Conclusion de la première partie

La rupture épistémologique opérée dans cette première partie dévoile un cadre théorique d’analyse de la dette visant à rendre compte de la complexité de la relation qui va s’établir entre le dispositif de microfinance et les pratiques de dette-prêt qui lui préexistent. L’ensemble des concepts employés répond à une même préoccupation : appréhender la diversité des dimensions de notre objet d’étude en refusant de dissocier faits et valeurs. Notre postulat de départ se fonde en effet sur le caractère consubstantiel des dimensions économiques, sociales, individuelles et collectives de l’acte de dette-prêt. Cette première partie a donc été guidée par la volonté d’extraire l’analyse des relations et opérations financières de la logique marchande non hiérarchique, horizontale 79 .

Refuser l’égalité de chacun (homo æqualis) comme règle fondant a priori toute transaction financière et monétaire présente deux conséquences importantes pour notre démarche. Négliger totalement la prise en compte du statut respectif des partenaires de l’échange équivaut à adhérer à l’idéologie égalisatrice du marché. Cette posture conduit finalement à nier certains mécanismes de production et reproduction des inégalités et donc à risquer de les perpétuer. Or, c’est précisément autour de cette idéologie égalisatrice que s’est construite l’émergence des dispositifs de microfinance : pensée en continuité des pratiques informelles, elle vise à libérer indistinctement les individus de ces relations préexistantes. Réhabiliter la possibilité d’un statut différencié des échangistes permet de réintroduire la temporalité, l’incertitude et la dimension collective de toute action économique. Ce positionnement met en échec le postulat d’une substitution inéluctable entre les services financiers procurés par le dispositif de microfinance et ceux assurés au niveau du réseau social, réseau d’entraide de chacun. L’interaction qui va s’établir est plus complexe que cette substitution annoncée.

Au total donc, l’objet de notre recherche se trouve pleinement justifié, la recherche doit par ailleurs se fonder sur une analyse élargie du phénomène de la dette.

Cette première rupture épistémologique en a suggéré une seconde nous conduisant à redéfinir la notion de comportement humain. Une fois défini notre positionnement, nous avons présenté un mode de collecte des données empiriques lequel constitue en quelque sorte une rupture méthodologique puisque, accompagnant la posture théorique, il permet d’appréhender contraintes collectives et aspirations individuelles au sein du processus de décision des acteurs et de ne pas cantonner observation et donc analyse au seul résultat d’une décision atomisée guidée exclusivement par les aspirations individuelles.

C’est sur la base de ce cadre théorique plus réaliste que nous déroulerons une réflexion, à partir de données empiriques, organisée en trois temps. Le premier est consacré à notre contexte d’étude et notamment à la description des pratiques financières informelles et notamment aux aspects institutionnalisés de ces pratiques (partie 2). Mettre en lumière le rôle social et économique, individuel et collectif de la dette dans le contexte des villages mexicains nous aidera par la suite à dépasser l’approche purement fonctionnelle de celle-ci et ainsi à mieux appréhender les processus sous-jacents à l’appropriation du dispositif de microfinance étudié.

En ce sens une telle approche tente de dévoiler la perpétuation de certaines formes d’inégalités initiales par l’émergence du dispositif de microfinance alors même que l’idéologie marchande considère que la seule mise en place d’un dispositif de services financiers suffit à promouvoir l’égalité d’accès et à annuler toute forme de discrimination sociale (partie 3). Le recours aux mécanismes collectifs pour ajuster l’offre procurée par l’IMF aux besoins différenciés des emprunteurs, invalide enfin l’hypothèse d’une régulation mettant face-à-face des partenaires autonomes dégagés de toute forme d’interdépendance (partie 4).

Notes
79.

À ce sujet voir notamment Servet et al. [1999] et Servet [2006a et 2006b].