§1. L’accès au microcrédit diffère le recours aux transferts privés de la migration
De nos enquêtes, il ressort que 30% des ménages emprunteurs interrogés reçoit des transferts privés monétaires (ce chiffre est de 35% pour les ménages clients de la microbanque et de 30% si l’on considère uniquement les ménages emprunteurs). La quasi-totalité de ces transferts est envoyée par des membres de la famille ayant émigré soit vers une ville du Mexique soit vers les États-Unis. Soulignons par ailleurs, que 75 % des transferts sont envoyés par les enfants du ménage ; 15 % par le mari émigré. Enfin, 10 % des transferts proviennent d’autres membres de la famille –oncle/tante, frère/sœur– ils sont généralement plus occasionnels. Les montants mensuels perçus sont en moyenne sont très variables suivant les régions (Sierra Sur ou Mixteca). Ainsi, toutes régions confondues, le montant moyen mensuel est de l’ordre de US$ 45. Dans la Mixteca, la moyenne mensuelle est de l’ordre de US$ 84 alors que dans la Sierra Sur, les transferts reçus sont en moyenne de US$ 24. Pour les ménages concernés, ces transferts représentent approximativement 20 à 100% des revenus monétaires annuels (voir chapitre 4, section 1).
L’analyse qualitative et quantitative de nos observations souligne que l’usage du microcrédit, par les personnes recevant des transferts privés, est principalement dédié au poste de dépenses courantes –dépenses d’alimentation, dépenses pour les enfants– ainsi qu’aux dépenses qu’implique l’activité productive : production de maïs permettant d’assurer les besoins alimentaires et production de café destinée à la vente.
Source: Enquêtes Morvant [2004a et 2004b].
A priori, le microcrédit vient se substituer ou compléter le transfert privé comme source de revenu pour les dépenses courantes et productives. Par ailleurs, durant l’absence du mari, le microcrédit est directement utilisé par la femme comme un substitut de revenu ou comme une ressource permettant de continuer l’activité productive. « J’ai reçu le crédit en juin (US$ 300), mon mari était à peine parti, c’est pour aider à la maison, pour la cuisine, acheter du maïs » (Femme, 36 ans, San Baltazar Loxicha, dont le mari est parti travailler aux Etats-Unis).
Pourtant, on constate que, parmi les personnes recevant des transferts privés, la stratégie privilégiée pour le remboursement du microcrédit n’est autre que le recours aux transferts privés. Les résultats du tableau 36 ci-dessous révèlent que sur 46 personnes, percevant des transferts privés, ayant répondu à la question concernant le remboursement du dernier microcrédit 31 personnes ont recours aux transferts privés (soit 97% de ce sous-échantillon). Ces personnes sont aussi celles qui le plus souvent mobilisent une source unique de liquidité pour rembourser le microcrédit 185 . En effet, 60 % de la totalité de notre échantillon mobilise au moins deux sources distinctes de liquidité pour effectuer le remboursement. Ce chiffre est de l’ordre de 65 % pour le sous-échantillon des personnes percevant des transferts privés et de 55 % pour le sous-échantillon ne recevant pas de transferts privés.
Source: Enquêtes Morvant [2004a et 2004b].
L’accès au microcrédit ne réduit donc que partiellement et pour une durée courte dans le temps la dépendance des personnes aux transferts privés. L’activité économique dégage le plus souvent des bénéfices permettant tout juste faire face aux dépenses courantes (alimentation, éducation) ou aux dépenses induites par l’une ou l’autre des activités productives 186 . Dès lors que la date du remboursement approche, les emprunteurs font face à la nécessité de se procurer la liquidité qui permettra de remplir leur engagement et de ne pas « faillir ». Les ménages ou les femmes seules percevant des transferts privés, privilégient cette importante source de liquidité même si les stratégies diffèrent quelque peu :
- Envoi différé du transfert privé : utilisé comme un substitut de revenu ou pour assurer la continuité de l’activité, le microcrédit diffère le versement du transfert. Aussi, le transfert est envoyé et sollicité au moment du remboursement. « Avant, mon fils savait à quel moment j’avais besoin d’argent pour nettoyer le champ, il envoyait l’argent. Maintenant il envoie l’argent pour rembourser le crédit » (Femme veuve, dont l’un des deux fils vit aux États-Unis).
- La personne prélève une partie des transferts privés : les femmes seules ou les ménages percevant des transferts réguliers prélèvent une partie du transfert pour réunir la somme nécessaire pour le remboursement. « Mes enfants m’envoient de l’argent pour mes dépenses, je mets une partie de côté pour ma dette » (Femme mariée, dont deux enfants envoient de l’argent mensuellement).
- La personne reçoit un transfert spécifique supplémentaire : en dehors de l’envoi plus ou moins régulier d’argent, l’appui des enfants et/ou le mari sera sollicité spécifiquement au moment du remboursement. « Ma fille m’a aidée pour rembourser le crédit, car quand je n’ai pas l’argent, comment je peux l’obtenir ? » (Femme seule, dont la fille émigrée envoie de l’argent chaque mois).
Ce type de stratégie accessible aux ménages dont l’un des membres de la famille travaille ailleurs dans le pays ou aux Etats-Unis est relativement « confortable ». Il est en effet possible de se procurer des sommes assez élevées et le versement du transfert, réalisé au sein de la famille proche, oblige peu la personne qui le reçoit.