A. L’échelle d’observation : la microéchelle

La notion d’échelle occupe une place primordiale dans toutes les disciplines scientifiques. Le choix de l’échelle d’observation et donc d’analyse n’est pas neutre, il oriente l’observationet la nature des faits observés. Chaque échelle met certains phénomènes en évidence et en occulte d’autres [Desjeux, 1998]. Ainsi, ce qui est visible à un certain niveau d’observation et d’analyse disparaît à l’autre. Or, si le choix de l’échelle découle de ce que l’on veut observer et n’est pas dans ce sens arbitraire, il participe cependant du relativisme évoqué précédemment 65 (Section 1, §1).

En économie notamment, on oppose généralement les échelles « micro » et « macro » économiques 66 . Malgré l’intérêt d’établir des ponts entre ces deux niveaux d’analyse, peu de programmes de recherche s’attachent pourtant à les relier dans le cadre d’approches « intégrées » 67 .

L’activité du dispositif de microfinance étudié ici s’inscrit à ces deux niveaux. Bien qu’émanant d’une initiative privée et intervenant à l’échelle des ménages ou de l’économie locale (niveau méso-économique) cette activité est encadrée au niveau macro-économique par des politiques publiques de l’État mexicain. Elle s’inscrit par ailleurs dans un mouvement à l’échelle internationale débuté il y a plus de vingt ans. Dans ce contexte, de nombreux organismes nationaux et internationaux fournissent régulièrement des analysent nationales ou régionales concernant l’accès aux services financiers pour les plus pauvres et reliant ces indicateurs à l’évaluation la pauvreté et son évolution. Durant notre recherche, nous avons attaché beaucoup d’importance à ces données incontournables pour appréhender le degré de marginalisation de ces populations ou au contraire saisir les liens qui les rattachent au niveau macro-économique et qui ont un impact sur le niveau de vie par le biais de politiques sociales de transferts publics (programme Progresa-Oportunidades ou Procampo) ou des échanges économiques (cours des productions agricoles).

Cependant, avoir connaissance du ratio des succursales bancaires ou non-bancaires par habitant dans les contextes étudiés ou le nombre d’emprunteurs et d’épargnants ne nous livre pas d’information sur le sens que donnent les acteurs à ces dispositifs ni les processus de décisions qui s’y rattachent. Les services financiers proposés sont-ils adaptés aux besoins réels des populations ? Leur insertion sociale est-elle génératrice d’inégalités : les reproduit-elle ou les réduit-elle ? Est-elle compatible avec l’organisation socio-économique préexistante ? Répondre à ces questions nécessite d’appréhender les processus de décision et les pratiques des acteurs en insistant sur l’observation des tensions entre leurs aspirations personnelles et les contraintes collectives qui délimitent partiellement leur marge de manœuvre. Dans cette optique, nous avons adopté une approche microéchelle et avons couplé démarches qualitative et quantitative de collecte de données.

Notes
65.

Le relativisme découle du fait que la connaissance de la réalité est construite relativement au point de vue choisi et qu’un autre angle d’étude aurait débouché sur une connaissance différente et complémentaire de la même réalité [À ce sujet, voir Desjeux, 1998].

66.

Entre ces deux niveaux, on trouve parfois un niveau intermédiaire d’agrégation et d’observation : le niveau méso-économique.

67.

Les récents développements de l’analyse économique standard tentent de faire le lien entre le niveau macro-économique et le niveau micro-économique. Pour tendre vers davantage de « réalisme », les modèles agrégés de comportements des ménages par exemple s’efforcent de dépasser les hypothèses ad hoc en reliant l’équation agrégée avec des modèles de comportements micro-économiques. C’est le cas des modèles de consommation, des modèles de capital humain ou encore des modèles à générations imbriquées ou enfin les modèles de micro-simulations. Pour une illustration de cette démarche, on pourra se référer au travail de Sandra Freire sur l’impact du sida sur les comportements d’épargne et de consommation des ménages en Afrique du Sud [Freire, 2006].