A- La vente à crédit : le fiado

Dans les boutiques des villages (épicerie, pharmacie, etc.), la vente à crédit est une pratique courante. Elle constitue le plus souvent un moyen pour le vendeur de fidéliser sa clientèle et d’assurer l’écoulement de sa marchandise et procure au client le temps nécessaire pour obtenir la liquidité tout en ayant la possibilité d’acquérir les biens alimentaires indispensables à la consommation quotidienne de sa famille. Cependant, l’expression « se fía » indiquant que le vendeur est enclin à faire crédit, ne s’applique pas au hasard, la décision revient au commerçant selon des critères assez variables d’un vendeur à l’autre et d’un client à un autre. Ainsi, la différence peut tenir à la confiance dans les qualités de bon payeur démontrées auparavant par l’acheteur ou provenant de sa réputation 103 . Elle peut en outre tenir aux projets du vendeur en termes d’alliances économiques ou autres [Chamoux, 1993].

Le fiado résulte d’une stratégie de fidélisation de la clientèle et d’une volonté de la part du vendeur de s’assurer de l’écoulement (rapide parfois) de sa marchandise. La pratique du fiado est très répandue dans les villages de la Sierra Sur où plus de 55% des personnes affirment y avoir recours, en revanche, dans la mixteca cette pratique concerne 30% des personnes rencontrées. Les achats non réglés par le client sont consignés dans un cahier tenu par le commerçant. L’annexe 5 présente une photographie du cahier de fiados d’une pharmacie ainsi que des données concernant la fréquence du recours et les montants sollicités. Le Tableau 14 et le Tableau 15 synthétisent les principales caractéristiques de cette pratique à partir des données collectée à San Baltazar Loxicha, auprès de 80 personnes.

Tableau 14. Pratique de la vente à crédit à San Baltazar Loxicha
  Pourcentage valide
Ne sollicite pas 11,3
Sollicite à boutique proche 27,6
Sollicite à boutique éloignée : famille 2,5
Combinaison 17,5
Sollicite à la coopérative 17,5
Recours mais pas dé précision sur le lieu 23,8
Total 100,0

Source : Enquêtes Morvant [2004a]

Tableau 15. Pratique de la vente à crédit : commerçants locaux

Source : Morvant [2004]

Les conditions du fiado varient en fonction de la personne et sont le plus souvent très souples. Il nous semble qu’il découle du niveau élevé d’interdépendance socio-économique, une forte adaptation à la solvabilité du «co-contractant ». Pour illustrer ce propos, examinons la situation observée entre deux femmes.

Encadré 4 La vente à Fiado : adaptation à la solvabilité de la clientèle en vue d’assurer l’écoulement des marchandises
La première, Mariana, est une femme mariée d’une cinquantaine d’années. Lors d’une conversation engagée spontanément devant chez elle, une commerçante ambulante s’est présentée au domicile de Mariana pour lui vendre des petits récipients en plastique. Le prix de vente était de l’ordre de 3 pesos (US$ 0,30). Dans un premier temps Mariana a refusé l’offre, objectant qu’elle ne disposait d’aucune liquidité. Ensuite, tout de même intéressée, elle lui a proposée de repasser quelques temps après au moment où elle aurait du café qu’elle pourrait vendre et qui lui procurerait la liquidité nécessaire pour acquérir l’objet. Suite à une hésitation, la commerçante lui tend l’objet et lui dit de le garder et de lui régler lorsqu’elle aura son café.

La stratégie décrite dans l’encadré 5 assure à la commerçante la vente de l’objet et donc l’écoulement des marchandises. Pour cela, elle a dû s’adapter à la solvabilité de son acheteuse potentielle et démontrer une grande souplesse dans les conditions de vente de l’objet. L’adaptation peut aller plus loin et concerner les conditions de paiement du bien. Ainsi, j’ai demandé à la commerçante si elle accepterait d’être payée avec du maïs ou du café. Celle-ci m’a répondu positivement en précisant qu’ensuite elle a la possibilité de garder le café ou le maïs ou de le revendre directement. Elle a terminé par cette formule : « tout est argent ! » 104 .

Cependant, il faut parfois faire preuve de fermeté ou user de stratégie pour obtenir le paiement de la marchandise à plus ou moins longue échéance et tout en ne se froissant pas avec le client (voir Encadré 5).

Encadré 5. Stratégie du prêteur pour récupérer les prêts consentis
J’ai passé de longues heures dans l’une des pharmacies du village (où j’étais hébergée lors de mes séjours dans ce village) où j’ai pu observer les clients ou clientes venir acheter des médicaments. Une femme s’est présentée un jour pour acheter un médicament pour son enfant malade. Au moment du paiement, la cliente souhaitait payer cette marchandise mais la pharmacienne lui a proposé de payer ce qu’elle devait déjà et de repasser ultérieurement pour régler le médicament qu’elle achetait le jour même.
Si le geste semble conciliant, il arrangeait principalement la pharmacienne car les sommes engagées n’étaient pas équivalentes. Ainsi, l’arriéré de la cliente était de 50 pesos ($5) alors que le coût de la marchandise achetée le jour même était de 10 pesos ($1). La pharmacienne a donc obtenu le paiement de la plus grosse partie de la dette en échange d’une nouvelle dette moins élevée.

Soulignons qu’en conservant les créances, la pharmacienne conserve sa clientèle.

Notes
103.

L’expression utilisée pour les bon payeurs est la suivante : « los que cumplen ». Les personnes en qui on a confiance sont désignées par le générique : « los de confianza ».

104.

« ¡todo es dinero! ».