C- Les impasses du courant néo-institutionnaliste pour saisir les institutions comme des « réalités socialement construites » 15 .

Si les avancées analytiques réalisées par le courant néo-institutionnaliste pour l’analyse rétrospective des organisations, arrangements « hors-marché » sont incontestables dans la mesure où ils « entérinent  l’idée d’une non- autonomie des valeurs économiques vis-à-vis des règles juridiques et sociales » [Blanc, 1998 : 292], l’optique n’en demeure pas moins de fournir une analyse fonctionnelle des organisations. En effet, le principe fondamental qui explique l’émergence des institutions ou organisations tient à la minimisation des coûts de transaction. Cela revient à négliger le caractère social, politique et culturel des organisations et donc à construire une théorie économique des institutions plutôt qu’une théorie institutionnelle de l’économie. Cette caractéristique du néo-institutionnalisme est illustrée par Williamson lui-même au travers du schéma suivant, extrait de son article de 2000.

Figure 1. L’économie des institutions

Selon Williamson [2000], le courant néo-institutionnaliste s’attache pour l’essentiel à la compréhension des niveaux 2 et 3.

‘« The top level one is the social embeddedness level. This is were norms, customs, mores, traditions, etc. are located. […] Level 1 is taken as given by most institutional economists. » [ibid : 596].’

Mais, la référence au concept d’embeddedness (défendu par la sociologie économique dans la lignée des contributions de Mark Granovetter 16 ) fournie par Williamson correspond davantage à une étape de l’évolution des sociétés qu’à une prégnance des relations sociales sur les transactions ou institutions économiques et par conséquent, n’enjoint pas les auteurs de ce courant à appréhender les faits économiques du point de vue d’une construction sociale. Même si les institutions sociales décrites par le niveau 1 de l’analyse sociale ci-dessus contraignent le niveau 2, l’analyse de leur émergence entre dans le cadre de la sociologie et non pas de l’économie. L’institution ou l’organisation n’existe que parce qu’elle est efficiente. Dès lors que les agents identifient des possibilités aboutissant à un meilleur compromis coût-bénéfice, les institutions sont aménées à évoluer 17 .

Cette approche esquive donc les problèmes liés à l’action collective ; or, si la principale fonction d’une institution consiste à servir les intérêts individuels de ses bénéficiaires potentiels, cela ne suffit pas à les expliquer [Bardhan, 1989]. Par exemple, un changement dans le niveau des prix aura automatiquement un effet sur le compromis coût/bénéfice généré par l’action collective pour différentes classes socio-économiques mais il ne saurait prédéterminer l’équilibre des forces entre ces différentes classes ou encore le résultat des conflits sociaux [Platteau, 2000]. De même, on peut tout à fait envisager que le critère de justification de l’institution soit un critère redistributif plutôt qu’efficace.

La Nouvelle économie institutionnelle ne rejette donc pas l’hypothèse de l’individualisme méthodologique :

‘“In the NIE, typically, economic agents are supposed to persue their own material interest and not to care about ‘social’ goals or values (utilities of contracting parties are assumend to depend on their income and effort)” [Platteau, 2000 : 17].’

Dans cette optique, les transactions financières “informelles” se réduiraient à une “somme de contrats inter-individuels” visant à limiter les coûts de transactions dans un contexte d’imperfection des marchés [Wampfler, 2004 : 81].

L’apport du courant néo-institutionnaliste par rapport à la théorie de la répression financière est considérable. Le rejet de l’hypothèse selon laquelle la mise en œuvre de la libéralisation suffirait à garantir l’essor des marchés financiers formels a conduit les auteurs néo-institutionnalistes à s’interroger sur les autres déterminants de la transaction financière, dépassant l’hypothèse du fonctionnement pareto-walrasien des marchés financiers, ils ont impulsé une approche novatrice basée dans sur l’hypothèse d’imperfection des marchés et d’information asymmétrique.

Malgré ces divergences, l’approche néo-institutionnelle et la théorie de la répression financière ont pour point commun de justifier le faible développement du secteur financier formel par l’absence de conditions propices à son essor.

Les organisations ou arrangements financiers informels ou encore de façon plus générique, le “secteur financier informel” “joue un rôle de régulateur et qui se substitue aux défaillances des institutions officielles” [Hugon, 1996 : 24]. La composante économique du système financier informel est isolée des autres composantes de la réalité sociale. De ces deux approches découle le constat de la prégnance du dualisme financier. Selon la théorie de la répression financière, le développement de la finance informelle “résulte d’une répression et de l’absence de régulation du marché financier par le taux d’intérêt” [ibid: 25]. Les mesures de libéralisation financière doivent conduire à réduire le dualisme entre la finance formelle et la finance informelle. Pour le courant néo-institutionnaliste, en raison de l’hétérogénéité des projets d’investissement proposés, des niveaux de richesse des agents privés et la diversité des techniques de contrôle des emprunteurs défaillants on observe l’émergence d’un dualisme « endogène » même en l’absence de répression financière. Le dualisme financier implique que les emprunteurs se répartissent essentiellement entre les secteurs formel et informel. Ainsi, les catégories de la population caractérisées par la faiblesse et l’irrégularité de leurs revenus ne se consacreraient à la finance informelle qu’à défaut de pouvoir accéder à la finance formelle.

Or, il s’avère que les résultats d’observations empiriques approfondies consacrées à la finance rurale contredisent sans équivoque l’hypothèse du dualisme financier et nous invitent à dépasser le cadre analytique procuré par le courant néo-institutionnaliste. Ces travaux conduisent à rejeter l’hypothèse selon laquelle l’ « exclusion » des populations pauvres de l’accès à la finance formelle est la « cause première du développement des pratiques dites informelles » [Servet (ed), 1995 : 279].

Notes
15.

Granovetter et Swedberg [1995 : 134].

16.

Voir notamment, Swedberg et Granovetter [1995] et Granovetter [2000].

17.

« For theNIE [New Institutional Economics], therefore, changes in institutions and rules are seen as the result of the aggregation of the decisions of rational (sometimes boundedly rational), selfish economic agents responding to changes in the underlying parameters of the economic system » [Platteau, 2000 : 10].