1) Grille et Spontanéité : A Day Book et Mabel, du texte à l’image.

Dans le chapitre consacré à la « poétique de la présence » et à l’étude de Presences, nous avons déjà eu l’occasion d’analyser la spécificité du travail de Creeley par rapport au procédé formel de la grille : l’œuvre est organisée autour de paramètres préfixés tels que la longueur des pages et la séquence des chapitres. Par la création d’un support (« scaffolding ») Creeley déployait ce que nous avons appelé une « double temporalité », faite de présence et de continuité, d’instantanéité et de durée. Par l’analyse de Mabel et A Day Book, les deux autres textes en prose qui constituent le volume Mabel : A Story & Other Prose (1976) dans lequel est inséré également Presences, nous allons maintenant explorer le rapport entre la constitution des barrières et leur déstabilisation à l’intérieur de collaborations présentant une double inversion de tendance. D’une part, nous remarquons effectivement l’utilisation de la technique formelle de la grille empruntée à l’art pictural dans le domaine de l’écriture, ce qui crée un contraste, dans ces collaborations, entre l’abstraction du langage et la nature figurative des images. D’autre part, le processus de réinvestissement touche maintenant le travail de l’artiste (Jim Dine dans Mabel et R.B. Kitaj dans A Day Book) du fait que le processus créatif suit un mouvement inverse (du texte à l’image) par rapport à celui de la plupart des collaborations de Creeley.

A la différence de Presences, Mabel et A Day Book ont été conçus à l’origine par l’écrivain : les images n’ont été associées à l’écriture que dans un deuxième temps, ce qui constitue une inversion de rôles pour Creeley et pour ses collaborateurs. Le visuel ici façonne le travail du poète d’une façon indirecte car celui-ci emprunte des techniques appartenant au domaine pictural mais ne crée pas à partir d’images spécifiques. Creeley en effet n’agit pas en tant que modelant mais en tant que modèle, rôle qu’il a déjà occupé dans sa collaboration avec René Laubiès 641 . Même si le rôle actif de l’écrivain en tant qu’observateur est réduit par rapport aux collaborations précédentes, il est intéressant de voir comment son écriture influence la création de l’œuvre d’art et surtout comment l’artiste, agissant comme un lecteur privilégié, réagit face à la complexité de la prose de Creeley. L’étude de cette inversion de rôles peut donc être révélatrice en ce qui concerne l’activité collaborative de Creeley.

78. R.B. Kitaj. For Love (Creeley).1966. Lithographie. (58,42 x 40,64 cm).

A Day Book, réalisé en 1972, constitue la deuxième expérience collaborative de Creeley avec le peintre R.B. Kitaj 642 . L’artiste et le poète s’étaient rencontrés pour la première fois à Londres vers le milieu des années 1960, lors d’une cérémonie organisée en l’honneur de Creeley par l’éditeur Marion Boyars. L’intérêt réciproque que les deux artistes ont montré à cette occasion fut le point de départ d’une première aventure collaborative qui se concrétisa dans A Sight 643 , un ouvrage précieux constitué par un poème de Creeley et par trois sérigraphies de Kitaj. Comme Creeley le raconte, il avait été immédiatement fasciné par l’artiste et par ses connaissances littéraires :

‘I was very attracted by his singular literacy, call it, really his obvious love of reading and books generally – but particularly those having to do with radical political thinking or the cultural imprint of the times – both of which he could find in various guises in Ezra Pound despite the fascism. He was a quirky, intensive and extremely well grounded thinker 644 .’

Kitaj de son côté, avait exprimé son admiration pour le poète par la réalisation d’un portrait à partir d’un dessin conçu dans son studio : la lithographie For Love (Creeley),représentant le résultat final du travail de l’artiste, demeure aujourd’hui un des plus saisissants et intenses portraits du poète.

A Day Book naît à l’origine comme la réponse à une demande de l’artiste qui éprouvait le besoin d’une « base » à partir de laquelle créer une séquence d’images.

‘R.B. Kitaj had invited me to provide a text which might serve as basis for a sequence of prints. I wanted it to be ‘long enough’ – whatever that can mean – and hit upon thirty as feeling right. So “A Day Book” is precisely what it says it is, thirty single-spaced pages of writing in thirty similarly spaced days of living 645 .’

La prose de A Day Book, comme nous l’avons annoncé plus haut, est le produit de l’application des règles formalistes de la grille et de la série dont Creeley se sert également dans Presences et Mabel. Tout comme dans ces collaborations, l’écrivain définit sa mesure au début du processus créatif choisissant, dans le cas spécifique de A Day Book, le jour en tant qu’unité et le mois en tant que grille à l’intérieur de laquelle insérer les différentes composantes. Cette structure lui permet d’amplifier le cadre de la narration sans devoir se poser de questions de cohérence tout au long de la création : par la juxtaposition de ce qu’il définit comme des « prises », il crée une séquence qui se développe naturellement à l’intérieur de la structure choisie. « Instead of thinking of writing the novel, I thought of writing a sequence of such takes. Then I began to experience, as they continued, their interworking » 646 , explique-t-il à propos de sa pratique narrative.

Si le poète perçoit l’utilité d’une telle composition suite à l’observation des tableaux horizontaux de Pollock 647 , il est intéressant de voir comment l’organisation de son écriture évoque en réalité beaucoup plus la méthode compositionnelle utilisée par les peintres formalistes tels que Chuck Close. La disposition des images du peintre expressionniste avait dévoilé à Creeley le pouvoir de la création séquentielle produite par le choix d’un support horizontal. Comme le souligne Yves-Alain Bois, Pollock « n’est pas le premier à peindre à plat, mais il est le premier à souligner l’horizontalité de son support en tant qu’élément essentiel de son processus de travail (il n’y a pas de coulure verticale, l’espace isomorphe de ses tableaux n’est pas orienté par rapport au corps de l’homme érigé) » 648 . Néanmoins, les techniques combinatoires qu’exposent les ouvrages en prose tout comme certains des poèmes de Creeley, évoquent essentiellement la structure des grilles formalistes. Comme Close, Creeley crée en effet à partir d’une grille vide qu’il va ensuite remplir systématiquement, établissant ainsi des rapports thématiques et linguistiques entre les cases originairement vides.

L’originalité de ce procédé consiste dans l’exposition du support structurel. Les grilles modulaires, en effet, « sont des structures planes par excellence, qui mettent en évidence le tableau en tant qu’objet. Elles permettent de voir le tableau en soi, plutôt que de voir à travers lui un “sujet” ou un espace illusionniste » 649 . Comme le souligne Sandler, ces structures mettent l’accent sur leur « grammaire » :

‘La grille modulaire, en particulier, attire l’attention sur sa grammaire. Comme elle ressemble à un graphique, elle pourrait être le véhicule d’une information concernant, selon toute probabilité, la « vie » ou la réalité ; pourtant, cette information est absente : dans l’art des années soixante, la grille ne donne d’information que sur sa propre nature et sur sa fonction d’œuvre d’art 650 .’

La grille utilisée par Creeley dans A Day Book est rendue visible dès l’introduction du livre et tout au long du texte, confirmant ainsi la spécificité des procédés formalistes qui, comme l’explique Brian McHale citant Charles O. Hartman, rendent l’observateur/lecteur conscient des mécanismes créatifs : « Machine-generated poetry, says Hartman […] is designed to “encourag[e] the reader not just to participate in making sense but to be conscious of participating” » 651 . Le lecteur collabore donc en essayant de renouer les fils de la narration spontanée contenue dans la structure du journal intime choisie par l’écrivain. Celui-ci évoque, dans une discussion avec Ekbert Faas, son intérêt pour les possibilités offertes par ce support formel :

‘I came upon a quote of Thoreau’s talking about what he calls a “day book” in which he collects the events of the day and so on, and then he translates them into some information and judgment of his own. I’m interested in the phrase “a day book” where he uses it for notations of what happened. But the point is that I don’t transfer or translate, but let it stand 652 .’

