Troisième partie. Une insertion de l’IMF prenant appui et renforçant les réseaux sociaux d’accès à la liquidité

Introduction

Si le volontarisme des institutions de microfinance a permis dans de nombreux contextes de repousser les barrières de l’exclusion de l’opportunité d’accès aux moyens de financement, le dispositif de microfinance n’a pour autant pas, à la différence des programmes de transferts publics, de vocation universelle au sein de sa population-cible. Nous l’avons vu, l’idéologie dominante qui transcende et motive les interventions dans le domaine de la microfinance se fonde sur l’extension du marché au travers de la mise en place de relations financières marchandes relevant de la logique de la place de marché. Au-delà de cette « extension », l’ambition est de promouvoir la mise en place d’un « marché supposé juste et efficace » [Servet, 2006a]. Dans cette optique, l’accès au marché ne dépendrait que de l’arbitrage que chaque individu réalise à l’issue d’un calcul de l’utilité espérée que le bien ou le service doit lui procurer. L’établissement d’une relation contractuelle exprime de ce point de vue l’idée du caractère bilatéral de la relation qui se noue entre deux unités de décision. Les conditions d’accès à un bien, une ressource sont déterminantes mais pour que la relation s’établisse, elles doivent répondre aux besoins et caractéristiques du co-contractant (en l’occurrence l’emprunteur).

Or, peut-on réellement ramener les critères de justice sociale à une comparaison interindividuelle des moyens dont chacun dispose et considérer ainsi que les seuls critères d’exclusion seraient à rechercher soit au niveau des caractéristiques de l’offre dont certains ne pourraient remplir les conditions requises, soit à celui des caractéristiques de la demande émanant des ménages au sein de la population-cible ?

L’éthique utilitariste a été dépassée par certains auteurs en désaccord avec le principe qui la fonde selon la théorie du bien être : la maximisation de l’utilité collective. Ainsi, Sen met l’accent sur la liberté réelle ou encore l’opportunité effective dont chacun dispose pour exercer ses choix. Au-delà des moyens de la liberté Sen se penche donc sur le processus de conversion des libertés formelles en libertés réelles. Accorder la priorité aux libertés réelles des personnes le conduit à appréhender les différents facteurs individuels et sociaux qui y feraient obstacle. Notre cadre analytique nous a enjoint à dépasser la vision bilatérale de la relation contractuelle pour l’inscrire dans un cadre institutionnel illustrant l’appartenance de chacun à un collectif dans une double dimension de l’interaction sociale, verticale et horizontale. La relation financière n’est plus exclusivement envisagée comme un rapport individuel, elle est appréhendée comme un rapport au groupe. Ignorer le contexte institutionnel conduit à nier certains mécanismes de production et reproduction des inégalités et donc à risquer de les perpétuer.

En effet, si une part plus ou moins importante de la population-cible est exclue de la possibilité d’obtenir un prêt quel qu’en soit l’objet (consommation ou investissement), ce n’est pas exclusivement parce que ces personnes ne fournissent pas les garanties nécessaires ou ne font pas le choix de solliciter un prêt. Des facteurs liés à l’appartenance sociale entrent en jeu et déterminent non seulement l’accès au dispositif de microfinance (chapitre 6) mais aussi la continuité de cet accès (chapitre 7). Ces déterminants sociaux rendent peu probable l’hypothèse de la substitution totale des relations de dettes/créances, qui prévalent au sein du réseau social, par l’offre de crédit procurée par l’IMF (chapitre 8).

Au total, l’appropriation du microcrédit réalisée dans une logique individuelle et collective de desserrement des contraintes temporelles de liquidité favorise d’une certaine façon le renforcement des pratiques préexistantes tout en leur conférant un rôle de premier plan dans la continuité de l’accès aux services de crédit procurés par l’IMF et donc dans la pérennisation de cette offre.