C. Les transferts de revenus issus de la migration

Les activités productives décrites précédemment ne permettent pas le plus souvent de faire face aux besoins vitaux de la famille. Si une grande partie de la population de ces villages peut être considérée comme économiquement active (autour de 40% pour les plus de 12 ans) 95 , il n’en demeure pas moins que les niveaux de revenus sont très faibles. Malgré son appartenance à l’OCDE, le Mexique dissimule de fortes inégalités régionales en termes de niveaux de revenus et d’Indice de Développement Humain. L’État d’Oaxaca fait partie des trois états les plus pauvres du pays avec le Chiapas et le Guerrero. Le CONAPO (Consejo Nacional de Población) considère que plus de 80% de la population de l’État se trouve dans une situation de marginalité très élevée 96 . Cette situation rend attrayante la migration vers les villes du pays où le niveau de vie est plus élevé et les opportunités d’emploi plus grandes. Mais la majorité des migrants franchit les frontières pour se rendre aux Etats-Unis à la recherche d’emplois non-qualifiés. Ainsi, en 2000, le nombre de personnes nées au Mexique ou d’origine mexicaine et vivait aux Etats-Unis était de l’ordre de 23 millions [Tuirán, 2002]. Ce flux migratoire du Mexique vers les Etats-Unis génère un flux monétaire inverse d’une ampleur considérable : en 2000, les remesas (transfert privé envoyé par les migrants) représentaient environ 1,5 % du PIB mexicain [Papail, 2002]ou 168% du budget public total assigné à la lutte contre la pauvreté en 2003 [Léonard et Losch, 2005] 97 . Dans l’État d’Oaxaca, l’activité migratoire est concentrée sur les régions de la Mixteca et des vallées centrales. Ainsi, près de 65% des municipalités de l’État n’ont pas d’activité migratoire.

Les localités constituant notre échantillon présentent sur ce point de fortes disparités. Ainsi, la Mixteca constitue sur ce plan une région d’intense activité migratoire vers les Etats-Unis avec plus de 50% des ménages dont au moins un membre a émigré aux Etats-Unis alors que cette catégorie de migrants représente dans la Sierra Sur seulement 3.8% des ménages (voir Tableau 10)

Tableau 10. Proportion de ménages concernés par la migration
  Sierra Sur Mixteca
Au moins 1 membre du ménage est émigré international 3.8% 54.2%
Au moins 1 membre du ménage est émigré national 8.5% 5.6%

Source : Enquêtes Morvant [2004a, 2004b].

Au sein du ménage, les migrants sont le plus souvent les enfants (80%), ils sont jeunes puisque la moyenne d’âge est de 29 ans et sont de sexe masculin à 70% [Morvant, 2005a].

Figure 8. Répartition des migrants suivant le lien de parenté au sein du ménage
Figure 8. Répartition des migrants suivant le lien de parenté au sein du ménage

Source : Morvant [2005a]

Parmi les migrants internationaux, seulement 13.6% d’entre eux n’envoient jamais d’argent à leur famille alors que ce pourcentage atteint près de 42% parmi les migrants nationaux. Les montants de transferts reçus de la migration sont très élevés dans la Mixteca, la moyenne annuelle est de l’ordre de 10.000 pesos (US $1000) 98 , alors que dans la Sierra Sur, les transferts reçus sont en moyenne de 2880 pesos (US $280). Pour les ménages concernés, ces transferts représentent approximativement 20 à 100% des revenus monétaires annuels. Cependant, les disparités entre les transferts reçus de personnes ayant émigré aux Etats-Unis et les transferts monétaires provenant de personnes ayant émigré vers d’autres villes du pays sont très importantes (voir Tableau 11).

Tableau 11. Moyenne annuelle des transferts d’argent issus de la migration
Moyenne annuelle en $US Total Sierra Sur Mixteca
Transferts reçus de la migration internationale 530 280 1008

Source : Enquêtes Morvant [2004a, 2004b].

Soulignons que le circuit d’acheminement de l’argent est le plus souvent informel, en raison de la faible densité en services financiers dans les zones rurales du Mexique [Bouquet, 2005] (voir infra, chapitre 5).

En dehors des activités productives sources de liquidité ou non et des transferts privés générés par la migration, les ménages qui vivent dans les zones peuvent compter sur des aides publiques monétaires (et parfois en nature) directes. Ces aides viennent compléter le revenu du ménage et lui permettre de faire face à certaines dépenses productives ou non-productives.

Notes
95.

INEGI, 2000

96.

Le degré de marginalisation se calcule à partir d’indicateurs d’alphabétisme, d’éducation, qualité de l’habitat, accès aux services de base et niveau de revenus, CONAPO [2000].

97.

La répartition spatiale de l’origine des flux migratoires vers les Etats-Unis a considérablement évolué au cours des dix dernières années. Les régions du centre et du sud sont devenues des zones dynamiques participant de manière prononcée aux flux migratoires. De même, ces États du centre et du sud recevaient en 2003 environ 45% des transferts monétaires effectués depuis les Etats-Unis alors qu’une dizaine d’années auparavant, ces mêmes États comptaient pour 17% de ce transferts [Léonard et Losch, 2005].

98.

Le taux de change de référence est celui de 2003 qui était d’environ 10 pesos= US $ 1.

99.

L’utilisation de cette liquidité fait l’objet de nombreuses études qui visent à analyser l’impact des remesas sur l’économie des villages d’origine des migrants au travers d’investissements productifs. Pour une analyse de leur impact sur l’économie des villages, se référer aux travaux de G. Reyes Morales mobilisant l’outil de la matrice de comptabilité sociale. Pour une analyse de l’utilisation des remesas, voir Morvant [2005a].