B. Implications méthodologiques 

Commons distingue deux formes (ou idéaux-types) de l’institution. L’institution peut prendre une forme organisée ou une forme non-organisée, informelle. La première forme désigne les organisations structurées telles que la famille, l’entreprise, le syndicat ou encore l’État c’est-à-dire « tout ensemble d’hommes se livrant à une action concertée en vue d’atteindre un but dans l’avenir » [Perroux, 1974, cité par Maucourant, 2001]. La seconde forme se rapproche de la coutume c’est-à-dire qu’elle ne résulte pas d’un « dessein conscient » [id]. Le point commun entre ces deux formes institutionnelles est qu’elles définissent un cadre auquel les acteurs s’adaptent et au sein duquel ils réalisent des choix. Ils peuvent également au travers de leurs pratiques faire évoluer ce cadre.

Par rapport à ce schéma analytique, l’institution de la dette telle que nous l’avons décrite relève davantage de la seconde catégorie d’institutions identifiées par Commons, ce qui ne signifie pas qu’elle soit dénuée de toute finalité sociale comme nous l’avons souligné. Cette institution constitue donc un cadre qui s’impose à chaque individu tout en étant le résultat des actions individuelles. Formé de droits et d’obligations (voir supra, Section 4, §1.B), ce cadre est à la fois contraignant et permissif 143 . Enfin, nous avons insisté sur son caractère évolutif. Les transformations peuvent résulter d’une dynamique endogène, rythmée par l’évolution des rapports au sein du réseau social ou entre groupes sociaux ; elles sont également le fruit de perturbations exogènes qui peuvent générer des modifications de comportements individuels et /ou collectifs.

Quant au dispositif de microfinance que nous étudions en tentant d’analyser de quelle manière celui-ci va entrer en interaction avec les pratiques de la dette observées au sein du réseau social (ou encore nommées informalités financières), il peut être appréhendé comme une forme structurée, formalisée d’institution véhiculant des normes de comportement vis-à-vis de l’acte d’endettement distinctes de celles instituées au sein du réseau social. Au risque de caricaturer quelque peu, le cadre institutionnel fourni par l’IMF se rapproche du cadre institutionnel du marché : la relation contractuelle individualisée prend le pas sur le réseau social comme support au lien d’endettement.

L’implantation de l’IMF véhicule donc une individualisation des pratiques d’endettement, en se positionnant comme intermédiaire chargé de collecter l’épargne et d’octroyer des crédits. La question qui se pose alors est la suivante : l’accès aux services financiers du dispositif de microfinance vient-il rompre l’interdépendance économique et sociale au cœur des pratiques instituées d’endettement?

Notes
143.

Pour reprendre l’idée de Commons [1992] selon laquelle l’action collective peut bénéficier aux intérêts personnels.