A- Rationalité et jeux à horizon fini et infini 

Le cadre analytique de l’échange, au sein duquel la réciprocité doit prendre place, fourni par le dilemme du prisonnier débouche précisément sur une impasse puisque ce jeu « laisse peu de chance, de prime abord à l’institution de l’échange [...] le dilemme du prisonnier fait surgir au premier plan cette interrogation sur le principe d’effectuation de l’échange, en semant le doute sur la possibilité d’obtenir la coopération des parties en présence […] » [ibid : 21]. Incontestablement, l’intérêt du dilemme du prisonnier est qu’il permet un retour essentiel de la théorie économique sur une question cruciale des origines de l’économie politique : les principes guidant l’effectuation de l’échange.

Le tableau 1 ci-dessous illustre les grandes évolutions des interrogations concernant les principes guidant et rendant probable l’effectuation de l’échange depuis l’Ethique à Nicomaque d’Aristoteau dilemme du prisonnier. Il ressort que la théorie néo-classique de la concurrence s’est débarrassée de cette question en dirigeant son attention sur un niveau supérieur d’organisation représenté par le Marché. Ainsi, « le principe de la coopération dans l’échange n’est alors rien d’autre que la concurrence, et celle-ci est l’apanage du marché » [ibid : 17]. La théorie des jeux, au travers du dilemme du prisonnier met quant à elle l’accent sur le fait que la rationalité économique au niveau individuel ne constitue pas une condition suffisante pour asseoir la coopération entre les individus, ou à générer les institutions censées soutenir la coopération interindividuelle.

Tableau 1. Trois approches distinctes de l’effectuation de l’échange
Tableau 1. Trois approches distinctes de l’effectuation de l’échange

Source : Elaboration personnelle à partir de Cordonnier [1997].

La figure du dilemme du prisonnier renvoie à l’impossibilité de la coopération entre individus égoïstes car chacun sera tenté de laisser l’autre coopérer. Toutefois, comme nous l’avons souligné précédemment, le cadre élargi d’une coopération en horizon infini (jeux répétés à l’infini) peut déboucher sur la coopération entre des joueurs guidés par l’intérêt personnel précisément au travers d’une règle de réciprocité.

L’impasse sur laquelle débouche le dilemme du prisonnier dans sa version « classique » à horizon fini peut donc être surmontée grâce à l’approche en termes d’équilibre stratégique qui, au travers de la stratégie « donnant-donnant », introduit le fait que la défection n’est plus une stratégie dominante dans la mesure où celle-ci priverait l’individu des gains de la coopération mutuelle [ibid : 77]. L’égoïsme débouchant sur l’absence de coopération peut conduire, dans le cadre d’une interaction continuelle et infinie, à la coopération mutuelle au travers de la réciprocité différée. Pourtant, la portée de cette conclusion ne peut être comparable au théorème de la main invisible, les limites inhérentes à ce modèle ont d’ailleurs conduit Kreps [1988] à élaborer un modèle de jeux répétés à horizon fini.

Qu’il s’agisse du cadre à horizon infini ou fini, la coopération n’est pas automatiquement assurée. Ces limites soulignent avec force l’incomplétude de l’hypothèse de la rationalité économique comme principe exclusif de l’action individuelle conduisant à la mise en œuvre de la réciprocité.