L’écriture de Creeley se révèle être en réalité le produit d’un véritable transfert de ses expériences quotidiennes sur la page, un transfert qui, contrairement à ce que le poète affirme, implique un réinvestissement qui, malgré sa nature minimale, reste pourtant présent. Ses expériences se présentent toutefois comme immédiatement notées car le poète ne les organise pas mais procède par accumulation. Les annotations s’entassent alors à l’intérieur de chaque case. Cette agglomération est rendue possible grâce à la présence du support qui se charge d’assurer l’organisation de l’écriture.

A l’intérieur de chaque « case » constituée par la durée d’un jour, Creeley inscrit donc son expérience de la quotidienneté telle qu’il la vit pendant les années 1960 au Nouveau Mexique. A mesure que nous avançons dans la lecture, nous pouvons reconnaître des personnages, des lieux et des préoccupations qui reviennent cycliquement à l’intérieur de la structure narrative : « All the day has seemed echo after echo of previous condition » 653 , écrit-il dans le récit d’une nouvelle journée. Toutefois, les personnages et les lieux évoqués se présentent toujours inédits grâce à la multiplicité des combinaisons réalisées par l’écrivain : ce sont donc les échos et les références qui nous aident à nous situer même si ce n’est que provisoire. Il faut en effet renoncer, lorsque l’on aborde la lecture de A Day Book, à la cohérence séquentielle et chronologique des événements : même si la structure marque indiscutablement la suite temporelle des jours, les expériences enregistrées par Creeley ne sont pas toujours dépendantes de cette structure temporelle et souvent se révèlent être les produits de la mémoire ou des associations mentales de l’écrivain qui, à partir d’une expérience banale, remonte en arrière dans le temps, renvoyant à d’autres moments de sa vie, à d’autres lieux, à d’autres personnages.

‘Anyhow that Alan is here, the other Alan – there are many Alans in the world at one time, but only one by one do they seem evident − or ask the question: will all those named Alan please signify by raising their right hand. No one does, i.e., no one here other that Bob, Robert, Bobby, boy man – Boyman. Willie Boyman. You put your little foot right here, and your left foot right here, and your right foot right here, and there. Burble through walls again. The one so-called constant. The other Alan saying, in NYC a winter ago – the psychic energy of so many people in the buildings surrounding, can literally feel the weight of its force, pushing on him etc. Squeezing his head possibly into shape of insufficient turnip. A lone blade of grass on a broken sandhill. Echoes. The pun they couldn’t kill. Eccos. Necco wafers. Thinking of ‘future’ – somewhere in time and space there awaits some number like fifteen people, various sorts and sizes, expect to be dealt with in some manner for period of two hours – in roughly two hours 654 .’

Dans ce paragraphe, chaque événement s’infiltre dans le suivant selon un processus de transformation qui est produit par la langue. Ce sont en effet les associations sonores et linguistiques qui, tout comme dans Presences, permettent à l’écriture de se développer suivant des nouveaux chemins tout à fait incohérents par rapport au début de la narration. Ainsi, à partir d’une réflexion concernant les noms, la voix narrative joue avec les échos développés à partir du nom de l’auteur (« Bob, Robert, Bobby, boy man – Boyman. Willie Boyman. ») et, en passant par l’image d’un adulte apprenant un enfant à marcher (« You put your little foot right here, and your left foot right here »), elle dévie ensuite la narration à partir d’un élément contingent venu interrompre le flux des pensées (« Burble through walls again »). Le point de vue ainsi change complètement pour se concentrer sur l’image d’un autre « Alan » (dont l’identité reste d’ailleurs vague tout le long de la narration) à New York. Mais cette image ne reste imprimée dans l’esprit du lecteur qu’un instant, se transformant à nouveau à cause des jeux linguistiques et renvoyant à nouveau au monde de l’enfance par la référence aux biscuits « Necco » (« Echoes. The pun they couldn’t kill. Eccos. Necco wafers. »). Le paragraphe se conclue enfin avec une image très vague suggérant l’activité professionnelle de l’auteur, qui, face à des étudiants dont l’image n’apparaît pas aux yeux du lecteur, essaye de donner une forme à un intervalle temporel de deux heures. Le flux de l’écriture reste ainsi mouvant, prêt, comme dans Presences, à suivre de nouveaux courants produits par les jeux de la langue.

Selon Paul Sherman, ce contraste entre la rigidité du système et la qualité fluide de l’écriture est dramatisé à l’intérieur de la narration par l’alternance entre la crise et le renouvellement auquel la voix narrative semble aspirer 655 . L’affirmation et l’abolition des barrières sont en effet constamment évoquées par les récits concernant la vie de couple du protagoniste (écho du rapport entre Creeley et Bobbie Louise Hawkins) qui avance au rythme de la routine brisée par des tentatives de transgression de la part du protagoniste (surtout au niveau sexuel) et par les visites à l’improviste de sa famille ou d’amis artistes :

‘Fucking visitors anyhow. Ed says, are we bothering you – at point I feel so literally sick I could vomit on him, and know the question, in my Machiavellian yet fever, is only to reassure him. Is it hurting you, love. Do you mind I ate the last of the meat. Are you sure you’ve no use for it. Fuck’em 656 .’

Les mêmes tensions entre l’équilibre et la rupture sont perceptibles lorsque l’écrivain aborde un autre thème principal de la narration, celui de la création littéraire : nous le voyons alors pris entre le conventionnalisme et la fixité de son rôle institutionnel d’enseignant d’une part et ses aspirations créatives d’autre part.

Nous sommes donc face à une écriture qui revient constamment sur les mêmes thèmes tout en essayant de renouveler leur présentation : il y a, dans A Day Book, une perpétuelle alternance entre la constitution d’un ordre rassurant et la prise de risques. Dissimulée à l’intérieur d’une description de ses obsessions domestiques, cette tension entre la constriction et la spontanéité est ainsi résumée par Creeley :

‘Formalist, he would find himself straightening the rug, dumping ashtrays, insistently checking his experience of the room, rooms, to see if the familiar order were continuingly the case. But otherwise had also impulse or something made him jump when no chance of landing anywhere seemed likely 657 .’

En contraste mais dépendants l’une de l’autre, la stabilité du support et la spontanéité de l’écriture s’exaltent donc réciproquement: c’est grâce à la structure formelle utilisée comme mesure que la variété de l’écriture peut émerger. Surtout, c’est grâce au support qu’elle ne devient pas aléatoire, chaotique. A l’inverse, c’est grâce à l’existence d’une forme fluide à contenir, que le support est perçu comme stable. Comme nous l’avons souligné précédemment, la contingence émerge toujours dans l’écriture de Creeley, ce qui devient évident notamment lorsqu’il souligne le rôle actif de la machine à écrire pendant le processus créatif : « Whether errors, as meaning to write Echoes becomes Whether, as the finger meant to strike the E key, hits the W – and the thought moves to include it, to use it in the thought, and so on » 658 . Pendant la création, l’écrivain se bat contre un ensemble d’événements qui minent son équilibre et sa concentration. L’utilité du support réside donc dans son pouvoir d’encadrement : Creeley s’acquitte du poids de la gestion de la cohérence de son œuvre étant ainsi libre d’intégrer tous les stimuli qui l’entourent dans son écriture.

‘The machine talking too, as one fumbles in use of it. Barking doors. Crying tables. Split lights. All that clutter – book at that moment falling down back of typewriter, so that head becomes attentive and yields momently to record of it, and now is again back in the difficulty of the typewriter, how wide the paper is, where is one, or where are the words now in their occupation of the paper – how much left, to go, to be said before the end of it has been come to. How much time is there left. The ease of it, also – being tired, wants to relax in that continuum, to yawn, stretch, let go of attention as a preoccupation. What’s that all about 659 .’

