’

La conscience du vide essentiel qui fonde l’existence humaine est un motif typique de l’écriture de Creeley 395 . Les répétitions, la réorganisation de mots clé et la syntaxe parfois volontairement privée de sens, contribuent à vider le langage de toute forme de signification et à le rendre abstrait et répétitif, selon le modèle beckettien 396 . Les mots se reflètent de façon symétrique par des parallélismes mais, ce faisant, ils s’effacent réciproquement (« What/ by being not/ is – is not/ by being »). La confrontation avec le vide, si présente dans l’écriture de Creeley et parfois caractérisée par l’angoisse de la menace qu’il représente, est ici résolue avec une attitude de sagesse qui pousse le sujet lyrique à l’acceptation de ce manque. L’absence doit être intégrée dans la quotidienneté : en reproduisant la structure du tableau de Indiana, où le vide est exposé plus encore que le support qui l’entoure, Creeley souligne cette reconnaissance : « when holes taste good / we’ll put them in our bread » 397 .

Indiana et Creeley proposent ainsi une image positive de l’absence. « The invention of zero », explique Creeley, « was the greatest step forward in the history of mathematics. Zero is a fantastic concept » 398 . Le poème et l’image arrivent à exprimer l’expérience du rien tout comme sa valence mystique 399 . Celle-ci est exaltée dans la dernière partie de la séquence de poèmes de Creeley qui se termine avec une citation tirée de The Pictorial Key to the Tarot (1910) de Arthur Edward Waite, un ouvrage que le poète considère comme une « belle évaluation de l’expérience du rien » (« a beautiful estimation of the experience of nothing ») 400  :

‘»With light step, as if earth and its-
trammels had little power to restrain
him, a young man in gorgeous
vestments pauses at the brink of a
precipice among the great heights
of the world; he surveys the blue
distance before him – its expanse of
sky rather than the prospect below.
His act of eager walking is still
indicated, though he is stationary
at the given moment; his dog is still
bounding. The edge which opens
on the depth has no terror; it is as if
angels were waiting to uphold him,
if it came about that he leaped from
the height. His countenance is full
of intelligence and expectant dream.
He has a rose in one hand and in
the other a costly wand, from which
depends over his right shoulder a
wallet curiously embroidered. He is
a prince of the other world on his
travels through this one – all amidst
the morning glory, in the keen air.
The sun, which shines behind him,
knows whence he came, whither he
is going, and he will return by
another path after many days …«’

Cette partie correspond aux indications de Waite concernant la carte « The Fool » dont l’image, ainsi qu’elle est représentée sur le dos de la carte, est décrite minutieusement 401 . Elle représente un jeune homme debout sur le bord d’un précipice exactement identique à celui évoqué dans ces vers. L’image est bien sûr symbolique car utilisée pour l’interprétation des tarots. Ce qui nous intéresse, toutefois, est le fait que la carte « The Fool » représente un élément externe au système des tarots : il appartient précisément au groupe des cartes défini comme major arcana constitué par 22 éléments 402 . Il figure ainsi en tant qu’élément extérieur au système mais est pourtant fondamental, tout comme le zéro dans le système décimal (et comme le vide dans la vie du sujet).

En outre, dans les explications de Waite concernant cette carte, nous pouvons découvrir les traces d’une activité ekphrastique car l’occultiste décrit minutieusement l’image nous la faisant presque « voir ». Tout comme dans Presences, Creeley insère ainsi, à l’intérieur de sa séquence de poèmes inspirés des images d’Indiana, un autre « épisode ekphrastique ». Même si dans ce cas il ne s’agit que d’une citation, cette parenthèse contribue à accentuer la singularité du travail du poète avec l’image par rapport à l’illustration caractéristique de la tradition ekphrastique.

Encore une fois, par la transposition du motif pictural dans l’univers de sa subjectivité, le poète arrive à re-présenter l’image en l’enrichissant avec ses expériences personnelles. Le travail qu’il réalise avec les images d’Indiana vise à saisir et mettre en valeur leur aspect émotionnel mais aussi leur universalité qui représente la base nécessaire à l’acte de réappropriation poétique. Chaque numéro représenté par Indiana, affirme Creeley, peut être vu comme personnel: « [It] is like someone’s particular number, and [the artist] gives an extraordinarily emotional feel that he can make manifest in, say, Number Two » 403 .

