Introduction

Les caractéristiques intrinsèques des institutions de microfinance ainsi que les contraintes auxquelles elles font face contribuent à générer, selon l’expression de Von Pischke [1991], de « nouvelles frontières » entre emprunteurs et non-emprunteurs 162 . Le dispositif de microfinance ne va donc concerner qu’une certaine proportion de la population. Or, plus cette proportion est faible par rapport au nombre total de ménages, plus le dispositif concernera une frange spécifique de la population et plus ce que l’on nomme le « biais de sélection  » sera élevé [Hulme et Mosley, 1996].

Dans ce contexte, la problématique de l’outreach (couverture) des institutions de microfinance est devenue l’un des piliers des fameux « best practices » soutenus par les organismes internationaux tels que la Banque Mondiale ou l’USAID (Agence américaine de coopération internationale). L’une des limites adressée à l’approche par l’outreach a concerné le fait que celle-ci négligeait la profondeur de la portée c’est-à-dire les caractéristiques des ménages bénéficiaires des services au profit d’un éclairage par l’étendue de l’outreach, appréhendée au travers du nombre de ménages concernés par le programme appréhendé au travers des choix stratégiques de l’intervention étudiée [Morduch, 2000]. Dans cette optique, deux critères principaux ont été spécifiquement appréhendés : le genre des clients/bénéficiaires et leur niveau de pauvreté. Par la suite, ces éléments étaient mis en relation avec les caractéristiques d’intervention du dispositif étudié [Conning, 1999]. Ainsi, les contrats de prêt avec responsabilité conjointe, en permettant de dépasser les obstacles à l’accès à l’emprunt liés à l’impossibilité pour les populations pauvres de fournir une quelconque garantie matérielle, ont souvent été présentés comme la solution au problème de l’accessibilité aux sources de financement pour ces populations démunies.

Interroger les caractéristiques intrinsèques des ménages touchés par le dispositif de microfinance et les moyens mis en œuvre pour favoriser l’insertion des plus pauvres est une avancée. Elle n’est cependant pas suffisante à notre sens dans la mesure où elle véhicule l’idée selon laquelle l’accès des ménages aux services financiers procurés par l’IMF ne dépend que du volontarisme de cette dernière. En d’autres termes, les caractéristiques de la relation contractuelle procurée suffiraient à tendre vers une démocratisation de l’accès à des services financiers formels.

Elle doit donc être complétée par une approche centrée sur les raisons qui expliquent que certains ménages sollicitent l’accès aux services de l’IMF alors que d’autres ne le feront pas. Devenir client du dispositif de microfinance est déterminé par une combinaison de facteurs disparates tant ponctuels que structurels. Notre ambition n’est pas ici de lister chacun des déterminants qui induisent les personnes à solliciter un prêt auprès du dispositif de microfinance.

Après avoir présenté une revue des travaux disponibles sur la question de la participation des ménages aux institutions de microfinance (Section 1), nous nous limiterons à montrer que l’insertion de la personne dans les réseaux « informels » d’accès à la liquidité accroît l’accessibilité des services du dispositif de microfinance (Section 2). En d’autres termes, parmi la population du village, les emprunteurs auprès de l’IMF s’avèrent êtres ceux qui disposent au préalable d’importantes opportunités d’emprunts informels et/ou de transferts privés de membres de la famille ayant migré aux Etats-Unis. Par ailleurs, une fois que la personne a obtenu le crédit de la microbanque, certains de ces réseaux sont mobilisés par le client pour s’assurer au travers du remboursement du crédit la continuité de l’accès au microcrédit (chapitre 6).

Notes
162.

Formulée il y a près de vingt ans, cette expression de Von Pischke de l’Ohio State University illustre que l’enjeu des innovations institutionnelles est bien l’inclusion des populations jusque-là exclues de l’accès aux services financiers procurés par les systèmes formels en place.