§1. L’approche traditionnelle d’inspiration keynésienne

En dépit des nombreuses critiques formulées à l’encontre de la théorie keynésienne concernant notamment son inadéquation aux problématiques des pays en voie de développement, c’est en vertu de ces analyses que les économistes du développement ont donné au crédit rural une place privilégiée dans le processus de croissance agricole. Aussi, durant la période de l’après-Guerre, les politiques de modernisation agricole des pays du Sud se sont largement fondées sur le crédit [Mounier, 1992 ; Wampfler, 2004]. Sous l’influence des théories keynésiennes, la faiblesse de l’investissement aux niveaux macro et micro économiques, était jugée responsable du « sous-développement ». En effet, la justification théorique du rôle du crédit comme levier de la croissance est la suivante : l’emprunt génère de nouvelles capacités productives lorsqu’il est destiné à financer l’investissement. En conséquence, le développement de l’épargne disponible joue un rôle central, les institutions bancaires également 5 .

Cependant, il était admis que l’impulsion donnée par l’investissement ne pouvait être induite par l’épargne des ménages ruraux considérés incapables d’épargner. Dans ce contexte, le crédit public est apparu comme l’instrument privilégié de la politique de croissance. En effet, durant cette période, les gouvernements n’ont pas réellement tenté de développer les systèmes financiers et se sont davantage focalisés sur l’affectation des ressources vers des activités délaissées par le système bancaire, notamment les productions agricoles tournées vers l’exportation (café, coton, arachide, etc.).

Dans cette optique, les banques ont, dans certains pays, été nationalisées (en Inde, Indonésie, Mexique, etc.) et dans les pays où ne prévalait pas de tradition bancaire à proprement parlé, des institutions financières du développement (banques de développement et banques agricoles) ont été créées [Assidon, 1996]. Les pays d’Afrique francophone se sont inspirés du modèle français, ceux d’Amérique latine, de celui des Etats-Unis. De faibles taux d’intérêts subventionnés devaient par ailleurs stimuler la demande de crédit des populations rurales, favoriser l’utilisation d’intrants et donc soutenir le développement des petites exploitations agricoles. Enfin, les institutions internationales vouées au développement telles que la Banque Mondiale ou la FAO (Food and Agriculture Organisation) ont engagé sur cette période des montants considérables dans cette voie.

Néanmoins, dès les années 1970, la politique de libéralisation financière vient rompre avec des systèmes financiers conçus et organisés comme « partie fonctionnelle » des politiques de développement [Assidon, 1996 :157].

Notes
5.

Dans l’approche classique, les institutions bancaires organisent la collecte de l’épargne et autorisent la rencontre de l’offre et de la demande de capitaux. Dans l’approche Keynésienne, leur rôle consiste à « transformer les liquidités », c’est-à-dire qu’elles transforment les encaisses monétaires liquides en des actifs moins liquides [Mounier, 1992].