Le réinvestissement du motif pictural se base donc sur une double activité : d’une part, il est le produit de la reconnaissance de l’aspect dichotomique de l’image en tant que territoire et suggestion, lieu de stase mais aussi source d’ouverture et de mouvement; d’autre part, il est le résultat de l’activité du sujet qui vise à rendre présente, c’est-à-dire actuelle, sa propre réaction émotionnelle face à l’image. La représentation chez Creeley est donc une véritable re-présentation, une présentation qui se constitue à travers un processus de répétition dans le présent, de réactualisation des formes créées par l’artiste dans la forme de l’écriture : « It is neither explanation nor description, but actual in such form » 404 . Le poète ne perçoit pas uniquement les numéros au niveau visuel, il les sent émotionnellement et ensuite les re-présente chargés des qualités produites par le processus d’appropriation. Creeley nous montre alors comment les constituants du système décimal ne sont pas uniquement des éléments abstraits mais aussi des composants d’expériences réelles. Il témoigne, par ses poèmes, du passage des numéros de l’extérieur à l’intérieur et du processus de transformation auquel ils sont sujets à l’intérieur de cette subtile frontière qui sépare l’individuel du collectif. C’est dans ce processus de réinvestissement du motif pictural que nous reconnaissons en partie la spécificité du travail de Creeley avec l’image, un travail qui s’éloigne de l’illustration passive mais qui cherche à mettre en valeur aussi bien le pouvoir des formes qui se présentent devant les yeux de l’observateur que la faculté de ce dernier de les rendre réelles en les re-présentant.

Le rapport entre le poète et l’image toutefois n’est qu’une composante de l’activité collaborative qui se révèle être le produit de plusieurs « rapports » et de plusieurs forces parfois antagonistes. Le rôle de l’artiste en tant que créateur de l’objet d’art est certes central, néanmoins il ne faut pas oublier que l’artiste est également engagé dans un dialogue, principalement à distance dans le cas des collaborations de Creeley, avec le poète. Nous remarquons ainsi comment le réinvestissement du motif pictural n’est qu’une composante d’une activité extrêmement complexe, impliquant plusieurs acteurs et se bâtissant sur plusieurs « rapports » entre les parties en jeu. Il est donc nécessaire se poser cette question si simple et pourtant si déstabilisante que Creeley semble s’être posée tout au long de sa carrière collaborative : qu’est ce qu’est une collaboration et comment fonctionne-t-elle ? C’est à cette question que nous essayerons de répondre dans le chapitre suivant.

Notes
372.

Voir le chapitre A, partie III.

373.

Né en 1928 à Newcastle (Indiana), Robert Indiana (de son vrai nom Robert Clark) est généralement associé au mouvement du Pop art. Utilisant des lettres en tant qu’éléments de ses sculptures et de ses tableaux, Indiana montre l’influence que le langage et les techniques publicitaires ont exercée sur son style. Son travail a été exposé entre autres au Museum of Modern Art de New York.

374.

Pendant le processus de conception de Numbers, William Katz et Robert Creeley avaient réalisé 5 Numbers (New York : The Poets Press, 1968), un livret constitué par les cinq premiers poèmes manuscrits par Creeley à partir des tableaux d’Indiana (poèmes qui seront ensuite insérés dans Numbers) et une image réalisée par Katz pour la couverture avec la technique du tampon caoutchouc (rubberstamp). Les illustrations sont disponibles en annexe II.

375.

Les poèmes de Creeley ont été traduits de l’anglais par Klaus Reichert. Le choix de la maison d’édition allemande a été le produit de la présence de William Katz qui avait déjà travaillé avec eux.

376.

L’œuvre est disponible en format relié et en format portfolio.

377.

Voir Numbers dans In Company CD-ROM.

378.

Honish. Numbers. Stuttgart: Domberger Press, 1968. Introduction.

379.

L’organisation des images d’Indiana, tout comme la correspondance qu’elles établissent avec l’écriture de Creeley, nous renvoient à la collaboration réalisé par Charles Demuth et William Carlos Williams et dont le résultat est le célèbre tableau The Figure 5 in Gold (1928). Plus que d’une véritable collaboration il s’agit ici d’une réponse de l’artiste suite à la lecture du poème de Williams « The Great Figure » (1921), dont il propose une représentation picturale. On sait que l’œuvre de Demuth a influencé l’art d’Indiana comme en témoignent les tableaux The Figure Five, X-5 et bien sûr Five. Williams d’autre part est un des modèles littéraires majeurs de Creeley. Dans Numbers ainsi les deux collaborateurs rendent hommage à l’art de leurs modèles tout comme à l’acte (collaboratif) qui les unit.

380.

Honish. Ibid.

381.

Il s’agit d’un processus de défamiliarisation bien courant dans l’art américain des années 1960. A ce propos voir le chapitre B, partie III.

382.

