§2. L’emprise des cadres relationnels : le réseau social comme médiateur de l’action économique

Nous rejoignons ici Mark Granovetter et la « théorie de l’encastrement » qui met l’accent sur l’analyse du comportement humain du point de vue de l’influence qu’exercent les relations sociales sur ses actions. Dans cette optique, Mark Granovetter développe deux concepts : le concept d’encastrement et celui de réseau social.

Pour Granovetter, l’analyse des faits économiques, doit replacer l’action individuelle dans des « systèmes concrets, continus de relations sociales » [Granovetter, 2000 : 84]. Il s’agit donc de replacer l’action individuelle dans « ce qui constitue son contexte pertinent, celui des liens interpersonnels par le jeu desquels s’exerce l’influence du monde social » [Orléan,2005 :4]. Au travers du concept d’ « encastrement  » emprunté à Polanyi, Granovetteraffirme que :

‘« Les choix d’un individu sont relatifs aux choix et aux comportements des autres individus, de même qu’aux liens personnels prévalant dans les réseaux» [Laville et al., 2000 : 12]. ’

Cette définition introduit le deuxième concept central à la thèse de Granovetter : celui de réseau social, défini comme un « ensemble régulier de contacts ou de relations sociales entre des individus ou des groupes d’individus » [id] 56 . Il est constitué d’un ensemble de liens forts et de liens faibles 57 . Le caractère encastré de l’action individuelle est donc appréhendé au travers d’une part, des relations personnelles de chaque individu et d’autre part, au travers de « la structure du réseau général de ces relations » [id].

L’approche de la Nouvelle Sociologie Économique (NSE) proposée ici vise à venir en aide aux manquements de l’analyse économique standard. Les outils de cette dernière lui permettent en effet d’identifier dans une situation donnée et en fonction des contraintes qui s’imposent, quels sont les équilibres possibles qui peuvent émerger. La lacune principale de cette approche est de ne pouvoir dégager, déterminer quel équilibre prévaudra réellement. L’apport de la NSE se situe au niveau de ce point d’achoppement de l’analyse économique standard.

En effet,

‘« spécifier la forme du réseau, c’est se donner les moyens de comprendre comment l’action individuelle et collective se trouvera canalisée et conduira à la réalisation de telle option plutôt que telle autre » [Orléan, 2005 : 6].’

Ce positionnement de la NSE autorise l’analyse de faits qui étaient jusque-là du ressort exclusif de l’analyse économique. Granovetter illustre la portée de son option méthodologique qui appréhende le réseau social comme une médiation sociale, en nous livrant une analyse de l’influence du réseau social sur le marché du travail et notamment dans quelle mesure l’accès à un emploi est-il déterminé par les relations sociales d’un individu.

Les différents domaines du mécanisme marchand sont donc analysés par Granovetter à l’aune des rapports sociaux, des réseaux sociaux qui les déterminent. Cette posture méthodologique nous fournit l’angle d’analyse de l’action économique complétant l’approche institutionnelle. Elle nous permet de dépasser une démarche purement descriptive visant « simplement » à mettre à jour un ensemble de représentations, d’institutions ou de normes s’avérant plus ou moins contraignantes « pour le déploiement sans entrave du comportement intéressé et du système marchand, que ces derniers finiraient tôt ou tard par transgresser et contourner» [Steiner, 1999 : 109]. L’approche proposée par la nouvelle sociologie économique va au-delà et nous autorise à mettre l’accent sur les déterminations sociales de l’action économique individuelle et collective.

Notes
56.

Le réseau est « un ensemble d’acteurs rattachés par une relation » lesquelles relations peuvent êtres directes ou indirectes (les contacts de mes contacts) [Steiner, 1999 : 75]. Soulignons que le concept de réseau social est à rapprocher du concept de capital social développé par Bourdieu est qui se définit comme « un réseau durable plus ou moins institutionnalisé de relations mutuelles et de connaissances entre les individus » qui peuvent êtres mobilisées par les individus pour atteindre des objectifs [ibid : 77].

57.

La force d’un lien est déterminée par la quantité de temps, l’intensité émotionnelle, le degré d’intimité (c’est-à-dire la confiance mutuelle) et les services réciproques qui prévalent entre deux personnes [Granovetter, 2000 : 46].