B- Un rôle purement instrumental dévolu aux normes sociales dans la motivation humaine

Les normes sociales et l’éthique sont dans les approches que nous avons présentées reléguées à un rôle purement instrumental et ce à deux niveaux. Le premier niveau concerne la motivation humaine, laquelle est ici dénuée de toute considération éthique, morale. Le second niveau renvoie à l’évaluation de ce qui est accompli au niveau collectif abordé exclusivement du point de vue de la satisfaction de critères d’efficacité qui renvoient comme nous l’avons vu à l’utilitarisme ou à l’optimum de Pareto seuls indicateurs de justice sociale [Sen, 1993]. Le respect ou la violation des flux de droits et d’obligations générés par la réciprocité différée et la légitimant à posteriori ne possèdent donc pas de valeur en eux mêmes mais sont utiles à la poursuite d’autres buts indépendants de ces droits et obligations.

Au fond, même si certains de ces auteurs dépassent l’approche de transaction marchande du crédit au sein du réseau social, il n’en demeure pas moins qu’ils ramènent implicitement cette opération de dette/créance à des transferts contractuels de droits et d’obligations.

Pour résumer ce point, le cadre d’analyse de la théorie des jeux ne parvient pas à s’extraire de la matrice de l’échange marchand pour analyser la réciprocité différée comme moteur des liens de dettes/créances ou quasi-crédits mais parallèlement, il échoue à expliquer la réciprocité par le seul recours à l’approche par l’échange « marchand » 29 .

Ainsi, le principe guidant la réciprocité marchande : « coopère si et seulement si l’autre coopère » [Cordonnier, 1997 :10], qui fait du principe de réciprocité le fruit des logiques individuelles doit être dépassé afin de saisir pleinement le phénomène de la réciprocité matérialisée par les relations de dette/créance comme fondement et moteur des relations prenant place au sein du réseau social 30 .

Dans ce qui suit, il s’agira donc de réhabiliter la primauté du rôle des droits et des obligations ce qui nous autorisera à dépasser la conception exclusivement contractuelle de la relation créancier/débiteur pour déboucher sur une approche de la dette en tant que « contrainte socialisée » [Maucourant, 1993] c’est-à-dire en tant qu’institution sociale.

Notes
29.

L’échange marchand est guidé par le principe de l’équivalence, et est donc entendu comme l’offre d’un bien ou d’un service dont découle une contrepartie au moins aussi importante que l’offre. Ceci peut être résumé dans l’assertion qui fait que dans l’échange marchand, selon Cordonnier [1997], on donne pour recevoir.

30.

Par réseau social, nous désignons un « ensemble régulier de contacts ou de relations sociales continues, entre des individus ou des groupes d’individus » [Swedberg et Granovetter, 1995 : 121].