Le mérite de la grille choisie consiste dans la réduction de ce que Creeely appelle « l’attention en tant que préoccupation » (« attention as a preoccupation ») : il ne critique pas l’attention en tant que réponse active au réel mais en tant que préoccupation concernant le développement du texte. Se chargeant du pouvoir décisionnel, les structures semblent alors réduire l’autorité de l’écrivain qui accepte cette réduction de bon gré : Creeley sait bien que réduire l’autorité de l’écrivain ne signifie pas abolir celle du sujet, car, au contraire, grâce à cette diminution de l’autorité, la voix narrative trouve enfin la liberté de son expression et peut témoigner de la multiplicité de son expérience du réel.

Les structures toutefois, tout en semblant solides et compactes grâce à l’accomplissement de leur fonction d’encadrement, ne sont pas exemptes des effets de la contingence : elles sont le produit de l’homme et, en tant que telles, un instant suffit pour qu’elles n’aient plus de raison d’exister. Leur stabilité est donc purement apparente face à la précarité de l’existence : l’ordre chronologique (la mesure choisie par l’écrivain pour aborder son travail) est constamment remis en question par l’imprévisibilité de la vie évoquée par la prose. Se référant à la crainte de sa mère par rapport à la mort, et expliquant comment la maladie de sa tante Berenice la fait sentir proche, elle aussi, du départ, selon une logique purement chronologique, l’écrivain écrit :

‘She’s old now too. Can’t be much less than Aunt Berenice, and Helen says, on the phone, she must now think of herself as next – that damn history again, the chronological – though it so rarely proves the actual sequence, as my own father’s death would demonstrate, or John Altoon’s – or so many, from the war, or otherwise. The chance, that changes all of it. There’s no listing proves the way it has to be as 1, 2, 3, etc 660 .’

La prose de Creeley se bat ainsi contre ce système qui assure son existence même. Elle mine les bases du support grâce auquel elle acquiert une « visibilité ». C’est en effet sur cette tension que s’appuie la collaboration entière. L’ordre apparent que le poète donne à son écriture, tout comme l’ordre formel que l’homme essaye de donner à la vie en encadrant le temps et l’espace, peut donc être mis en question à tout moment.

L’aspect matériel du livre produit par la collaboration de Creeley avec Kitaj confirme la nature décomposée de la prose ainsi que la crise du support chronologique. A Day Book se présente d’une part comme un ouvrage précieux de dimensions imposantes (62,50 x 43 cm). La couverture est en cuir noir et le titre ainsi que les noms des collaborateurs sont imprimés frontalement et sur le dos. L’apparence physique de l’objet, le soin évident des détails et le raffinement du matériau, lui confèrent des traits caractéristiques du « livre d’artiste ». Le nombre limité d’exemplaires, 295 dont 225 destinées à la vente, confirme le désir de l’artiste et de l’écrivain de réaliser un ouvrage rare et précieux.

D’autre part, une fois ouvert, l’ouvrage se caractérise par une imprécision et un décalage frappants par rapport à son apparence extérieure. Les vingt-sept pages en prose qui, comme dans Presences ne sont pas numérotées, sont imprimées sur des feuilles multicolores et présentent des caractères chaque fois différents. Certains exemplaires du livre ont également été réalisés sous forme de portfolio, les feuilles étant insérées à l’intérieur d’une boîte rigide, ce qui confère au texte un aspect dénoué et informel contrastant avec la rigidité et l’élégance du support à l’intérieur duquel il est inséré. Le livre agit ainsi comme le cadre à l’intérieur duquel le flux de l’existence véhiculé par la narration est enfermé, de la même façon que cette narration est à son tour réglée par le support formel de la grille choisie par l’écrivain.

79/80. Robert Creeley et R.B. Kitaj. A Day Book. (Pages de texte. 73,66 x 50,80 cm). Berlin: Graphis, 1972. Green Library. Department of Special Collections, Stanford University.

L’aspect élégant et original du livre est le produit du désir de Kitaj de réaliser un ouvrage hors du commun, comme le montre cette lettre adressée à Creeley avant le début de la collaboration :

‘Can you conceive of doing an elegant, very special book with me … Marlborough wants to go into that area and I’d love to do something very good and tough and interesting … a book with you and a book with [Robert] Duncan. My feeling is that it should not be slight (one poem etc.) or already published. Maybe something long or polemical or prose or something unpopular or difficult to publish 661 .’

Il est évident que Kitaj veut produire une œuvre capable de provoquer le lecteur d’un point de vue formel (complexifiant l’acte de la lecture) mais également au niveau du contenu (« something long or polemical or prose or something unpopular or difficult to publish »). Son art est souvent caractérisé par un ton polémique et se présente beaucoup plus engagé politiquement que l’écriture de Creeley. Comme nous le verrons dans les pages suivantes, A Day Book, tant par son apparence extérieure que par son contenu, concrétise ces désirs de l’artiste. Le besoin qu’exprime Kitaj d’un texte pour la réalisation de son projet découle de sa passion pour le monde littéraire : son lien avec la littérature est le produit de nombreuses lectures et de son admiration pour des auteurs tels que Franz Kafka, Ezra Pound et James Joyce. Plusieurs fois d’ailleurs l’artiste cite ces personnages dans ses tableaux ou réalise des portraits d’écrivains parmi lesquels apparaissent également Creeley et Duncan représentés notamment dans le célèbre A Visit to London (Robert Creeley and Robert Duncan), réalisé en 1977. Par la citation des personnages du monde littéraire, Kitaj essaye en effet de s’approcher d’un univers dont il partage les valeurs et les techniques. Tout comme Creeley, il veut utiliser la poésie comme un modèle pour sa création artistique afin de « réaliser visuellement ce que les poètes réalisent verbalement » 662 . Il n’est donc pas étonnant que l’artiste choisisse comme phrase d’ouverture du catalogue de sa première exposition personnelle en 1963, la fameuse formule Horatienne « ut pictura poesis », ou qu’il réalise en 1965 un tableau intitulé The Rival Poet où il propose une synthèse des genres littéraires qu’il admire :

‘I have no memory of what the original picture meant [The Rival Poet - 1965], although the title would suggest a compendium. It is, on the one hand, the compendious nature of certain modern poets and writers which has interested me: Joyce, Pound, Eliot, Mann, Benjamin, Ashbery, Duncan et al ... those who try to get the whole world in, and, on the other hand, I love the more intimate, confessional ones like Creeley, Lowell, Emily Dickinson, et al ... whose world – view is more in their own mirror 663 .’

Kitaj insère Creeley dans le groupe des poètes confessionnels et l’éloigne de Duncan et Pound qui, comme nous le savons, comptent parmi ses modèles les plus importants. Creeley en réalité occupe une position intermédiaire entre ces deux groupes : d’une part, même si une partie de sa production poétique se rapproche du subjectivisme de Dickinson, il ne peut pas être considéré uniquement comme un poète confessionnel ; d’autre part, ses poèmes ne témoignent pas du même encyclopédisme que les œuvres de Joyce, Eliot, Pound et Duncan. Kitaj montre en tout cas sa passion pour l’art littéraire : par des œuvres telles que The Rival Poet il réalise ainsi son credo selon lequel « certains livres ont des images et certaines images ont des livres » 664 . Un credo qui nous semble se concrétiser encore plus dans sa collaboration avec Creeley : ici l’image s’insère entre les pages du texte de la même façon que le texte pénètre dans la dimension de l’image par le choix de l’artiste de certaines phrases extraites de la prose de Creeley et par leur reproduction picturale.

