§2. La rupture provoquée par la théorie de la répression financière

La théorie de la répression financière opère une remise en cause du rôle de l’Etat dans le développement du secteur financier. Ce courant s’est fondé autour de deux contributions principales, celle de Mac Kinnon [1973] ainsi que celle de E. Shaw [1967]. L’analyse de Mac Kinnon se situe dans le cadre d’une économie « fragmentée » peu monétarisée au sein de laquelle les unités économiques sont réduites à l’auto-financement, ce qui implique une épargne préalable sous forme d’actifs productifs ou de dépôts bancaires. Le niveau d’épargne sous forme de dépôts bancaires est supposé positivement corrélé avec le niveau de sa rémunération réelle ou taux d’intérêt. Ainsi, selon Mac Kinnon, l’accroissement du niveau du taux d’intérêt doit conduire à un processus de monétarisation de l’économie via la création d’un marché de l’épargne. Baptiste Venet souligne d’une part que dans cette situation « [..] ce n’est plus le marché qui détermine le prix mais le prix qui crée le marché ! » [Venet, 1994 : 3], et d’autre part, il relève que la faiblesse de l’analyse livrée par Mac Kinnon provient du fait que celui-ci n’aborde pas explicitement la question du passage d’un système basé sur l’auto-financement à celui basé sur l’intermédiation financière.

L’apport de Shaw se situe quant à lui dans le cadre d’une économie monétarisée c’est-à-dire une économie qui a déjà atteint le stade du développement financier correspondant au financement interne. Dans ce contexte, la hausse du taux d’intérêt sur les dépôts doit encourager l’épargne et accroît donc la capacité de crédit des intermédiaires financiers. C’est en réalité le modèle de Shaw que recouvre ce que l’on nomme Théorie de la répression financière. Ainsi, dans le contexte de « monnaie interne » Shaw [1973] prévoit que si les taux d’intérêts réels sont établis arbitrairement par l’autorité publique en dessous des niveaux d’équilibre du marché, la croissance économique se trouve affectée au travers des mécanismes suivants :

Les auteurs du courant de la répression financière ont donc été conduits à préconiser une politique de libéralisation financière, reposant sur le concept d’approfondissement financier ou financial deepening, pour rompre avec les politiques d’inspiration keynésienne.

La théorie de la répression financière a été largement critiquée tant du point de vue de ses limites sur le plan analytique que sur les effets controversés de la mise en œuvre de la politique de libéralisation. Sur le plan analytique, la critique qui nous intéresse ici concerne les lacunes de l’approche par rapport aux aspects structurels et notamment ceux relatifs à l’existence du secteur financier informel. En effet, pour les défenseurs de la libéralisation financière, la vigueur du secteur financier informel est l’expression de la répression financière et la fragmentation de l’économie. Vision à laquelle la Banque Mondiale adhère dans son rapport sur le Développement de 1989 6 . Dans cette optique, la finance informelle est vouée à disparaître c’est-à-dire, à être remplacée par les intermédiaires financiers formels. C’est précisément sur la remise en cause du lien entre répression financière et existence d’un secteur financier, informel, non-officiel que la critique néo-structuraliste va se forger. La remise en cause de l’hypothèse de perfection naturelle des marchés conduit les néo-structuralistes à appréhender le secteur financier informel comme une alternative efficace dans un contexte d’information asymétrique et de coûts de transactions élevés.

Notes
6.

World Development report [1989].