§2. Des montants élevés de transferts mais peu de développement 149

Le système financier rural subventionné par l’État présentait certains atouts tenant notamment à un bon niveau de pénétration des succursales de Banrural tant du point de vue du nombre de producteurs atteints que du point de vue de la profondeur de la portée des services vers des producteurs à bas revenus. Cependant, malgré l’importance des transferts réalisés sous forme de crédit vers la production agricole 150 , le système financier rural centralisé n’a pas permis d’impulser un développement économique des zones rurales au Mexique. Selon Bouquet et Cruz [2002] deux critères principaux conduisent à cette conclusion. D’une part, il existe durant toute cette période un décalage considérable la part de ce secteur dans le portefeuille de crédit et sa participation au PIB du pays. Ainsi pour illustrer ce décalage, en 1980 le secteur agricole constituait 15,2% du portefeuille de crédits privés et n’a contribué qu’à hauteur de 8,2% au PIB du Mexique cette même année. Par ailleurs, les indicateurs de développement dans les zones rurales ne se sont pas avérés satisfaisants et à partir des années 1970, les niveaux élevés de marginalisation associés au manque d’opportunités économiques dans ces zones suscitent des velléités de migration vers les zones urbaines ou encore vers les Etats-Unis. Enfin, les inégalités de distribution des richesses dans le milieu rural n’ont pas diminué durant la période malgré la réforme agraire qui avait engendré la redistribution des terres 151 .

À partir de 1989, l’État engage sa politique de crédit agricole dans une réforme importante afin d’aboutir non pas à un retrait total mais à une modification de ses modalités d’intervention dans le but notamment de diminuer la charge fiscale que constitue l’appui au crédit agricole [Myhre, 1997]. Les réformes institutionnelles ont concerné principalement BANRURAL et FIRA. Banrural s’est vu réduire le nombre de succursales ainsi que le nombre de ses employés. Banrural est ainsi passé de 528 succursales en 1988 à 224 en 1994 et a réduit de 62% le nombre de ses employés sur la même période. Parallèlement, le nombre de bénéficiaires est passé de 800.000 à 224.000 et la superficie financée est passée de 7.2 à 1.1 millions d’hectares [ibid]. Si ces changements ont conduit Banrural à une baisse de sa dépendance vis-à-vis de l’État, ils ont d’un autre côté conduit à l’exclusion d’un grand nombre de paysans de l’accès au crédit. Ainsi, en 1991 seulement 9.6% des unités agricoles de 2 hectares ou moins alors que celles-ci représentaient plus de 34% du total des unités agricoles.

Pour les petits agriculteurs, un nouveau programme d’accès au crédit a été mis en place à partir de 1989 pour se substituer à Banrural et pour compenser la concentration des activités des banques commerciales sur les agriculteurs à potentiel productif élevé. Ce programme dénommé « crédit sur parole » permettait l’accès au crédit sans garantie, basé sur la responsabilisation de l’emprunteur. Il était mis en œuvre par le Pronasol (Programme National de Solidarité), à partir de 1993, ce programme a été repris par le programme des caisses solidaires, dispositif de caisses rurales mis en œuvre par Desjardins [DID, 1998]. Cependant, le programme de crédit proposé par le Pronasol n’est pas comparable avec l’activité de crédit de Banrural. Les montants octroyés sont très faibles et la couverture bien inférieure à celle de Banrural. Jusqu’en 1993, Pronasol couvrait 35,4% du total de la superficie en hectare couverte par Banrural entre 1988 et 1993 [op.cit]

En dehors des institutions émanant de l’initiative publique, le secteur des finances populaires est très développé au Mexique et s’enracine dans une tradition de plus de 50 années impulsée au départ par les initiatives de l’église. Ce secteur comprend une grande variété d’organismes dont l’activité n’est pas toujours orientée vers le milieu rural et n’est pas uniquement orientée vers les services de crédit mais comprend aussi des initiatives de collecte de l’épargne. Nous résumons rapidement dans ce qui suit la situation globale du secteur des finances populaires au Mexique (comprenant entre autres les finances rurales) et abordons les principales réformes récemment impulsées.

Notes
149.

Traduit de Bouquet et Cruz [2003 : 25]

150.

En 1980, le crédit agricole a atteint 48% du PIB de ce secteur [ibid : 25].

151.

La Ley de Ejidos de 1920, met en place une nouvelle forme juridique d’usage de la terre. Celle-ci, par le biais de l’Ejido devient la "propriété sociale". Les terres provenant du démantèlement des grandes propriétés étaient attribuées de façon communautaire à des groupes de paysans qui en faisaient la demande, chaque famille disposant d'un droit transmissible, mais inaliénable à des tiers. La propriété privée subsistait, mais sa taille était réglementée. Ce fondement de la réforme agraire mexicaine a été remis en cause par la Nueva Ley Agraria de 1992 qui modifie l’article 27 pour autoriser la propriété privée (privatisation) de l’ejido.