Comme nous l’avons affirmé précédemment, l’analyse du processus créatif de Kitaj à partir du texte peut nous aider à comprendre le travail de Creeley avec l’image car, dans les deux cas, il s’agit de créer à partir d’une œuvre préexistante et réalisée dans un autre système sémiotique. Kitaj, face à la nature désordonnée de l’écriture de Creeley recherche, comme tout lecteur attentif, des repères et des fils conducteurs dans la narration. Cette recherche produit un questionnement sur l’identité des personnages évoqués dans le journal de l’écrivain que le peintre croit reconnaître et à propos desquels il interroge Creeley demandant : « Who is Alan ? » ; « Alex is Trochi, isn’t he ? » ; « Leslie is Fiedler, isn’t he ? » ; « Allen is Ginsberg ? » 665 . Isolant ainsi des personnages, l’artiste établit le matériel à partir duquel il va créer, avec l’aide de Chris Prater, huit sérigraphies accompagnées de quatre dessins et d’une lithographie où les portraits des personnages évoqués dans la prose sont associés à des phrases très courtes extraites directement du texte : « Creeley’s beautiful prose work Day Book inspired me to lift certain lines which caught my fancy. I then built a print out of each of these lines » 666 .

Le travail de l’artiste semble être guidé, à première vue, par le désir de réduire la complexité de l’écriture : il s’offre, par ses images, des appuis grâces auxquels il peut se repérer dans l’écriture et permettre au lecteur à son tour de reconnaître certains personnages. L’aspect morcelé de ces images évoque, en même temps, la nature des personnages décrits par Creeley : ceux-ci apparaissent et disparaissent de façon immédiate dans la prose, émergeant de temps en temps pour ensuite plonger à nouveau dans l’obscurité. Tout ce que le lecteur, et l’artiste, peuvent saisir c’est donc leur apparence provisoire et indéfinie, ce qui est reflété par la qualité fragmentaire des images.

La pratique d’accompagner ses images avec du texte, et donc de permettre au mot de s’inscrire à l’intérieur de l’espace propre à l’image, caractérise l’art de Kitaj à partir des années soixante, reflétant sa conscience des limites de son langage expressif. Kitaj utilise le mot comme un moyen d’enrichir son image, pour lui faire dire ce qu’elle, toute seule, ne peut pas communiquer, poursuivant ainsi un rêve d’exhaustivité.

L’association du mot et de l’image dans A Day Book acquiert toutefois un aspect singulier, car le texte de Creeley est utilisé de différentes manières par le peintre. D’une part il est placé, sous forme d’écriture manuscrite, à la façon d’une étiquette au-dessous de l’image comme pour illustrer son contenu. C’est le cas du portrait d’une des vieilles dames évoquées par Creeley qui, comme le peintre le rappelle en citant son collaborateur, même si son corps vieillit, « est encore une jeune-fille à l’intérieur » : « Someone was speaking of the elderly lady who, looking in the mirror, saw the face she couldn’t accept as hers, all the wrinkles, the changes in it, in that inside she was a girl still. Me… » 667 . Le peintre toutefois, citant la phrase de Creeley, efface visiblement le mot « girl » par un trait bleu, selon une technique d’inscription-effacement qui lui est propre et qu’il avait utilisée également dans A Sight. Par cet effacement, il marque son appropriation du lisible, insistant également sur l’inéluctabilité de la condition de la femme décrite par Creeley. La même utilisation du texte caractérise le portrait de Jim Dine, l’unique lithographie réalisée par l’artiste dans cette collaboration, au-dessous duquel nous lisons notamment « Jim Dine, frozen and bruised », phrase extraite du paragraphe suivant :

‘At last. Jim Dine writes: “i just returned from a football match and i am frozen and bruised. my oldest son and i were thrown and crunched to the ground by a partisan crowd. these English are a queer bunch…” 668 . [sic]’

Dans ce cas, tout comme dans l’image inspirée de la phrase « Mrs Gutierrez describes what the doctor told her », la fonction d’étiquette de l’écriture est plus marquée par rapport à l’image précédente : aucun effacement n’est pratiqué et les mots extraits de la prose sont clairement réécrits par Kitaj au-dessous des images.

81. Sérigraphie de R.B. Kitaj. A Day Book. (73,66 x 50,80). (I)
82. Sérigraphie de R.B. Kitaj. A Day Book. (73,66 x 50,80). (II)
83. Lithographie de R.B. Kitaj. A Day Book. (73,66 x 50,80).

D’autre part, le texte n’est pas réinscrit manuellement par l’artiste mais il est présenté typographiquement sur la toile: il ne s’agit pas alors de décrire les qualités d’un personnage mais d’isoler une situation narrative en la reconstruisant sur la toile, parfois figurativement, d’autres fois abstractivement. Il existe toutefois des exceptions, comme le confirme la sérigraphie réalisée à partir de la phrase : « but that was in another country and besides, the wench is dead ». Comme le rappelle Jane Kinsman, la singularité de la phrase est due au fait qu’elle est une citation d’une citation : T.S. Eliot avait utilisé ces vers tirés de The Jew of Malta de Christopher Marlowe en tant qu’épigraphe pour son poème « Portrait of a Lady » 669 . Ainsi, par l’action du peintre, la prose de Creeley s’enrichit de références et l’œuvre dans son ensemble se complexifie. Kitaj, par l’insertion de cette citation, imite ainsi la complexité du style de Eliot, riche en références à d’autres œuvres et en citations d’auteurs anciens et contemporains.

84. Sérigraphie de R.B. Kitaj. A Day Book. (73,66 x 50,80). (III)

Cette insertion de matériel dérivant d’autres sources paraît pourtant contraster avec la tendance à la simplification qui nous semblait dominer dans le travail de l’artiste développé à partir du texte. Un contraste dont le sens est à rechercher au niveau de la reproduction du travail de l’écrivain de la part du peintre. Kitaj en effet, pour répondre à l’œuvre textuelle, a besoin tout d’abord de la comprendre, et donc de simplifier le travail de Creeley. Cette simplification consiste d’une part dans la mise en évidence des éléments organisateurs du discours (éléments structuraux de la prose qui permettent au lecteur de s’orienter, comme les phrases que nous avons citées précédemment concernant Mrs Gutierrez et Jim Dine), d’autre part par la distinction de ces éléments par rapport aux éléments interpolés (citations d’autres auteurs, d’autres œuvres etc.). C’est à partir de cette « familiarisation » avec l’œuvre écrite que l’artiste peut, ensuite, produire son travail créatif, ajoutant d’autres éléments (dans ce cas la citation de Eliot) et enrichissant le texte de Creeley plutôt que le simplifiant. Par cette technique Kitaj imite alors le travail de Creeley : les deux essayent d’interrompre la linéarité de la perception du lecteur/spectateur en créant des sauts ou en déviant la trajectoire du discours 670 .

Par ce travail, le peintre dévoile ainsi la coïncidence existant entre son regard et celui du poète. Dans la plupart de ses sérigraphies, Kitaj extrait des passages de l’œuvre de Creeley et leur donne une expression plastique : le texte émerge du fond de la toile tout comme les images qui l’entourent. L’œil de l’observateur/lecteur bouge ainsi constamment du texte à l’image selon un mouvement qui imite le fonctionnement de la pensée avec ses sauts d’une idée à une autre, avec ses passages de détails à une vision d’ensemble et que Creeley reflète si bien dans son écriture. Les images de Kitaj, grâce également aux effacements qu’il pratique, reproduisent ainsi une façon de voir caractérisée par une alternance de clarté et de confusion : comme le souligne John Ashbery, les objets (et le mots dans le cas de A Day Book) apparaissent un instant pour ensuite perdre leur netteté. Ainsi, il définit l’art de Kitaj comme: « A miming of a way of seeing wherein objects will clear for a moment and then blur, adjacent phenomena are compressed into a puzzling homogeneity, and clear outline abruptly turns illegible » 671 . Définition qui, dans A Day Book, peut être appliqué à l’art de Kitaj tout comme à l’écriture de Creeley où, comme nous l’avons vu, les personnages et les événements se présentent comme les éléments saisissables d’un flux apparemment incohérent inséré à l’intérieur de la grille représentée par les jours du mois. De plus, les images de Kitaj tout en s’approchant de l’abstraction, ne renoncent jamais à leur lien avec le réel : tout comme Creeley, le peintre refuse les procédés aléatoires et affirme la nécessité de percevoir le travail des structures à l’intérieur des œuvres d’art.

