B. La délimitation des sphères marchandes et non marchandes : une construction sociale

La relation marchande, celle qui prend place au sein du marché ne recoupe que partiellement le phénomène de l’échange. En effet, si tout marché suppose l’échange, nous avons vu qu’avec Polanyi en revanche tout échange ne passait pas forcément par le marché. Par ailleurs, si l’analyse des différentes formes de réciprocité faite par Sahlins laisse entendre une sorte de continuum entre ces deux modalités extrêmes que sont l’échange archaïque ou don contre don et l’échange marchand, Polanyi conteste cette idée d’un mouvement inéluctable de conversion de toutes les formes archaïques de l’échange en formes modernes, marchandes. Face à cet évolutionnisme, Polanyi propose de considérer qu’au sein d’une même société prévaut la coexistence de différents modes de circulation des biens et des services (réciprocité, redistribution, échange). L’importance donnée à chacun de ces modes est ce qui évolue dans le temps et dans l’espace,

‘« Ceux-ci [les modes de circulation des biens] coexistent et sont diversement articulés et hiérarchisés à des moments différents de l’évolution des sociétés » [Servet, 1993 : 1132]. ’

Les caractéristiques de l’échange marchand nous conduisent à analyser l’expansion des rapports marchands au sein d’une société sous l’angle de ce que d’aucuns ont appelé le « désencastrement » ou séparation de l’économique et du social dont les limites découlent d’arbitrages propres à chaque société (car émanant de son histoire, de ses normes, coutumes) entre l’expansion des activités réalisées et gérées au niveau individuel et les contraintes collectives fondamentales [Latouche, 1994]. L’objectif étant de séparer les individus, le rapport marchand apparaît alors comme un rapport social paradoxal [Aglietta et Orléan, 1998].