B. Hypothèses empiriques : le réseau social, support de la circulation de la monnaie et d’autres richesses dans le contexte étudié

Nos observations empiriques montrent en effet que le fonctionnement de la dette est tourné vers la circulation non seulement de la monnaie mais de toute autre richesse, de tout autre bien, périssable ou non, susceptible de servir des fins productives ou de simple consommation, et qu’il est donc souhaitable de ne pas thésauriser, c’est-à-dire de priver les autres ménages d’une utilisation potentielle [voir identité 2].

En revanche, contrairement aux démarches théoriques qui prennent place dans un cadre régulé par l’entité étatique ou le marché (c’est-à-dire, une organisation extérieure aux individus, acteurs) nous avons mis en évidence que cette circulation s’appuie et est régulée au niveau du réseau social par le biais de liens sociaux plus ou moins étroits [voir identité 1]. Au cœur de ce système de circulation de la monnaie et d’autres richesses, il n’y a donc pas à proprement parler d’intermédiaire « achetant et vendant les ‘épargnes’ des autres sous la forme de dettes non encore échues en échange de ses propres dettes échues» [Maucourant, 2001: 280]. Cependant, nous retrouvons au travers de la dualité du positionnement de chacun au sein du réseau social à la fois en tant que créancier et, en tant que débiteur [identité 3], les deux fonctions simultanées d’épargne et d’octroi de crédit qui caractérisent le système bancaire.

En effet, en extrapolant quelque peu, nous pouvons affirmer qu’au travers de cet entrelacs de dettes, chacun occupe d’une certaine façon la position du banquier : il (ou elle) achète l’épargne de certains pour rembourser l’épargne empruntée à d’autres en même temps qu’il met à disposition sa propre épargne 140 .

Si l’équivalence quantitative des deux positions (créancier/débiteur) n’a guère de sens, il semble pour autant inconcevable qu’un individu conserve sur le long terme une position de débiteur sans jamais occuper celle de créancier. Contrairement au marché, le support procuré par le réseau social révèle deux éléments primordiaux pour notre recherche :

Ces deux caractéristiques correspondent à la logique de lien de clientèle décrite dans notre cadre théorique (chapitre 1, section 4), laquelle permet « d’affirmer […] les positions et ainsi de hiérarchiser les partenaires et leur statut respectif » [Servet, 2006a : 434, à paraître].

La dette matérialise donc simultanément une double interdépendance : sociale et économique. Ces précisions empiriques et théoriques présentent des implications essentielles pour notre recherche.

Notes
140.

Nous pensons que cette absence de rupture entre le personnage du prêteur et de l’emprunteur trouve une illustration au travers de l’emploi du terme « prestar ». En effet, celui-ci est aussi bien employé pour signifier emprunter que pour signifier prêter. L’emploi du terme « prestar » pour signifier deux actions distinctes semble illustrer que la relation marchande n’a pas opéré de rupture entre d’un côté un intermédiaire qui prête de l’argent (le sien ou celui d’autres) et d’un autre côté un client, qui emprunte l’argent d’autres personnes.

141.

La figure d’un intermédiaire dont l’activité principale consiste à collecter l’épargne des uns pour octroyer des crédits aux autres n’existe pas dans ce système où chacun occupe cette position à son niveau.