‘When art became reduced to automatic brushstroking it was doomed because, to use an inexact analogy from verse, it wouldn’t scan anymore, its structure and “correctness” could no longer be felt or tested by most intelligent people and almost everyone lost interest except for the inevitable artistic gauleiters and fortune-tellers who know everything there is to know about art. I’m not talking about abstraction, but about licentious brushing 672 .’

L’artiste et le peintre nous proposent ainsi, dans A Day Book, ce que Ashbery appelle « a stable world of change », où le désordre est contenu à l’intérieur de structures qui ne limitent pas la spontanéité mais qui, au contraire, l’exaltent : « Threats of disorder are contained to be exhibited ... Disparities are stabilized, or at least can be seen arrested in instability » 673 . Le texte de Creeley fonctionne pour le peintre comme un territoire à partir duquel l’artiste crée, répondant à ses propres préoccupations esthétiques et testant les limites de son langage : l’inversion des rôles à laquelle nous assistons dans cette collaboration nous confirme la qualité à la fois stimulante et rassurante de la création à partir d’un autre système sémiotique. Ainsi, si Creeley est à la fois rassuré et conscient d’être compris grâce à la lecture que l’artiste fait de son texte, Kitaj trouve de son côté, dans le travail de l’écrivain, une source d’inspiration inépuisable. « Partly my text A Day Book was giving him [Kitaj] a ground or provocation for his own activity », explique le poète.

‘In turn I was getting an exceptional reassurance, both in the work he did (which read me very closely) and in the fact I was also given money and a portfolio and/or book utterly unique. That was a dear pleasure 674 .’

Le fonctionnement de l’activité collaborative devient ainsi une métaphore du rapport existant, dans le travail de Creeley, entre le support et l’écriture. Dans cette collaboration, tout comme dans la suivante, le support est représenté par la prose de Creeley qui se solidifie et se renforce en étant « lue » par l’artiste. La liberté de l’écriture est au contraire représentée par le travail de Kitaj qui gagne en liberté grâce à la présence du support. Ainsi, opérant une inversion de ces rôles, nous acquérons une vue différente de l’œuvre collaborative du poète qui, créant la plupart du temps à partir de l’image, cherche dans le visible un support pour donner libre expression au lisible.

Mabel, collaboration réalisée avec Jim Dine 675 , se développe à partir d’un texte en prose écrit par Creeley pendant les années 1970 et structuré, comme Presences et A Day Book, à l’aide d’une grille formelle constituée par un nombre limité de cinq chapitres. A la différence de Presences, Creeley établit ici une périodicité où le dernier numéro de la séquence 1, 2, 3 devient ensuite le premier selon la série 1 2 3, 3 1 2, 2 3 1, 1 2 3, 3 1 2. L’écrivain établit ainsi encore une fois le contexte structurel de son écriture, choisissant un format précis, poussé par la conscience que la taille et les qualités du support façonnent inévitablement l’œuvre. L’encadrement de la prose et l’esprit formaliste de l’œuvre sont également confirmés par l’épigraphe, « Points define a periphery », empruntée à Ezra Pound 676 .

La narration est organisée en cinq parties (« Again », « Also », « To Be », « More », « Enough ») dont les titres, plus qu’aux événements caractérisant la prose, semblent se référer au processus d’écriture lui-même, marqué par la reprise (again) de la part de Creeley, après A Day Book et Presences, d’une narration développée à l’aide de structures formelles. Pendant le processus créatif, l’écrivain fera ainsi l’expérience du développement de son texte et de l’accumulation des événements caractérisant la narration (also, to be, more) jusqu’au moment où, limité par le support choisi, il aura l’impression d’en avoir assez dit (enough). A l’intérieur des cinq cadres narratifs, Creeley développe un texte abordant la thématique du rapport entre le « je » et les « autres » et fait correspondre au deuxième terme de la dichotomie le monde féminin. Comme il le rappelle dans l’introduction de Mabel : A Story, le texte naît comme une sorte « d’imagination des femmes » : « The text itself begun as an imagination of women for a collaboration with Jim Dine ». A partir du nom Mabel, dérivé de la formule française ma belle, l’écrivain construit une image féminine qui se compose d’un ensemble de souvenirs et de visions et qui donc n’acquiert jamais le statut de véritable personnage mais qui se métamorphose constamment tout au long du texte 677 . En effet, même si elle est introduite à partir du début du premier chapitre, Mabel est présentée d’une façon vague et indéfinie : elle reste insaisissable aux yeux du lecteur qui essaye de lui donner un visage.

‘She is a large, rather than sturdy, young woman. She does not particularly enjoy this aspect of herself except that it carries her through, so to speak. She can be, variously, the expected demure young lady, or else the bar-stool swinging drunken broad. It doesn’t really seem to matter that much to her. She is an age hard to determine. Very young quite probably, five or six, in her own mind, but also markedly old, looking down on it, whatever some other persons or circumstance, from that abstract wiseness.’ ‘She is attractive, was, either way. Be her daddy, if you want too, or brother, also possible 678 .’

Creeley construit le personnage de Mabel en alternant l’affirmation et la négation : après l’avoir présentée, dans la phrase suivante le poète nie ce qu’il vient de dire à son sujet. Alors Mabel se présente à la fois comme une jeune femme réservée et comme une femme ivre, affectée par l’effet de l’alcool (« She can be, variously, the expected demure young lady, or else the bar-stool swinging drunken broad »). Elle apparaît très jeune et, en même temps, visiblement âgée (« Very young quite probably, five or six, in her own mind, but also markedly old ») et elle peut être vue à la fois comme une fille et comme une sœur par le lecteur (« Be her daddy, if you want too, or brother, also possible »). Son image assume ainsi successivement des connotations différentes qui la font osciller entre la beauté et la laideur, la pureté et la corruption. En tant que lecteurs nous faisons l’expérience d’un glissement constant de l’une à l’autre vision de Mabel, un passage qui est parfois plutôt brusque, comme dans la dernière phrase du paragraphe où Creeley, par un changement du temps verbal, opère (sur trois temps) une annulation immédiate de ce qu’il vient de dire à propos du personnage (« She is attractive, was, either way »). Lorsque nous avançons dans la lecture du texte, nous comprenons alors qu’il n’y a pas qu’une Mabel mais que l’écrivain nous en présente une infinité : chaque fois qu’un nouveau souvenir est évoqué, une nouvelle « Mabel » est introduite dans le texte.

85. Dessin de Jim Dine.Robert Creeley et Jim Dine. Mabel. Paris : Crommelynck, 1977. Poetry/Rare Books Collection, State University of New York at Buffalo. (I)

En effet Mabel en tant que personnage n’existe pas, elle représente « la femme » et non pas une femme, comme le confirme ce paragraphe où l’écrivain propose une scène familiale qu’il avait déjà présentée dans A Day Book :

‘He was now home. He was sitting in a chair adjacent to a television set, not as yet turned on, that he thought perhaps to turn on. Just like that. He could feel the markedly large pieces of meat (he laughed ?) not too far from him, although he was certain enough of their very possible location, in the house. The sounds of the pans, or pots, dishes, moving in the kitchen. That was Mabel undoubtedly. Noises from the floor above him – seemingly more Mabels, these younger, more critical in the sense, a critical mass. Nothing, however, struck him as being potentially disaster 679 .’

A mesure que la narration se développe, le processus de multiplication de Mabel devient de plus en plus évident :

‘The whole situation is wallowing in an apparent hearsay of Mabels, all of whom he has actually met at one time or another in their life together. What he has loved is this flashing, challenging change in the person, now this one, now that one 680 .’

