§3. Recours à la procédure d’estimation en deux étapes d’Heckman

La première étape de cette procédure consiste à tenter d’identifier les sources de différenciation existant entre deux populations, dans notre cas, les ménages dont la valeur de la variable dépendante (montants empruntés) est strictement supérieure à 0 et les ménages dont la valeur prise par cette variable est égale à 0. À l’aide d’un modèle PROBIT, il s’agit dans un premier temps d’estimer les effets des différentes variables du modèle sur la variable dépendante (équation de sélection) afin de pouvoir contrôler ces mêmes effets lors de l’estimation du modèle (seconde étape). Au-delà de ces facteurs de biais mesurables, la procédure d’Heckman va plus loin dans l’analyse. Elle autorise l’évaluation des effets non-mesurés par les variables prises en compte sur la variable dépendante. Bien entendu, ces effets n’apparaissent pas dans les coefficients estimés pour les variables explicatives, l’information est donc à rechercher ailleurs. Or, selon Smits [2003], cette information est disponible dans le terme d’erreur ou résidus contenant les variations « résiduelles » non expliquées par les autres variables du modèle. Ces variations « résiduelles » proviennent donc de caractéristiques propres aux unités étudiées (ménage, travailleur, femme) non prises en compte dans le vecteur des variables explicatives [op.cit.:3]. La procédure d’Heckman permet précisément de contrôler ces effets. Les résidus de l’équation de sélection (première étape) correspondant aux effets non-mesurés servent à construire un facteur dit de contrôle du biais de sélection, nommé Lambda et correspondant au rapport inverse de Mill (inverse Mill’s ratio). La valeur prise par Lambda pour chaque unité considérée, enquêtée est conservée et ajoutée à l’ensemble des variables disponibles.

La seconde étape de la procédure l’analyse est menée conformément à l’objectif initial, dans notre cas, celle-ci est réalisée à l’aide d’une régression par les moindres carrés ordinaires (Ordinary Least Squares) 210 . Le facteur de contrôle du biais de sélectionLambda est introduit dans la régression en tant que variable explicative additionnelle. Le coefficient estimé pour ce dernierprocure ainsi la part des effets de ces caractéristiques non-observées corrélée avec le niveau de notre variable dépendante. On obtient donc pour les autres variables explicatives, des coefficients non-biaisés par les caractéristiques non prises en compte dans le modèle initial.

À l’instar de l’analyse statistique, l’analyse économétrique qui suit a été réalisée à l’aide du logiciel SPSS. En revanche, ce logiciel ne permettant pas l’application directe de la procédure d’Heckman 211 , nous avons dû réaliser la programmation manuellement. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur la démarche proposée par Smits [2003] inspirée de Ploeg [1993] que nous décrivons dans l’Annexe 8.

Concernant le biais dit de sélection, la méthode la plus employée consiste à avoir recours à un groupe qui présente certaines des caractéristiques qui distinguent le groupe étudié des personnes appartenant au groupe de contrôle (voir décision de migration ou encore la décision de solliciter les services financiers) 212 . Dans le domaine de la microfinance, il est fréquent d’associer au groupe principal et au groupe de contrôle un troisième groupe dit de clients « entrants » c’est-à-dire des personnes sur le point d’obtenir un prêt ou en ayant obtenu un seul. L’avantage de ce deuxième groupe « témoin » est donc de limiter le biais dit de sélection 213 . Dans notre cas, un autre avantage nous semble- t-il a été de nous fournir des informations de comparaison dans le temps dont nous ne disposions pas étant donné que les informations collectées concernent une seule période de temps (un seul passage de l’enquête par opposition aux enquêtes qui n’ont pas de groupe de contrôle mais s’appuient sur une comparaison de la situation des mêmes ménages sur différentes périodes).

Nous disposons ainsi dans notre base de données de trois groupes distincts :

  1. Les clients de l’IMF depuis plus d’une année
  2. Les clients de l’IMF depuis moins d’une année
  3. Les non-clients

Au total, nos trois différents groupes se répartissent de la sorte :

Tableau 39. Échantillon de l’enquête
  Années d’ancienneté IMF Pourcentage Pourcentage cumulatif
Nouveaux clients > ou = 1 18,2 18,2
Anciens clients 2 44,5 62,7
Non-clients 0 37,3 100,0
  Total 100,0  

Ces précisions relatives à la méthodologie de l’estimation économétrique étant faites, présentons à présent les résultats statistiques et économétriques.

Notes
210.

L’estimateur dit des moindres carrés ordinaires permet d’obtenir sous certaines conditions concernant le terme d’erreurs une estimation des paramètres de la relation entre la variable expliquée et la ou les variables explicatives qui rendent minimum les écarts entre les valeurs observées et les valeurs estimées ou calculées.

211.

La procédure d’Heckman n’est pas pré-programmée dans SPSS.

212.

Nous avons démontré précédemment l’existence d’une source caractérisée de biais de sélection (chapitre 6).

213.

Karlan [2001] émet un certain nombre de réserves quant à l’efficacité du groupe de contrôle ou groupe de nouveaux entrants pour résoudre le biais de sélection. Cette méthodologie pose selon lui deux problèmes majeurs provenant de l’absence de prise en compte dans l’évaluation et l’analyse du groupe des clients ne participant plus au programme de microfinance (dropout). Le premier problème est nommé « biais de l’échantillon incomplet » (incomplete sample bias). Ce biais provient du fait que si le groupe des anciens clients est constitué principalement par ceux qui bénéficient de l’intervention, l’évaluation de l’impact du programme sera incomplète car elle n’aura pas tenu compte des situations de ceux qui ne bénéficient pas du programme. Le second problème est nommé « attrition bias ». L’auteur imagine dans ce cas deux groupes de clients : les riches et les pauvres. Si le groupe d’anciens clients est constitué principalement des clients les plus riches, une comparaison avec les nouveaux clients conduira à conclure à l’impact positif de l’intervention sur ses bénéficiaires et ce, même dans le cas où il n’y aura aucun impact réel sur le niveau de vie des clients. Inversement si les clients anciens, restés dans le programme sont les plus pauvres.