§3. Dépasser l’approche par l’accomplissement : l’approche du bien être par les capabilités

Prolongeant le système moral des droits-buts, Sen développe une approche en termes de capabilités qui lui permet de ne pas s’en tenir à l’analyse de l’accomplissement et envisager le bien être et l’action également du point de vue de la liberté. La capabilité renvoie à la capacité de chacun d’effectuer certains actes fondamentaux. En d’autres termes, ce qui importe n’est pas ce qui est possédé mais c’est la capacité de conversion de ces dotations en fonctions vitales. Or, ce que peut faire ou être un individu à partir de ses dotations individuelles dépend non seulement de ses caractéristiques individuelles (potentialités) mais aussi du contexte social, environnemental dans lequel chacun évolue.

Reposant sur l’individualisme éthique, les capabilités mettent donc l’accent sur les contraintes sociales qui pèsent sur les personnes. Pour autant, si le choix de l’individu reflète contraintes sociales et jugement moral, certains auteurs reprochent à l’individualisme éthique qui fonde les capabilités de se cantonner à une approche très individuelle du processus de décision rendue possible par l’abandon du rôle instrumental de l’interdépendance sociale saisie au travers des droits et obligations [Teschl et Derobert, 2001]. En effet, malgré les contraintes extérieures qui pèsent sur les décisions de chacun, le choix n’en est pas moins réalisé de manière individuelle. Par ailleurs, sur un plan plus général, l’apport de Sen au travers du concept de capabilité puise ses origines dans une réflexion approfondie sur les droits ce qui explique sans doute que le lien entre droits et obligations bien que crucial ne soit pas explicitement présent. Or, « on oublie trop souvent que ces droits sur les dotations dépendent de la satisfaction d’obligations préalables » [Dubois et Mahieu, 2003 : 11].

Différents travaux insistent donc sur les limites des capabilités pour appréhender les dimensions horizontale et verticale de l’interaction sociale et ses liens avec la capacité à être et à faire de chacun 53 . Ce questionnement quant au lien entre la totalité sociale et la capacité à être ou à faire de chacun renvoie notamment à la question de l’autonomie de l’individu au sein de l’environnement social auquel il appartient. Si l’on reconnaît l’existence du fait que la société forme un tout qui environne les individus et que les intérêts du groupe peuvent contrevenir aux intérêts de l’individu, alors, ce cadre nous enjoint à nous poser la question suivante : l’autonomie limitée a t-elle un sens individualiste ? [Defalvard, 1992]. Des éléments supplémentaires du dépassement de l’opposition entre individualisme méthodologique et holisme méthodologique nous sont fournis par le courant de l’individualisme institutionnaliste.

Notes
53.

Se référer par exemple aux travaux de Hill [2003] ou Teschl et Derobert [2001] ou encore pour une réaction aux critiques formulées à l’encontre des capabilités de Sen, voir Robeyns [2000].