A- Mise à disposition de l’argent prêté par l’IMF à un tiers

Mettre à disposition d’un tiers la somme accessible participe des stratégies adoptées par les emprunteurs du dispositif de microfinance étudié pour ne pas laisser perdre cette liquidité potentielle lorsqu’ils considèrent ne pas en avoir l’utilité immédiate. Revenons au cas d’Austreberta que nous avons évoqué précédemment. Cette dernière n’avait pas utilisé elle-même le premier microcrédit qu’elle avait pourtant sollicité auprès de l’IMF car l’essentiel de ses dépenses courantes avaient été réalisées préalablement à l’aide d’autres sources de revenus monétaires. Durant un nouvel entretien lors d’un nouveau séjour quelques mois plus tard dans le village où réside Austreberta, elle nous livrait des informations similaires à propos de l’utilisation de son quatrième crédit d’un montant de US$ 400: « Je l’ai prêté à un homme qui est venu demander faveur [solliciter un prêt] »… « Si je peux aider, j’aide». Le prêt a été consenti pour une durée de deux mois, à un taux d’intérêt mensuel de 5%, c’est-à-dire inférieur aux taux d’intérêts pratiqués par les prêteurs informels mais supérieur au taux d’intérêt de la microbanque. Le problème auquel Austreberta a été confrontée et que cette personne n’a pas remboursé à temps afin qu’elle puisse elle-même rembourser la microbanque. Elle a donc dû emprunter US$ 200 à une autre personne (le fils de son compère) pour une durée de huit jours afin de rembourser la microbanque et par la suite de rembourser cette personne avec le nouveau crédit octroyé par l’IMF. Pour compléter le capital de US$ 400 et les intérêts, Austreberta a puisé sur des ressources personnelles tirées de son activité économique, en vendant un animal. Précisons que les US$ 200 ont été empruntés pour une très courte durée et qu’elle n’a donc pas payé d’intérêts sur cette somme.

Les propos recueillis auprès d’Isabel illustrent également cette stratégie : « j’aime bien le microcrédit car j’emprunte à 3% et je peux prêter à 5% » (Isabel, 38 ans, mariée, 3 enfants à charge, San Baltazar Loxicha).

La mise à disposition du microcrédit peut concerner une sphère relationnelle plus ou moins étendue, cette pratique se réalise fréquemment au sein même du groupe solidaire. Cette pratique consiste à ce que le membre dont les besoins sont inférieurs au montant octroyé par l’IMF sollicite malgré cela le montant maximal offert par l’IMF et mette tout ou partie de son prêt à disposition d’un autre membre exprimant quant à lui des besoins supérieurs aux montants proposés par l’IMF. Nous reviendrons par la suite plus précisément sur cette pratique et ses implications théoriques dans le chapitre 10 (partie 4).

Nous nous contentons de rapporter ici les propos de Renaldo, emprunteur de 42 ans, vivant à Santa Catarina Loxicha à propos de son cinquième crédit : « Je n’utilise pas les 5000 pesos [US$500] du crédit, alors pour que ça serve, je te les laisse, tu n’as qu’à les utiliser [évoquant Elpidio, de son groupe solidaire et parrain de sa fille] » […] « Si je n’ai pas l’utilité de l’argent, il peut le prendre » 190 . Précisons que l’arrangement qui prévaut dans ce cas est que celui qui utilise le prêt paie les intérêts sur la partie du prêt qu’il a utilisé et sur la durée d’utilisation (le montant mis à disposition ne correspond pas toujours à l’intégralité du microcrédit et la durée d’utilisation peut varier de la durée totale du microcrédit à une durée plus courte suivant les nécessités des deux emprunteurs) 191 .

Notes
190.

« No ocupo el dinero te lo doy a tí para que esté activo » […] « Si no tengo que ocupar, se lo puede traer ».

191.

Davantage que le montant du microcrédit, ces deux hommes partagent parfois la durée du prêt, cela implique que l’un d’entre eux utilise la somme durant deux mois et ensuite une fois l’argent récupéré, l’autre l’utilise pendant le temps qui reste sur la durée totale du microcrédit. Cette stratégie vise à payer moins d’intérêt lorsque cela est possible.