§2. Évidences empiriques

A. Rationnement du crédit et spillover effect

La mise en évidence de la réalité du rationnement du crédit conduit à des résultats disparates. La contribution de Bell et al. [1997] démontre à partir de données collectées dans le contexte du Punjab en Inde, que les paysans de cette région font face à un niveau élevé de rationnement du crédit auprès du secteur formel (80% des emprunteurs et 75% des non-emprunteurs) qui se traduit par une réorientation envers le secteur informel de la demande d’emprunt insatisfaite par le secteur formel. Cependant, la séquence modélisée est la suivante:

  • Étape 1 : les ménages sollicitent du crédit formel en fonction de leurs dotations initiales, du taux d’intérêt formel et du prix des facteurs ;
  • Étape 2 : les ménages comblent la demande insatisfaite par le secteur formel grâce au recours au secteur informel;
  • Étape 3: le dernier choix opéré par les ménages consiste à opter ou non pour un crédit de type lié (interlinked).

Le déroulement de cette séquence implique donc que les ménages se tournent en premier lieu vers le secteur formel. Cette hypothèse omet donc la possibilité que les ménages sollicitent en premier lieu un prêt auprès du secteur informel, ce qui revient à négliger l’attractivité du secteur informel, notamment en termes de coûts.

L’article souligne que l’effet spillover [déversement] n’est pas la seule cause de vigueur du secteur informel dans ce contexte. Associé à une demande relativement inélastique au taux d’intérêt l’effet spillover conduit à une forte segmentation du marché du crédit.

Cet effet spillover est également mis en évidence par l’étude de Barham et al. [1996] menée dans le contexte du Guatemala. La question centrale de cette contribution vise à analyser le rôle des unions de crédit dans la réduction du rationnement du crédit effectué envers les petits producteurs agricoles par le secteur bancaire. À partir d’une classification des ménages vivant dans des zones d’intervention d’unions de crédit, en fonction de leur expérience avec le secteur bancaire 200 , les auteurs montrent que les unions de crédit permettent de relacher le rationnement du crédit opéré par le secteur bancaire : 13% des ménages qui étaient rationnés par les banques ne l’étaient pas par les Unions de crédit (et 27% de ménages n’étaient que partiellement rationnés par les Unions de crédit). Cette étude s’appuie cependant sur l’hypothèse que les ménages se tournent en premier vers le secteur bancaire puis si leur demande est insatisfaite se tournent vers les unions de crédit ou le secteur informel. Aussi, en faisant cette hypothèse il était fort probable que les auteurs concluent à un effet spillover des unions de crédit vis-à-vis du secteur bancaire.

En revanche, la contribution de Kochar [1997] s’appuyant sur des données collectées dans le contexte indien relativise ce résultat. Le modèle développé par Kochar [1997] autorise la prise en compte de la demande réelle (afin d’évaluer le niveau effectif du rationnement du crédit) des ménages envers le secteur formel qui découle de la demande de crédit et de l’accessibilité du crédit informel. Ses résultats montrent que le niveau de rationnement du crédit est plus faible que celui généralement admis dans la littérature puisque la probabilité d’avoir accès au crédit conditionnée à la demande effective du ménage ou préférence du ménage pour le secteur formel est de l’ordre de 74%. Kochar attribue le faible niveau d’emprunt auprès du secteur formel (19% de son échantillon) non pas à un rationnement de crédit opéré par le secteur formel mais à une absence de demande induite selon elle par le manque d’opportunités d’investissement ou à un faible niveau de productivité agricole.

Si ces différentes études aboutissent à des résultats quelque peu contradictoires sur la réalité du rationnement du crédit, elles ont cependant en commun d’illustrer les limites de l’hypothèse communément admise de la segmentation totale des marchés financiers.

Notes
200.

Il existe différentes méthodes utilisées pour identifier et mesurer le rationnement du crédit. La méthode suivie par Barham et al. [1996] s’appuie sur celle adoptée par Huppi et Feder [1990]. Cette méthode consiste à classifier les ménages en fonction de leur expérience avec le secteur bancaire. L’information sur cette expérience est extraite des entretiens réalisés avec chacun des ménages à partir de questions directes posées à l’interviewé : « Pourquoi n’avez-vous pas emprunté ? Votre demande a t-elle été pleinement satisfaite ? pourquoi pas ?, etc. ».