§1. Points de convergence et de divergence de l’individualisme institutionnel et du holisme : l’interaction verticale.

L’idée commune qui relie l’individualisme institutionnel au holisme méthodologique provient de la reconnaissance de l’existence des objets collectifs, d’une structure sociale ayant une influence sur les individus. Cependant, l’individualisme institutionnel ne concède à ces entités collectives aucune volonté, aucuns désirs ou intérêts. La place accordée aux objets sociaux n’est pourtant pas négligeable. Ainsi, Agassi suggère de les envisager comme une source de délimitation du « domaine de validité » des intérêts individuels qui sont donc partiellement orientés de manière exogène [Defalvard, 1992] 54 . Cependant, nous rejoignons ici la question posée plus haut à propos de la compatibilité d’un certain degré de limitation de l’autonomie avec le postulat individualiste. Il s’agit donc d’appréhender la société et les contraintes qu’elle occasionne sur la décision individuelle d’une manière qui ne contrevienne pas complètement à l’hypothèse individualiste. Selon joseph Agassi, la société est donc « l’outil conventionnel (ou contractuel) de la coordination des actions individuelles » [Defalvard, 1992 : 134]. La convention ou l’institution peut être soit implicite soit explicite, le point central est qu’elle soit modifiable, révisable par les individus qu’elle régit.

Au total, l’individualisme institutionnel peut être défini par ces trois principes décrits dans Toboso, [2001] 55  :

Seuls les individus sont porteurs d’objectifs et peuvent promouvoir des intérêts.

Les individus peuvent agir de manière individuelle ou collective. Les objectifs peuvent êtres les leurs propres ou ceux d’autres individus, les objectifs ne sont par ailleurs pas forcément stables, ils sont susceptibles de changer.

L’ensemble des règles institutionnelles formelles ou informelles affectant les interactions doit être incorporé à l’ensemble des variables explicatives.

Les institutions formelles ou informelles doivent êtres considérées comme des éléments exogènes influençant les opportunités des individus qui y sont partie prenantes mais pas leur préférences stables. En revanche, elles peuvent affecter les préférences de deux manières. Soit les préférences d’individus qui se conforment aisément à l’environnement légal et institutionnel dominant généré par d’autres ou bien par le biais d’un changement de préférences d’un grand nombre d’individus qui influence les préférences des individus plus « récalcitrants » au changement.

Les changements institutionnels sont le fait de personnes et résultent d’actions indépendantes ou collectives qui se situent toujours dans un cadre institutionnel.

Ces actions indépendantes ou collectives peuvent êtres guidées par des calculs rationnels et des choix stratégiques non limités ou limités, ou encore par une rationalité limitée mais une possibilité d’effectuer un choix stratégique illimitée.

Soulignons que les fondateurs de l’institutionnalisme ont été appréhendés dans un premier temps à l’aune du holisme méthodologique, Maucourant [1994] suggère qu’ils peuvent être relus dans une optique d’individualisme institutionnel. Les institutionnalistes se démarquent en effet à la fois du holisme et de l’individualisme et envisagent les institutions comme « cause et conséquence de l’action » [Bazzoli, 1999 : 197] ce qui implique que ni l’individu atomisé ni la société ne constituent l’unité exclusive d’explication des sciences sociales. Leur réflexion est dans ce sens compatible avec le cadre théorique adopté dans cette thèse.

En revanche, nous souhaitons faire un pas supplémentaire par rapport à l’héritage institutionnaliste. Il ne s’agit pas en effet de nous inscrire dans une démarche purement descriptive visant « simplement » à mettre à jour un ensemble de représentations, d’institutions ou de normes s’avérant plus ou moins contraignantes « pour le déploiement sans entrave du comportement intéressé et du système marchand, que ces derniers finiraient tôt ou tard par transgresser et contourner» [Steiner, 1999 : 109], mais de mettre l’accent sur les déterminations sociales de l’action économique individuelle et collective. Deux concepts sont mobilisés à cette fin : celui d’encastrement et celui de réseau social.

Notes
54.

Selon Toboso [2001], l’individualisme institutionnel se démarque de l’analyse situationnelle proposée par Popper. L’analyse situationnelle se base en effet sur un corps d’hypothèses dont celle de la rationalité alors que l’individualisme institutionnel peut tout à fait expliquer des comportements a priori non-rationnels de type non-utilitaristes tels que les comportements guidés par les règles ou des normes sociales. En ce sens, l’individualisme institutionnel peut être l’une des composantes du corps d’hypothèses sur lequel se base l’analyse situationnelle.

55.

L’illustration de chaque principe n’envisage pas toutes les possibilités mais seulement une partie d’entre elles.