La présence de plusieurs « Mabels » dans la narration complexifie la dichotomie « he/she » sur laquelle le texte est construit : la femme n’étant pas un terme stable (elle est constamment redéfinie par le narrateur), l’autre terme de la dichotomie (l’homme) ne peut que se définir par rapport à ces changements. Ainsi, une large partie du texte est consacrée à l’analyse de la position d’un « he » dont les contours, extrêmement flous, semblent correspondre de temps en temps à ceux de l’auteur.

La focalisation narrative n’est pas stable non plus : la narration alterne entre la première et la troisième personne, ce qui fait que le narrateur est à la fois sujet et objet de la narration. Parfois alors il apparaît en tant que protagoniste du rapport avec Mabel/la femme, (« I had been thinking of Mabel, dumb, poor thing »), d’autres fois il observe de l’extérieur les relations entre elle et un autre personnage masculin, (« Given Mabel, and her miniatures, their children, he had no very actual regrets »). Le seul élément constant des deux narrations semble être la présence de Mabel. Toutefois, elle aussi paraît disparaître à mesure que nous avançons dans la lecture pour laisser sa place à un ensemble d’images féminines anonymes, juxtaposées par l’auteur sans aucun critère précis. Cette disparition est d’ailleurs visible au niveau du nom (Mabel). Dans les trois premières parties du texte, il apparaît dans la forme « Mabel » mais aussi dans la forme réduite « M », ce qui contribue à diminuer le statut et l’épaisseur du personnage (« No question of M’s conceiving, unless something of this sort happens – and can tell when conception takes place » [sic]). Dans les deux dernières parties, toutefois, le nom semble disparaître complètement, créant une opposition entre le début et la fin du texte qui ne semble avoir aucun rapport avec le titre et le personnage évoqué au début de la première partie. Les deux poèmes qui encadrent l’ensemble de la narration (l’un proposé au début, l’autre à la fin des cinq parties) confirment ce processus de disparition de Mabel : si en effet dans le premier poème on s’adresse à elle directement (« Oh Mabel we/ will never walk/ again the streets// we walked in/ 1884, my love,/ my love »), dans le deuxième nous n’entendons que l’écho de son nom (« Air’s way,/ fire’s home,/ water’s/ won again.// Ma belle,// heart’s/ peace/ passes/ into earth »).

Douglas Gunn affirme que la caractéristique principale de la prose de Creeley est la « dissemblance » : l’apparence d’ordre que l’écrivain veut donner à son texte par l’utilisation de procédés formels ne fait que contraster avec l’effectif désordre chronologique de la narration. Les répétitions n’assument donc pas leur fonction unificatrice et stabilisatrice : au contraire elles ne font que transporter le lecteur encore plus loin du sens. C’est le cas de ces paragraphes tirés de la quatrième partie du texte où, par l’application de la technique de variation dans la répétition (à partir du syntagme « door closed, move back »), l’écrivain joue avec les associations dictées par la langue, avançant dans son texte sans s’imposer aucune direction et aucun point d’arrivée. L’écriture s’arrêtera alors là où le support formel le décidera.

‘Door closed, move back in to singular point of person, and hands, or feet, appear as strangers somehow hanging at the ends of unexpectedly meaty sticks. In there, bubble of head joggles in a heavy dense, odorous air. Not pleasant, specifically. Sickening, unavoidable apparently, fixed in place.’ ‘Door closed, shaft back to one, eyes locked on absent space now no one, sounds absent, listening, murmur of constant refrigerator, heater, something still outside. Door closed, move back to bed, light, wall. Body angular, protrusions of fat here and there, belly, ass, parts of previous to knees, side of chest. Exploded veins in ankles. Expanding grey growths on back of each hand. Patches of mottled hair occurring in random pattern, also increased splotches on what can be seen of chest and stomach, moles. Upper head stick, constricted ability in breathing, dry phlegm residuum in upper throat back of nose hole. Cough, hurt. Dry insistent headache. Tightness in flexing fingers, toes.
Door closed, move to bed, sit, light low. Focus slowly of image in mind, naked. Body parts, fenders, breasts. Old days in warm weather. Bring to mind images, cards in the deck, jack, queen, king, ace. Fours. Animal patterns and abandon again. Panorama of indistinct people, slow motion, slow coercions, changes. One in turn becoming another, one after another. Use words as place, find people 681 .’

Même si ce paragraphe reste essentiellement ambigu, il est possible de reconnaître, en l’insérant à l’intérieur du « cadre » auquel il appartient (quatrième partie) la présence d’une narration à la première personne. Ce narrateur, qui, comme nous l’avons vu, entretient de temps en temps des liens avec Mabel/s, n’apparaît pas physiquement en tant que personnage : Creeley ne le décrit pas, mais crée un réseau de référence autour de lui à l’aide de juxtapositions verticales et horizontales. D’une part, il juxtapose des détails de son corps vidé de toute apparence esthétique et présenté avec froideur, presque scientifiquement (« meaty sticks » ; « protrusions of fat here and there » ; « exploded veins in ankles »; « expanding gray growths on back of each hand » ; « patches of mottled hair » ; « dry phlegm residuum in upper throat back of nose hole »). D’autre part, il insère horizontalement, entre ces éléments juxtaposés, des termes généraux concernant d’autres parties du corps sans pourtant les décrire, mais se limitant à les présenter comme dans une liste (« belly » ; « ass » ; « parts of previous to knees » ; « side of chest » ; « stomach » ; « moles »). Il y a un contraste frappant entre l’abstraction de ce corps présenté en fragments et la spécificité des détails que le lecteur arrive à figurer. Le lecteur ainsi oscille entre divers points de vue qui vont du très général au très spécifique et inversement. Le corps du personnage suggéré est ensuite inséré à l’intérieur d’un lieu construit, lui aussi, par des juxtapositions. Ce lieu reste toutefois à peine esquissé, car il est évoqué uniquement à travers l’expérience qu’en fait le personnage : la voix narrative explore ainsi ce lieu où on reconnaît une porte, un lit, un mur et le bruit du réfrigérateur, une exploration qui se développe selon un rythme en quatre temps introduits par le syntagme « door closed ». Nous assistons à un processus d’affaiblissement et presque de déshumanisation du personnage à l’intérieur de ce lieu, processus auquel semble correspondre une déshumanisation de la langue : les phrases se dessèchent perdant non seulement les pronoms personnels mais aussi les articles, la parataxe gouverne les rapports entre les mots qui traduisent des impressions instantanées de douleur (« Cough, hurt » ; « Dry insistent headache » ; « Tightness in flexing fingers, toes ») ou qui réévoquent des images mentales fugitives et indistinctes (« Bring to mind images, cards in the deck, jack, queen, king, ace. Fours. Animal patterns and abandon again. Panorama of indistinct people, slow motion, slow coercions, changes. One in turn becoming another, one after another »). La démarche de l’écrivain est ensuite exposée dans la dernière phrase du paragraphe qui renvoie au travail réalisé par Creeley dans Presences : la phrase (« use words as place, find people ») indique le désir de Creeley de vivre dans ses mots, de les voir comme des « lieux » à l’intérieur desquels et parmi lesquels il suit un chemin marqué par des rencontres avec d’autres mots, d’autres souvenirs.

Le désordre de Mabel est également produit par l’accumulation d’éléments provenant de plusieurs sources : fragments de correspondance, histoires appartenant à l’enfance du narrateur, citations, poèmes. Au début de la troisième partie notamment, l’auteur insère une sorte de dialogue que le narrateur semble entretenir avec sa mère dont la voix devient presque audible. Il cite alors des fragments de conversation qu’il aurait eu avec elle :

‘Mother ? hearing voice “… that that’s a natural position that one would take, but you shouldn’t really ever bring it up, or force one to make that decision … if I could just arrange it, so it might be a year or so before I could go…” 682

Quelques pages avant la fin du cinquième chapitre au contraire, le narrateur (ici, encore plus qu’avant, miroir de l’auteur) insère un fragment de lettre qui ne paraît pas avoir de rapports directs avec le développement de la narration:

‘‘Dear Robert :
I mean dear Bob :
What a funny slip of the pen: because I am never called Bob and never called you Robert, but probably it means that I feel friendly to you 683 .’

