§3. Le renouvellement des analyses dans le cadre de la théorie néo-institutionnelle

A- Aux fondements du courant néo-institutionnaliste : l’incomplétude de l’information

Le courant de pensée néo-institutionnaliste ou encore Théorie des organisations est apparu au milieu de années 1970, Oliver Williamson en est le principal chef de file [Guerrien, 2000 :356]. Si le nom que porte ce courant peut laisser supposer une filiation avec le courant institutionnaliste américain des années 1920, soulignons que contrairement à ces derniers, les néo-institutionnalistes se positionnent explicitement dans la mouvance néo-classique. Leur originalité réside dans le fait qu’à l’inverse de la majorité des néo-classiques, ils considèrent que les marchés « parfaits » n’émergent pas naturellement de l’agrégation des choix individuels [Floro, 1991]. L’hypothèse sous-jacente consiste à énoncer que contrairement au marché walrasien, les agents ne disposent pas d’une « information complète, [d’] une capacité de calcul illimitée et [d’]un ensemble complet et ordonné de préférences » [Wampfler, 2004 : 68]. Ce que l’on nomme économie de l’information a donc introduit deux hypothèses fondamentales constituées par l’incomplétude de l’information et l’incomplétude des contrats qui permettent d’appréhender l’imperfection des marchés comme moteur de l’apparition d’organisations et d’institutions « hors marché ». L’imperfection de l’information explique les comportements individuels « irrationnels » ou atypiques du point de vue de la théorie néo-classique ; elle ouvre également la voie à l’adoption de comportements opportunistes individuels ou collectifs. L’émergence et la persistance d’organisations 7 « hors marché » jouent un rôle complémentaire par rapport à celui-ci et permettent dans un contexte de coûts de transactions 8 élevés de tendre vers l’efficience.

Ainsi, pour les néo-institutionnalistes, les organisations constituent dans certaines situations « un moyen plus efficace que le ‘marché’ pour affecter les ressources » (id). Malgré la critique de l’optimum de Pareto comme critère de référence, l’efficacité demeure cependant l’objectif vers lequel il faut tendre, le courant néo-institutionnaliste est dans cette optique normatif, puisqu’il s’agira d’identifier les formes d’organisation les « plus efficientes », c’est-à-dire, celles qui permettront de limiter au maximum les coûts de transactions ; les asymétries d’information et de garantir au mieux le respect des engagements [Guérin, 2000].

L’État n’est plus jugé responsable des imperfections du système financier dans les pays en voie de développement ; dans la mesure où son action serait source d’amélioration, son intervention est encouragée [Stiglitz, 1986]. Soulignons que si le néo-institutionnalisme au travers de l’économie de l’information s’est révélé particulièrement fécond dans l’analyse du secteur financier et des « innovations institutionnelles » constatées dès la fin des années 1970, ce courant est à l’origine d’un profond renouvellement d’une grande variété de phénomènes dans les contextes ruraux des pays en voie de développement.

‘« The theory of rural organization based on rational peasants in environments where information is imperfect and costly provides a simple explanation for a wide variety of phenomena in LDCs [Low Developed Countries]. » [Stiglitz, 1986, p. 257].’

Les organisations ou les arrangements collectifs recouvrent une certaine légitimité 9 et leur existence est appréhendée en relation avec le vide laissé non seulement par le marché mais également par l’Etat ; l’interdépendance entre ces trois entités est donc reconnue [Guérin, 2000].

Notes
7.

Entendues comme un réseau de contrats bilatéraux.

8.

Les coûts de transactions comprennent selon O. Williamson l’ensemble des coûts qui résulte de la relation contractuelle. Ils recouvrent essentiellement les trois catégories suivantes. Premièrement, « les coûts de recherche des différentes éventualités qui peuvent survenir pendant la période où le contrat s’exécute » ; deuxièmement, « les coûts provoqués par les négociations entre les parties » auxquels s’ajoutent « les coûts de la rédaction puis de la mise en forme du contrat qui en résulte » ; enfin, « les coûts inhérents à la recherche et au fonctionnement des systèmes –légaux ou autres- qui garantissent que chacun respectera ses engagements ». [Guerrien, 2000, p. 118].

9.

Les arrangements institutionnels tels que le métayage ne sont plus appréhendés comme des organisations inefficaces ; les néo-institutionnalistes s’attachent donc à en déceler la rationalité intrinsèque et à démontrer qu’ils sont efficaces par rapport aux caractéristiques de l’environnement au sein duquel ils se sont développés [Stiglitz, 1986].