La défamiliarisation dans ce cas a lieu paradoxalement grâce à la stimulation de la contemplation chez l’observateur, ce qui pourrait étonner l’activité contemplative étant souvent regardée avec suspicion car généralement vue comme synonyme de passivité réceptive. N’étant pas habitué à admirer les chiffres mais à les utiliser, l’observateur est ainsi poussé par l’artiste vers une prise de conscience de leur valeur esthétique.

383.

Indiana. Cité dans Ryan. Robert Indiana: Figures of Speech. 117.

384.

Ryan. 100.

385.

Creeley. Entrevue avec Michel André. Tales Out of School. 111.

386.

Stein. « Poetry and Grammar ». Lectures in America. Gertrude Stein: Writings 1932-1946. 324-325.

387.

Creeley. Presences. New York: Scribner’s, 1976.

388.

Indiana. Cité par Ryan. 10.

389.

Creeley. Courriel à l’auteur, 15 octobre 2004.

390.

Selon le bouddhisme tibétain, le mandala (mot sanscrit pour « cercle » et par dérivation « territoire ») représente la condition centrale de l’être humain dans le monde. Pour changer sa propre vision du monde il faut, selon cette philosophie, d’abord se changer soi-même. Le terme indique à la fois le centre et la circonférence (l’essence et l’acte de saisir l’essence) et se réfère à des constructions géométriquement composées par des cercles et des carrés utilisés pour l’initiation tantrique. Il s’agit de diagrammes ésotériques qui permettent à chaque observateur de réintégrer sa nature au sein de l’univers. Les mandalas sont des véritables œuvres d’art souvent réalisées avec des matériaux impermanents qui se dispersent dans la nature après le rituel d’initiation.

391.

Voir le chapitre B1, partie III.

392.

A propos de ces jeux optiques et du rapport apparition/disparition voir le chapitre A2, partie II.

393.

Creeley. Entrevue avec Ekbert Faas. Towards a New American Poetics. 179.

394.

Altieri. « The Unsure Egoist: Robert Creeley and the Theme of Nothingness ». Contemporary Literature 13.2 Spring 1972 : 183.

395.

A ce sujet voir l’article de Charles Altieri.

396.

Samuel Beckett a été beaucoup admiré par Creeley qui partageait son désir de rendre le mot épais et solide comme une « chose ». En discussion avec Ekbert Faas, Creeley raconte sa rencontre avec Beckett à Paris, mettant en évidence la coïncidence de leurs désirs: « He [Beckett] was describing or stating what he had as an imagination of a word that would be entirely autonomous in its creation and existence. It was his dream to realize one word that was absolutely self-created. And he said it’s about this big [indicating a height of about seven inches, both laughing] and it has the situation of a stone ». (Faas. Towards a New American Poetics. 168). Leur recherche commune s’étend également au niveau de l’art où les deux écrivains trouvaient des modèles de création autoréférentielle (à ce propos nous renvoyons notamment aux écrits théoriques de Beckett sur l’art des frères Van Velde).

397.

Nous ne connaissons pas l’origine de cette expression qui, étant en italique, devrait être une citation. Il pourrait s’agir d’un dicton sachant que Creeley affirme avoir fait référence à certaines expressions comme « two’s company, three’s crowd » dans la composition de Numbers.

398.

Creeley. Entrevue avec Ekbert Faas. La vision optimiste du vide est affirmée par le poète également dans des poèmes tels que « The Hole » où le manque est vu comme une source de recherche et le vide sert à être rempli. (Collected Poems, 344).

399.

Creeley raconte, toujours en discussion avec Ekbert Faas, que lisant ses Numbers au Texas, un romancier Indien lui avait fait remarquer que ses poèmes, et principalement « Zero », étaient des « fantastiques réalisations de la théosophie bouddhiste ». Faas. 183.

400.

Creeley. Entrevue avec Michel André. Tales Out of School. 111.

401.

Les images des tarots on été réalisées par Pamela Colman Smith, membre du groupe connu sous le nom de « Holy Order of The Golden Dawn » fondé par l’occultiste A.E. Waite en 1903 et dérivant de la Société Rosicrucienne. Le travail combiné de Waite et Colman Smith peut être vu presque comme collaboratif car c’est à partir des indications de Waite que les dessins ont été réalisées. Ce dernier a également écrit des explications pour chaque carte dans lesquelles il fournit, outre que les outils interprétatifs, également une description précise des dessins.

402.

Les tarots sont composés de 78 cartes divisées en deux groupes : major arcana (21 cartes plus « The Fool ») et minor arcana (56 cartes).

403.

Creeley. Cité par Ryan. 159.

404.

Creeley. « The Release ». A Quick Graph.