B- Identifier action et bien être : la théorie du bien être

L’économie du bien être fondée sur l’utilitarisme constitue un pas supplémentaire vers l’indépendance de l’économie à l’égard de toute considération morale. Au niveau individuel, la conception utilitariste de la personne –au travers du comportement intéressé- a pour effet de rendre invulnérable à l’éthique/ morale l’évaluation du progrès social :elle affirme l’identité entre action et bien être. Au niveau collectif, l’importance est accordée à l’efficacité économique au sein de l’espace des utilités et non pas aux aspects de répartition de l’utilité/ bien être. À ce dernier niveau, pour que la somme des utilités personnelles ait un sens, encore faut-il établir un étalon autorisant la comparaison des niveaux d’utilité et de bien être de chacun. Jeremy Bentham ou John Stuart Mill, les précurseurs de l’utilitarisme ne s’étaient guère penchés sur la question qui n’a été abordée qu’au début du XXe siècle. Face aux critiques dont ont fait l’objet les comparaisons interpersonnelles d’utilité à cette époque, la seule échappatoire pour contourner ces difficultés a été d’opter pour le critère parétien qui permet d’évaluer différents états de l’économie. L’état social optimal correspond à un optimum de Pareto si et seulement si on ne peut accroître l’utilité d’une personne sans réduire celle d’une autre personne.

L’utilitarisme émet donc un jugement sur l’action : une action est bonne si elle va dans le sens d’augmenter le bonheur de tous. Ainsi,

‘« la rationalité des sociétaires s’identifie à leur capacité à hiérarchiser en fonction de leurs intérêts privés et de leur situation personnelle, donc de dire s’ils préfèrent cette situation à celle-là ou l’inverse » [Guérin, 2000 : 21].’

Ce compromis permet à l’économie du bien être de rester fidèle à l’utilitarisme. L’utilitarisme devient le principe moral, seule l’information sur l’utilité relative à tout état importe puisque seule l’utilité est source de bien être, le choix moral se porte sur les distributions qui maximisent l’utilité collective. Tout autre critère d’évaluation serait irrationnel. Finalement, la justice se réduit à l’efficacité. Les préoccupations de répartition sont laissées au soin des décideurs politiques qui se trouvent dans une impasse puisque le théorème d’impossibilité énoncé par Kenneth Arrow, guidé par la question de savoir si l’on peut déduire une relation de préférence collective portant sur des états réalisables à partir des relations de préférence de chacun des agents, montre que le respect du critère parétien débouche sur une solution de type dictatoriale.

Pour l’économie du bien être, le caractère impératif des droits et obligations vis-à-vis d’autrui ne se justifie que de par leur tendance à promouvoir le bonheur de tous et sont issus de grands principes de vie en communauté tels que « le respect de la parole donnée », le « respect de la propriété » ou encore le « respect de la vie ». En d’autres termes, l’interaction sociale au travers de droits et d’obligations n’est légitime que si elle est source de bien être supplémentaire.

Si l’économie du bien être a été qualifiée d’utilitarisme « éthique » [Guerrien, 2000], l’optimum de Pareto constitue un critère infiniment limité pour évaluer les réalisations sociales. La société est réduite à une somme d’individus dont les choix de comportements s’orientent vers la maximisation de l’utilité procurée. L’action collective est dans ce cadre envisagée comme le résultant non intentionnel de l’agrégation de chacune des décisions prises au niveau individuel. Cette position diverge fondamentalement de l’approche des phénomènes collectifs élaborée dans le cadre de l’approche Holiste décrite ci-dessous.