Deuxième partie. Dimensions individuelle et collective de la dette au Mexique

Introduction

Le contexte de la recherche est celui de communautés ou villages indiens localisés dans des régions reculées et montagneuses de l’État de l’Oaxaca situé au sud-ouest du Mexique. Précisions d’emblée que le qualificatif « indien » renvoie d’une part à l’appartenance à un groupe linguistique et, d’autre part, à un modèle d’organisation sociale 80 . En effet, par-delà la variété des situations locales qui laissent entrevoir un Mexique indien hétérogène, les dynamiques et les enjeux locaux laissent émerger un « modèle » d’organisation sociale de la municipalité (dans le sens politico-administratif du terme) indienne. Pour autant, la communauté indienne ne constitue pas l’horizon unique de ses citoyens.

En rupture avec la théorie de la « communauté fermée » qui prévalait durant les années 1950 81 ou encore celle de la « communauté stable » les anthropologues ont peu à peu été amenés à admettre l’existence de différentes formes d’évolution de la communauté (territoriale, économique, sociale, etc.) impulsées de l’intérieur et de l’extérieur au travers des connexions multiples et notamment au travers de son insertion dans l’État national. Ainsi, la vision de l’entité communautaire comme fruit d’une histoire longue, harmonieuse et caractérisée par son égalitarisme a cédé la place à une approche de la communauté comme le résultat d’un processus de construction dynamique et évolutif. Dans cette optique, l’organisation sociale de la communauté est le fruit d’une appropriation par ses habitants des dynamiques et influences externes.

Le premier chapitre de cette partie revient sur les aspects centraux de cette organisation sociale en insistant notamment sur la diversité des aides financières provenant de nombreux programmes nationaux principalement mis en place sous la présidence de Salinas de Gortari (1988-1994) en ce qui concerne les soutiens apportés à la production agricole et, sous les présidences de Zedillo (1994-2000) et Fox (2000-2006), pour les programmes sociaux notamment ceux reposant sur des actions ciblées. Par ailleurs, si la vie économique et sociale est influencée par ces programmes elle est également organisée autour d’une circulation financière ou monétaire intense et ce à différents niveaux. Au niveau de la communauté cette circulation s’incarne dans les charges politiques et religieuses ou encore le travail gratuit. Au niveau de la famille, du réseau social, cette circulation est symbolisée par un état d’endettement perpétuel des ménages les uns vis-à-vis des autres, ce que nous nommons à la suite d’anthropologues mexicains : « chaînes de crédit » (sections 2 et 3). Nous tentons de montrer que cet entrelacs de dettes n’est pas fortuit et ne résulte pas de comportements irrationnels. Pour le ménage, la personne, il constitue le plus souvent une réponse à l’inadéquation temporelle des flux de revenus et des dépenses. Par ailleurs, nos observations empiriques couplées à une approche des dimensions collectives de l’action individuelle, posée au cours de la partie 1, montrent que la circulation de la dette et sa reproduction perpétuelle assurent le fonctionnement socio-économique du village (Section 4).

Dans le chapitre 5 nous revenons sur l’évolution des politiques en matière de finances rurales au Mexique (sections 1 et 2) et décrivons le dispositif de microfinance étudié qui s’inscrit dans la vague contemporaine de ces politiques nationales (section 3).

Notes
80.

Le terme « communauté » utilisé par les anthropologues renvoie d’ailleurs à la cohésion interne que l’on prête aux villages indiens [voir Dehouve, 2003 : 14 sq.]

81.

Attribuée à Eric Wolf [1955].