Par l’insertion de ces matériaux divers, l’expérience autobiographique de l’auteur émerge entre les lignes de la narration, ce qui confirme comment la dichotomie « he/she » (je/autre) caractéristique de tout le texte traduit le rapport entre Creeley et le monde féminin. Étant le deuxième terme de la dichotomie instable (mère, femme, sœur, fille etc.) le premier aussi ajuste constamment son rôle, apparaissant successivement en tant que père, mari, frère, fis, ami. Ces rôles ne sont toutefois pas présentés selon un ordre chronologique mais alternent, ce qui contribue à créer un personnage masculin aussi ambigu que Mabel. L’élément constant à l’intérieur de ce texte mouvant, et à première vue chaotique, est représenté par le fait que l’homme et la femme ne peuvent pas être définis indépendamment : Creeley montre comment les deux termes de la dichotomie sont interdépendants et acquièrent du sens en tant que « couple ».

Face à ce texte énigmatique Jim Dine admet ne pas avoir su quoi faire au début. « I didn’t know what to do when he [Creeley] sent me Mabel », affirme-t-il. La prose de Creeley était certainement difficile, sinon impossible, à illustrer car manquant de stabilité. Tout comme pour Kitaj, la collaboration devient alors pour Dine l’occasion de tester son propre langage et de se consacrer à la technique du dessin qu’il voulait explorer depuis longtemps. Une occasion qu’il embrasse positivement, car elle lui offre un confort produit par le cadre proposé par l’écrivain à l’intérieur duquel le travail du peintre trouve sa justification.

‘I didn’t have any idea about what to do but I thought it was as good a chance to do what I wanted to do in etching as anything else. And Creeley embraced it – and this is a big point about Bob – that he embraces everything. If it’s you, he embraces it 684 .’

Dine réalise ainsi dix portraits de femmes qui, dans leur ensemble, proposent la même « imagination des femmes » qui est à la base du travail de l’écrivain : jeunesse et vieillesse, innocence et corruption, beauté et monstruosité coexistent donnant un visage temporaire à ce personnage à la fois concret et abstrait nommé Mabel.

86. Robert Creeley et Jim Dine. Mabel. (Pages d’images. 60,96 x 40,64 cm). Paris : Crommelynck, 1977. Poetry/Rare Books Collection, State University of New York at Buffalo.
87. Robert Creeley et Jim Dine. Mabel. (Pages de texte) Paris : Crommelynck, 1977. Poetry/Rare Books Collection, State University of New York at Buffalo.

Ces portraits sont insérés à l’intérieur d’un ouvrage qui, par son aspect extérieur, a tout du « livre d’artiste ». Réalisé par l’atelier d’impression Crommelynck de Paris, avec lequel Dine avait déjà travaillé, Mabel est un ouvrage imposant. La prose et les images alternent et sont imprimées sur du papier d’Auvergne très épais, conçu expressément pour la collaboration par le Moulin Richard-de-Bas. Chacun des soixante exemplaires du livre, touts signés, est protégé par une boîte rigide. Cet aspect précieux du livre semble avoir été principalement le produit du travail de Crommelynck et ne correspond pas à un désir des artistes, qui, comme l’explique Dine, tout en considérant Mabel une œuvre très élégante, n’auraient pas opté pour la forme du « livre d’artiste » :

‘If I did it today I wouldn’t do it this way because I don’t feel that the text would have called for that […] we did it in a very austere classic way because Crommelynck is like that, rather than Bob and I 685 .’

Les dessins de Dine ne semblent pas s’inspirer des modèles mais résultent d’un processus de création-destruction de visages inventés par l’artiste 686 . A la différence de la tradition Pop à laquelle son travail est souvent associé, le dessin occupe une place privilégiée parmi les formes expressives utilisées par l’artiste. Tout en traitant généralement des objets communs et banals, Dine leur fait acquérir une dimension romantique et expressionniste grâce au dessin, ce qui s’oppose au traitement formel et mécanique des mêmes sujets de la part d’artistes tels que Warhol 687 . Comme le peintre l’explique, le dessin représente son moyen expressif privilégié: « Drawing is the way I speak the best, the clearest. Essentially, I am a draftsman » 688 . La spécificité de sa technique, et c’est là que réside la base de l’union entre Creeley et Dine, consiste dans la construction et la destruction progressive de l’image sur la page selon une technique qui rend évident le travail de l’artiste. Ceci témoigne de la singularité de la position du poète et du peintre dans le milieu littéraire et artistique des années 1960 : tout en utilisant des procédés formels, l’écriture et le dessin témoignent de la présence du geste de leurs auteurs. Dine fait en effet émerger le dessin d’un fond brumeux fait de traits inutilisés, de lignes à peine esquissées et qui ne sont pas développées ou de formes partiellement effacées. Il travaille perpétuellement le même sujet selon un processus de construction-destruction qui théoriquement pourrait durer à l’infini. Les dessins réalisés pour Mabel ont ainsi traversé plusieurs étapes : comme il l’explique à Elisabeth Licata, ils sont le résultat d’un processus de « reconstruction » perpétuelle 689 .

‘I could make a hundred drawings for each one I get. I am positive that by rubbing out and trying to do better, and knowing that I could do better, the whole drawing gains a kind of history and substance that it didn’t have before … overlay and rubbing out come not so much from frustration at what I’m getting as from the conscience that I can do it again and because of that specific exercise I know I am going to get something richer than had I left it alone 690 .’

Par ce processus, Dine semble imiter ainsi le travail de Creeley dans Mabel, où l’écrivain crée et récrée son personnage par addition (juxtaposition) et soustraction (effacement) de certains détails. L’addition et la soustraction ont lieu sur deux nivaux. D’une part, nous l’avons vu, Creeley juxtapose plusieurs phrases caractérisées par un haut niveau de précision, et ensuite les fait suivre par un terme très général, faisant ainsi disparaître partiellement les détails précédemment accumulés (« Expanding grey growths on back of each hand. Patches of mottled hair occurring in random pattern, also increased splotches on what can be seen of chest and stomach, moles »). Ceci semble correspondre, au niveau visuel, à la façon dont Dine dessine avec précision une forme (bouche, yeux, nez) en superposant plusieurs traits de crayon et ensuite l’estompe en en faisant disparaître les contours.

D’autre part, l’écrivain juxtapose des contradictions ou introduit des autocorrections les présentant d’une façon immédiate, ce qui crée une alternance entre l’affirmation et la négation et fait apparaître Mabel comme un personnage extrêmement ambigu (« She is attractive, was, either way »). Parallèlement, Dine exalte certains aspects des visages dessinés soulignant leur qualités féminines (cheveux, cils allongés, bouche charnue) qu’ensuite il associe à des éléments masculins (forme du visage, nez, menton) ou encore contraste la représentation de la jeunesse du visage avec la présence des signes de l’âge (rides, cernes). Par ces dessins donc, l’artiste ne donne pas uniquement une forme aux « Mabels » décrites dans le texte, mais représente visuellement la dichotomie masculin/féminin autour de laquelle le texte est organisé.

88. Dessin de Jim Dine. Mabel. (II)

Le texte et les dessins résultent ainsi être le produit d’un processus parallèle d’accumulation et d’effacement perpétuel. Pour les collaborateurs les limites du cadre tout comme les limites imposées par le support formel semblent représenter les seuls obstacles à l’expansion perpétuelle du texte et de l’image. Dans les deux cas, les supports ne servent donc qu’à exalter la spontanéité en la rendant effectivement visible. Surtout, dans les deux cas, la collaboration permet de faire émerger un même regard et une même attitude créative prise entre contrôle et spontanéité, formalisme et expressionnisme, caractérisant deux langages différents mais qui restent essentiellement « communs ». Dans la collaboration ainsi, les œuvres du poète et de l’artiste fonctionnent comme des cadres respectifs, comme des « lieux » à partir desquels ils peuvent produire leurs variations.

