Conclusion de la seconde partie

Cette partie avait pour but de présenter notre contexte d’étude et notamment de mettre en évidence les aspects institutionnalisés des pratiques de dettes / créances dans les villages étudiés. La description de l’organisation sociale et économique des villages étudiés a éclairé le rôle central des flux monétaires et financiers tant dans la vie économique et sociale des villages étudiés qu’au niveau de la famille, du réseau social. Afin de mettre à jour les règles sous-jacentes aux pratiques observées sur le terrain, nous avons procédé à des allers-retours multiples entre, d’une part, ce que l’on peut assimiler à une approche macroéchelle éclairant l’histoire, les règles de fonctionnement, normes de comportement et institutions et, d’autre part, une approche microéchelle privilégiant les pratiques personnelles et le vécu des acteurs dans leur quotidien.

Cette double approche nous a permis de dégager le point commun de la diversité des pratiques de dette-prêt observées sur le terrain. Par-delà une fonction économique immédiate l’acte de s’endetter est porteur d’une construction historique des conditions de reproduction économique et sociale de ces villages.La dette matérialise donc simultanément une double interdépendance : sociale et économique. Nos observations empiriques, couplées à une approche des dimensions collectives de l’action individuelle, montrent que la circulation de la dette et sa reproduction perpétuelle assurent le fonctionnement socio-économique du village. Ces précisions empiriques présentent des implications essentielles pour notre recherche.

En effet, nous avons ensuite démontré que cette circulation s’appuie et est régulée au niveau du réseau social par le biais de liens sociaux plus ou moins étroits. Les règles de la circulation des richesses monétaires et non monétairess qu’organise et incarne l’institution de la dette ne se font pas de manière fortuite, aveugle : cette circulation s’apparente à un mode à part entière de régulation et d’expression des relations sociales.

Ceci nous a conduit à un dernier point de méthode visant à démonter que, contrairement au marché, le support procuré par le réseau social présente deux éléments primordiaux pour notre recherche. D’une part, la dette est assimilée à un rapport social liant des individus et des groupes : un individu ne peut perpétuellement faire valoir des droits sans jamais faire face à des obligations. Chaque transaction de dette-prêt s’insère dans une relation qui lui préexiste et qui perdure au-delà du remboursement de la somme due.

D’autre part, les critères d’inclusion et d’exclusion dans cette « organisation » de circulation monétaire ne se cantonnent pas à la solvabilité de chacun par rapport à un prix donné, le prix n’est pas le moyen discriminant pour que la relation s’établisse. Ces deux caractéristiques correspondent à la logique du lien de clientèle décrite dans notre cadre théorique, elles mettent en échec la logique marchande ou encore logique dite de la place de marché comme cadre d’analyse pertinent, adéquat des pratiques de dette-prêt dans notre contexte d’étude.

Aussi, si l’implantation du dispositif de microfinance que nous étudions répond au souci de remédier à la faible couverture en services d’épargne et de crédit principalement observée dans les régions rurales du territoire mexicain, notre analyse de la dette comme contrainte sociale institutionnalisée témoigne que l’insertion du dispositif de microfinance va au-delà d’une question de disponibilité et d’accès. La mise en place d’une offre supposée juste et efficace ne suffit pas à assurer son universalité, tout dépend en effet des droits et des obligations que les flux monétaires et financiers sous-tendent. On s’interroge alors sur la manière dont ce nouveau droit d’accès s’insère dans l’ensemble des relations de dettes / créances, monétaires et non monétaires, que les personnes tissent avec leur entourage ? Comment les personnes affectent-elles et gèrent-elles les différentes formes et sources de liquidité auxquelles elles ont accès par rapport aux différentes contraintes et temporalités auxquelles elle doivent faire face ?

Au total donc, l’attention portée à la dialectique constante entre aspirations individuelles d’un côté, contraintes sociales de l’autre doit être mise au service d’une approche en termes de processus d’appropriation fondée sur une compréhension des pratiques de dettes/créances à la fois comme mode de gestion de l’incertitude etcomme mode d’appartenance sociale [Guérin, 2002 et 2006] 161 .

Notes
161.

Cette analyse de la dette élaborée par Isabelle Guérin dans le contexte Sénégalais se révèle très pertinente pour notre contexte.