§2. Le recours au réseau social comme substitut au microcrédit pour un court délai

Les ménages qui ne perçoivent pas de transferts privés de la part de leurs enfants, mari ou autres membres émigrés de la famille doivent compter sur d’autres sources d’appui lorsqu’ils n’ont pas réussi à réunir la somme nécessaire au remboursement à partir de leurs propres revenus. L’une des stratégies adoptée pour cette circonstance visera à solliciter une sphère familiale, relationnelle plus large afin d’obtenir l’argent, liquider la dette vis-à-vis de la microbanque et rembourser la personne qui a procuré la liquidité avec le nouveau crédit octroyé. Le transfert privé tient lieu de « prêt-relai » au microcrédit.

Figure 16. Les transferts privés comme « prêts- relais »
Figure 16. Les transferts privés comme « prêts- relais »

Ce cas de figure implique un délai très bref car le recours à une sphère familiale plus large ne peut se réaliser dans les mêmes conditions que l’appui donné par les enfants ou l’époux. En effet, les sommes qui circulent entre parents « indépendants/ autonomes » économiquement sont généralement petites [Chamoux, 1993] et visent pour l’essentiel des dépenses de consommation. La somme due à la microbanque dépasse largement les sommes disponibles dans cette sphère d’entraide. Aussi, le délai doit être relativement court et les sommes empruntées représentent rarement l’intégralité du montant de la dette auprès de la microbanque. « Samedi, je dois payer 4000$ [US$ 400], j’ai réuni 3000$ [US$300] de mon travail, et j’ai dû emprunter 1000$ [US$ 100] à ma mère, quand ils vont redonner le crédit je lui rends l’argent. Je ne paie pas d’intérêt car c’est pour un court moment » (Femme mariée). « J’ai prêté 2000$ à mon fils, il a payé et ensuite il m’a rendu l’argent avec le nouveau crédit » (Femme mariée, dont le fils est aussi associé de la microbanque).

Les conditions sont parfois plus souples et le remboursement peut dans certains cas intervenir au moment où l’emprunteur dispose d’une somme suffisante ou lorsque le prêteur manifeste le besoin de disposer de la liquidité prêtée. « J’ai dû emprunter l’argent à ma sœur, c’est comme une aide, il n’y a pas d’intérêt et si je n’ai pas d’argent je peux rembourser dans un an » (Femme veuve). Ce type d’entraide dépend des disponibilités de l’entourage proche, dans le cas où l’entourage ne dispose pas du montant correspondant à tout ou partie du remboursement, la personne va se tourner vers une sphère sociale plus large encore 187 et va avoir recours au prêt à intérêt.

Une évaluation quantitative des transferts générés par l’accès au microcrédit de la microbanque met en évidence que 18% des emprunteurs ont eu recours au transfert privé de la migration ou à l’emprunt auprès du réseau social pour rembourser tout ou partie de leur crédit. Il est fort probable que cette estimation soit en deçà de la réalité tant il est difficile d’obtenir de l’information fiable. La mémoire des emprunteurs est faillible et eux-mêmes dissimulent souvent l’origine de l’argent qui a servi au remboursement. Aussi, si nous ne prenons en compte que les emprunteurs avec qui nous avons mené les enquêtes nous-mêmes en nous appuyant sur le guide d’entretiens plus ouvert, le pourcentage est pour ce sous-échantillon de 24% des emprunteurs, le montant des transferts ou emprunts générés variant de US$ 20 et US$ 400.

Le microcrédit offre une nouvelle opportunité de se procurer de la liquidité laquelle s’insère donc dans la diversité des sources à disposition du ménage et sur la base desquelles ce dernier réalise une gestion temporelle des flux de liquidité. Le décalage croissant entre le terme théorique ou proposé par l’IMF et le terme réel sollicité par les emprunteurs illustre bien cette stratégie de gestion des divers flux afin de jongler avec les différentes temporalités. Les résultats auxquels nous parvenons dans le chapitre 9 concernant la durée des crédits octroyés par la microbanque confirment cette observation.

Utilisé pour des dépenses courantes ou des activités qui génèrent peu de revenus 188 , le microcrédit ne fait donc le plus souvent que déplacer dans le temps la contrainte de liquidité laquelle sera réglée en dernière instance par le recours au réseau social et notamment aux transferts privés.

Les transferts privés garantissent donc dans une certaine mesure la réussite du prêt de groupe au sein de la microbanque appréhendée au travers des taux de remboursement. En revanche, s’il est exceptionnel que l’accès au microcrédit affranchisse la personne du recours à l’entourage, les deux sources de liquidité –en excluant les transferts privés de la migration- diffèrent sensiblement par leur nature et leur affectation.

Les sommes accessibles auprès de la microbanque ne sauraient être sollicitées dans le cadre familial « local » lequel ne peut le plus souvent pourvoir à de tels montants. Par ailleurs, le prêt/don d’argent sans intérêt intervient au sein de l’entraide familiale locale afin de résoudre un problème grave (maladie, nourriture, etc.), cette aide ne saurait être mobilisée dans le but de générer de l’argent. L’argent provenant du microcrédit ne peut pas être identifié ou confondu avec le rôle de l’argent circulant au sein de la famille, du réseau social 189 . Le recours à l’appui de l’entourage et en particulier à la solidarité familiale subsiste, le microcrédit ne fait que déplacer certaines formes de financement, il n’y a pas substitution, il y a plutôt substitution limitée.

La disponibilité financière supplémentaire constituée par le microcrédit autorise l’emprunteur à jouer entre les différentes catégories de flux de liquidité, flexibilité dont l’emprunteur aurait tort de se priver.

Il n’est pour autant pas davantage question de se priver de la possibilité de recourir au réseau social en cas de besoin. Ainsi, si le recours à ce dernier soutient, dans une certaine mesure, la continuité de l’accès aux services de crédit procurés par le dispositif de microfinance, cette source de liquidité peut à l’inverse être mise à profit par les emprunteurs pour entretenir les relations financières au sein du réseau social et ainsi s’assurer le soutien de leurs proches à plus ou moins long terme.

Notes
187.

Cette sphère comprend la famille étendue : cousins, neveux, oncles, etc. Ainsi que la famille rituelle composée des compères et des parrains et enfin, les voisins, personnes vivant dans le même quartier.

188.

La principale activité génératrice de revenus dans la zone d’étude est la culture et la commercialisation du café. Le prix actuel du café –de l’ordre de 11,5 pesos (US$ 1,15) par kilo pour le café « pergamino »- laisse peu de bénéfices aux producteurs. Certains décident même de laisser pourrir la graine sur l’arbre plutôt que de payer des personnes pour le récolter.

189.

Au niveau du réseau social, l’argent et sa circulation prennent d’autres significations et mettent en jeu des relations de prestige, de pouvoir, d’interdépendance ou de dépendance.