89. Dessin de Jim Dine. Mabel. (III)

Notes
641.

A ce propos voir le chapitre B2, partie I.

642.

Robert Brooks Kitaj est né en 1932 à Cleveland (Ohio). Après avoir vécu aux Etats-Unis, il s’établit à Londres où il devient un des représentants majeurs du Pop art britannique. Son travail a été exposé entre autres au Metropolitan Museum de Tokyo et à la Royal Academy of Arts de Londres.

643.

A Sight. London: Cape Goliard Press, 1967. Cent copies de l’œuvre ont été imprimées dont cinquante signées par les collaborateurs. La collaboration est disponible en Annexe II.

644.

Creeley. Cité par Jane Kinsman. Prints of R.B. Kitaj. Cette citation est intéressante car Creeley expose un intérêt pour la politique généralement absent dans son œuvre. Par rapport à ses contemporains, son écriture est sûrement une des moins engagées politiquement.

645.

Creeley. Mabel: A Story & Other Prose. Introduction.

646.

Creeley. Entrevue avec Lewis McAdams. Tales Out of School. 94.

647.

Lors d’une entrevue avec Lewis McAdams, Creeley explique comment la structure de « ces tableaux de Pollock qui sont distribués horizontalement, en opposition à ceux qui se présentent verticalement » lui a inspiré ce type de composition. Ensuite il continue: « [so] in numerical balance, you have a curious and insistent initial experience of how things are going to come together. Anyhow, that was a great piece of information to have in hand when I was writing. I don’t think I knew it consciously, but it felt good. It felt very appropriate ». Idem.

648.

Yves-Alain Bois. « La valeur d’usage de l’informe ». L’informe : mode d’emploi. 27. Yves-Alain Bois et Rosalind Krauss, définissant leur conception de l’informe d’après une citation de George Bataille (qui consacre à ce concept un article dans le « Dictionnaire critique » de la revue Documents dont il était le directeur de 1929 à 1930) isolent quatre « opérations » à l’intérieur d’œuvres qu’ils associent à ce concept : l’horizontalité, le bas matérialisme, le battement et l’entropie.

649.

Sandler. Le triomphe de l’art américain. 83.

650.

Ibid. 84.

651.

McHale. 19.

652.

Creeley. Entrevue avec Ekbert Faas. Towards a New American Poetics. 191.

653.

Creeley. « A Day Book ». Mabel: A S tory and Other Prose. 22.

654.

Ibid. 47.

655.

Sherman. « A Letter on Rosenthal’s “Problems of Robert Creeley” ». Boundary 2 3.3 Spring 1975: 747-760.

656.

Creeley. « A Day Book ». 15.

657.

Ibid. 16.

658.

Ibid. 35.

659.

Idem

660.

Ibid. 52.

661.

Kitaj. Lettre à Creeley non datée. Robert Creeley’s Papers 1950-1997. Stanford University: Special Collections. Box 88, Series 1. R.B. Kitaj, 1965-1985.

662.

Kitaj. Cité par Joe Shannon.« The Allegorists: Kitaj and the Viewer ».Kitaj: Painting, Drawings, Pastels. London: Thames and Hudson, 1983. 18.

663.

Kitaj. Cité par Marco Livingstone. R.B. Kitaj.

664.

Idem.La célèbre phrase de Kitaj citée par Livingstone (« Some books have pictures and some pictures have books ») était parue pour la première fois dans un article de l’artiste en 1964.

665.

Kitaj. Lettre à Creeley. Robert Creeley’s Papers Stanford University. Box 88, Series 1, 1965-1985.

666.

Kitaj. Cité par Jane Kinsman. The Prints of R.B. Kitaj. Chapitre six, « A Day Book ».

667.

Creeley. A Day Book. 30.

668.

Ibid. 43.

669.

Kinsman. The Prints of R.B. Kitaj. L’épigraphe de « Portrait of a Lady » est la suivante : « Thou hast committed –/ Fornication : but that was in another country,/ And besides, the wench is dead ». Elle constitue le dialogue entre Barabas et le moine Barnardine qui l’accuse. (The Jew of Malta. Acte 4, scène I).

670.

Voir l’idée de « requalification de l’ordre sériel » analysée dans le chapitre précédent.

671.

Ashbery.« Hunger and Love in their Variations ». Kitaj: Painting, Drawings, Paste ls. 11.

672.

Kitaj. Entrevue avec Timothy Hyman. « A Return to London ». Kitaj: Painting, Drawings, Pastels. 41.

673.

Ashbery. Citant Gene Baro. Kitaj: Painting, Drawings, Pastels. 14.

674.

Creeley. Cité par Kinsman. The Prints of R.B. Kitaj.

675.

Jim Dine, né en 1935 à Cincinnati (Ohio), est considéré comme un des représentants du mouvement Neo-Dada. Il est à la fois peintre, sculpteur et photographe. Son travail a été exposé entre autres à l’Art Institute de Chicago et au Guggenheim Museum de New York.

676.

Pound utilise cette phrase dans son introduction aux Analectes de Confucius.

677.

La polymorphie de Mabel est le produit d’un travail préparatoire de Creeley concernant la définition de la femme. Dans ses annotations, une liste de termes (maid, maiden, mother, lady, lass, girl, dam/damsel, wife woman), accompagnés par des réflexions spécifiques, montre comment Creeley explore le concept du féminin sous tous ses aspects. Il semble également que pour se préparer à ce projet Creeley ait travaillé avec ses étudiantes à l’université de Buffalo auxquelles il a demandé d’écrire leur propre définition de « femme ». La plupart de ce matériau préparatoire conçu avec ses élèves n’a toutefois pas été intégré au texte final de Mabel. (A ce propos voir « Jim Dine » dans In Company CD-ROM). En ce qui concerne le nom « Mabel », nous ne savons pas s’il a un rapport avec Mabel Dodge Luhan, figure centrale dans la communauté artistique du Greenwich Village entre 1912 et 1916. Le fait qu’elle était originaire de Buffalo, lieu où Creeley enseignait à l’époque de la réalisation de la collaboration avec Dine et où il a vécu plusieurs années, pourrait faire penser à une possible référence tout comme le fait que la vie de Mabel Dodge Luhan est liée à celle de D.H. Lawrence dont Creeley était un admirateur. Nous n’avons toutefois aucune preuve directe d’un rapport existant entre son nom et celui du personnage crée par Creeley.

678.

Creeley. « Mabel : A Story ». Mabel: A Story and Other Prose. 119.

679.

Ibid. 129. La même scène où la voix narrative écoute les bruits des mouvements de ses enfants et de sa femme est présentée dans « A Day Book » (Mabel : A Story and Other Prose, 14).

680.

Ibid. 132.

681.

Ibid. 151.

682.

Ibid. 139.

683.

Ibid. 166.

684.

Dine. Entrevue avec Elisabeth Licata, New York, 1998. In Company CD-ROM.

685.

Dine. Entrevue avec Elisabeth Licata (New York, juin 1998). « Working with Crommelynck ». In Company CD-ROM.

686.

Dans son entrevue avec Licata, Dine affirme avoir inventé ses modèles tout en soulignant comment il est possible qu’il se soit également inspiré à des photographies anonymes. L’artiste lui-même, privilégiant l’hypothèse d’absence de modèles, confesse son incertitude à propos de l’origine de ses dessins.

687.

A ce propos voir Pictures (2000), collaboration de Creeley et Dine disponible en Annexe II.

688.

Dine. Cité par Feinberg Jean E. « Artist’s Statements ». Jim Dine. 103.

689.

Dine. Entrevue avec Elisabeth Licata. « Process of Making Mabel II ». In Company CD-ROM.

690.

Dine. Cité par Feinberg Jean E. « Artist’s Statements ». Jim Dine. 102.