§2. Coïncidence épargne et prêt [identité 2]

Arrêtons-nous tout d’abord sur cette citation de don Graciano, prêteur professionnel (ou usurier) dans son village, extraite de Zanotelli [2004], elle nous semble riche de sens. Répondant à la question de l’enquêteur concernant les risques de vol liés à son activité de prêt de quantités importantes d’argent, don Graciano répondait de la manière suivante : « s’ils veulent venir voler, qu’ils viennent, ils ne vont trouver que des lettres [de créances, nous soulignons], qu’ils me rendent le service d’aller les recouvrir » [Homme, âgé de plus de 60 ans, prêteur]. La réflexion de don Graciano souligne que celui-ci ne conserve pas de liquidité chez lui, le surplus de liquidité dont il disposait ou encore son épargne a en effet été transformée en prêts à d’autres personnes. Zanotelli souligne ainsi :

‘« Le caractère ironique de cette réponse occulte cependant une vérité avérée au sujet de la coutume sociale qui veut que l’argent privé soit transformé en un crédit (et une dette) qui circule » 117 [ibid : 99].’

On peut objecter à cette remarque que le prêt d’argent constitue l’une des activités commerciales, lucratives de cette personne et qu’il est donc normal que tout son argent y soit investi. Cela est vrai. Cependant, remarquons que ce qui est décrit par don Graciano fait écho à des pratiques observées chez une grande partie des personnes que nous avons rencontrées.

En dehors de l’épargne réalisée au travers de l’achat d’un animal, dindons, poulets ou vaches, l’épargne monétaire n’est pas thésaurisée, l’argent est le plus souvent prêté à d’autres personnes qui ont exprimé un besoin de liquidité. L’argument qui revient est que l’argent ne se garde pas s’il est à la maison, c’est-à-dire à portée de main, disponible pour la moindre dépense qui ne serait pas indispensable. Ainsi, lorsque j’abordais la question de l’épargne monétaire, de nombreuses femmes m’ont dit qu’il n’y avait rien à la maison, que leur épargne était prêtée à d’autres : « je n’ai pas d’argent à la maison, nous le prêtons » 118 [Femme, 25 ans, San Baltazar Loxicha]. Moyen de coercition permettant de ne pas dépenser l’argent pour les uns, source de liquidité pour les dépenses pour les autres, la logique de circulation des richesses qui sous-tend cette pratique s’applique à toutes les formes de surplus -monétaires ou non- et quelle que soit leur origine.

Notes
117.

« Bajo la ironía de esta respuesta se oculta una verdad muy cierta, o sea, la costumbre social de transformar el dinero privado en un crédito (y una deuda) que circula ».

118.

Cette femme a sous forme de prêt, un montant épargné de l’ordre de 2500 pesos (US$ 250).