B- Utilisation collective au sein de la maisonnée ou destinée à soutenir un proche

L’accès au microcrédit peut constituer une opportunité inédite d’appui aux membres de la famille. L’usage peut être réalisé par d’autres membres de la famille ou par l’emprunteur, spécifiquement au bénéfice de membres de sa famille. Au niveau de la famille proche –unité domestique identique ou entre les parents et leurs enfants émigrés- nos observations nous autorisent à déduire qu’il n’y a pas d’utilisation « cloisonnée » 192 de l’argent provenant de la microbanque. Celui-ci peut être utilisé de façon individuelle (le plus souvent par le mari) mais il peut également être utilisé de façon collective ou au bénéfice de plusieurs personnes.

Pour les parents, le microcrédit constitue une possibilité d’appui à leurs enfants pour réaliser une dépense importante ou faire face à une urgence. Le financement du mariage du fils ou la construction de la maison de l’enfant devenu indépendant sont parmi les dépenses qui requièrent l’aide parentale. En revanche, les montants octroyés par la microbanque ne satisfont pas l’intégralité de la dépense il est donc nécessaire de compléter le microcrédit par d’autres sources de liquidité ou de solliciter au sein de la même famille plusieurs crédits auprès de la microbanque afin de réunir un somme conséquente. « Le mariage a coûté 30.000$ [US$ 3000], nous avons épargné à partir du travail et avons complété avec l’argent de la microbanque , le parrain participe aussi aux dépenses. » (Homme, Santa Catarina Loxicha). « Nous avons demandé le crédit de la microbanque tous les trois – elle, son mari et son fils- pour le mariage de notre fils. » (Femme, Santa Catarina Loxicha). Dans le cas de cette femme, les crédits ont été remboursés principalement à partir du travail du fils qui a dû aller travailler un temps à Oaxaca (la capitale de l’État). Pour d’autres, le microcrédit est investi dans la construction d’une maison pour le fils ou lui permettre de démarrer une activité productive. La responsabilité du remboursement est alors assumée en partie ou totalement par l’enfant. « Ils sont partis travailler aux Etats-Unis, moi je m’occupe de leur fils, ils sont partis car ils veulent avoir leur maison, ils en ont une déjà, nous les avons aidés avec le crédit de la microbanque . Pour le remboursement, mon fils va m’aider et mon époux aussi ». (Femme, 42 ans) 193 . Enfin, si le moment d’octroi du microcrédit coïncide avec un moment critique pour l’un des membres de la famille –problème de santé d’un des enfants indépendants économiquement, endettement d’un frère, dépense élevée pour la scolarité des enfants- il sera dirigé vers cette urgence, le délai relativement long de mise à disposition de la somme, permettra aux membres de la famille de s’organiser pour rembourser la somme.

La personne qui emprunte n’est pas toujours celle qui utilise l’argent, le crédit est parfois approprié par une autre personne appartenant à l’unité domestique ou non 194 . C’est souvent le cas des femmes emprunteuses qui ne maîtrisent qu’en partie l’utilisation du crédit. Le tableau ci-dessous fournit les informations quant à la personne qui a utilisé le dernier microcrédit, cette information est mise en relation avec la personne ayant sollicité le crédit (emprunteur). Les données soulignent que lorsque c’est l’épouse du chef de ménage qui emprunte, le microcrédit est plus souvent utilisé par différentes personnes et notamment par l’époux. En revanche, lorsque l’emprunteur est le chef de famille, le microcrédit est plus fréquemment utilisé par l’emprunteur lui-même.

Tableau 35. Modalités d’utilisation du microcrédit
Tableau 35. Modalités d’utilisation du microcrédit

Source : Morvant [2005a]

Celui-ci est fréquemment sollicité au bénéfice de l’activité productive du mari lequel ne souhaite pas – par crainte de faillir ou parce qu’il considère qu’il n’a pas de temps à y consacrer- se compromettre auprès d’une institution extérieure et envoie de préférence son épouse solliciter le crédit.

En revanche, dans le cas où l’épouse devient membre à la place de son mari, ce dernier devra se montrer « responsable » et assumer tout ou partie du remboursement « S’il se responsabilise, je m’y mets, sinon, non car c’est une dette » (Femme qui demande le crédit pour son mari). L’argent est donc canalisé vers la dépense du moment au sein de l’unité domestique ou de la famille proche. «Avec le microcrédit , ma mère a aidé mon frère qui voulait acheter une tronçonneuse pour gagner de l’argent. C’est lui qui va le rembourser » (Femme, dont la mère vit seule avec son fils cadet). Il procure aux parents une occasion de fournir un appui à leurs enfants en leur faisant profiter de leur « droit d’accès » à cette source d’emprunt. « Dernier crédit a été de 12.000$ [US$ 1200], mon fils l’utilise pour son travail –il est boulanger- c’est moi qui ai sorti l’argent car je voulais l’appuyer, il n’est pas connu. Chaque mois il doit me donner l’argent pour que je paye » (Femme mariée, a un crédit individuel auprès de la microbanque).

Notes
192.

Nous entendons par là que l’usage du crédit n’est pas systématiquement affecté à un type de dépenses ou utilisé par une seule personne.

193.

Tout le crédit n’a pas été dédié à la construction de la maison. Sur US$ 500 empruntés, US$ 250 ont permis l’achat de matériel de construction et US$ 250 ont été utilisés pour les dépenses courantes de nourriture.

194.

Parmi les personnes n’appartenant pas à l’unité domestique, nous faisons allusion aux autres membres du groupe de solidarité. Les prêts internes, entre membres du même groupe sont fréquents lorsque les montants auxquels les membres du groupe peuvent prétendre deviennent élevés (au-delà de US$ 300). A ce stade apparaissent de différences de nécessité ou de conscience des limites de sa propre capacité de remboursement. La stratégie consiste alors à demander le montant « empruntable » et à re-prêter tout ou partie du prêt à un autre membre lequel remboursera son prêt plus la partie du prêt supplémentaire avec les intérêts sur cette partie.