§3. Lien de dette, lien de subordination ?

La description des différentes informalités financières qui vient d’être dressée souffre d’incomplétude si l’on n’aborde pas la dimension hiérarchique de ces pratiques. En effet, dette et obligation sont étroitement liées, l’idée de dette renvoie bien à celle du devoir. Régler une dette ou encore s’en acquitter constitue le préalable pour acquérir un droit [Guérin, 2000]. Nous verrons dans la prochaine section qu’à l’instar de la situation qui caractérise les ménages vivant dans le sous-continent indien, être endetté dans notre contexte d’étude n’implique pas automatiquement être en situation de subordination [Servet, 2003]. Nous montrerons que la situation d’endettement concerne toutes les couches de la population. Pour autant si certaines personnes éprouvent une situation d’asservissement relatif ou du moins de dépendance par rapport à leur créancier, il serait mal approprié de tenter d’identifier parmi ces pratiques de prêt/ endettement lesquelles sont plus enclines que d’autres à mettre en place une situation de subordination du débiteur. L’hypothèse sous-jacente est en effet que la relation d’endettement n’instaure pas le statut de subordonné : « elle est [à la fois, nous soulignons] la conséquence de ce rapport et son expression » [ibid :11]. Cette approche rejoint celle de Mauss pour qui être endetté, c’est manifester et exprimer son appartenance à un groupe 112 .

Dès lors, « il convient d’inverser la proposition généralement faite situant la dette à l’origine même de la subordination » [id]. Ce n’est donc pas tel ou tel autre type de dette qui établit a priori la dépendance ou la subordination du débiteur envers le créancier. C’est la situation initiale de la personne qui va positionner la dette et créer un rapport spécifique de protection « hiérarchique » ou de solidarité « horizontale ».

Ainsi, le recours ponctuel ou régulier au prêteur professionnel n’aura pas la même signification en termes de dépendance, la forme ponctuelle permettant de gérer l’inadéquation temporelle de différents flux de liquidité à un moment donné alors que la forme régulière institue une dépendance chronique laquelle contribue à reproduire une position de subordination.

En revanche, les liens financiers qui prennent place au sein d’une relation de parrainage, en institutionnalisant la dépendance, sont du ressort de la relation de protection hiérarchique qui reproduit la position de subordination ou de domination (voir infra, section 3, §1). Cet exemple illustre parfaitement que la relation de dette de type protection hiérarchique a pour origine essentielle un rapport social de subordination et souligne la primauté du rapport social sur toute relation de dette.

Notes
112.

Le postulat de base de ce travail se situe bien dans la lignée de cette approche.