Quatrième partie : Modalités collectives d’ajustement de l’offre de l’IMF à la demande des emprunteurs

Introduction

Le succès de la microfinance s’est essentiellement construit sur la capacité des interventions se revendicant de ce mouvement à surmonter les asymétries d’information caractéristiques du marché du crédit et ce dans des contextes où les critères « objectifs » de sélection des emprunteurs mobilisés par le système bancaire dans les pays du nord ne pouvaient êtres appliqués. Cette démarche volontariste pour atteindre des populations jusque-là exclues de l’accès au secteur bancaire s’est appuyée sur des innovations contractuelles visant à réduire les risques de sélection adverse (anti-sélection) ou d’aléa moral en vue d’atteindre des taux de remboursement élevés en l’absence de garantie matérielle. En effet, les réticences des banques du secteur formel à prêter aux populations pauvres tiennent notamment à l’impossibilité d’adossement au prêt d’une garantie matérielle qui pourrait être saisie en cas de défaillance de l’emprunteur.

Le précurseur de cette « nouvelle vague » de la microfinance est le professeur M. Yunus qui, à la fin des années 1970, prend le pari d’offrir des services de crédit à une population démunie majoritairement féminine. Le succès de la Grameen bank (issue de cette initiative du professeur Yunus) s’appuie sur le principe du cautionnement mutuel comme substitut aux garanties matérielles adossées au prêt dans le cadre des pratiques bancaires classiques.

Conjointement au principe de cautionnement solidaire, d’autres innovations contractuelles ont favorisé le succès des dispositifs de microfinance. Au-delà du crédit solidaire, le recours à une variété de mécanismes incitatifs est censé assurer l’atteinte de taux de remboursement élevés gage de la réussite de ces dispositifs [Morduch, 1999 ; Besley, 1995]. Parmi ces mécanismes, l’augmentation régulière du montant prêté basée sur la performance du remboursement des prêts antérieurs représente selon les présupposés théoriques dominants de la microfinance l’une des innovations les plus prometteuses.

Morduch [1999] et Armendariz de Aghion et Morduch [2000] mettent en avant le fait que les dispositifs de microfinance les plus populaires 222 appuient leur intervention sur le mécanisme du progressive lending. Ainsi, la majorité des dispositifs de microfinance initient la relation de prêt en octroyant de faibles montants augmentant graduellement au fil des cycles de crédit en fonction de la capacité de l’emprunteur à rembourser le crédit antérieur. L’intérêt de ce mécanisme réside dans le fait qu’il fournit l’opportunité pour le prêteur de « tester », sur de faibles montants 223 , la capacité ou la prédisposition de l’emprunteur à rembourser son prêt.

L’hypothèse sous-jacente largement véhiculée par les discours sur la microfinance est que face à un niveau élevé de rationnement du crédit, il existe une diversité importante de projets productifs à entreprendre ; par ailleurs, le taux de rendement de ces projets est considéré comme positivement corrélé avec le montant prêté. Ainsi, en théorie, l’emprunteur préfèrera systématiquement emprunter le montant maximal qui lui est proposé par le dispositif de microfinance. Telle est l’hypothèse formulée par la contribution de Marie Godquin [2004]. Cette recherche perpétuelle de montants plus élevés est censée fournir aux institutions de microfinance un moyen de pression efficace pour inciter l’emprunteur à rembourser le crédit 224 , en vue d’accéder à des sommes plus conséquentes.

S’il existe une vaste littérature empirique abordant la question de l’efficacité du mécanisme du progressive lending en termes de performance de remboursement des prêts octroyés par les IMF, peu de contributions s’intéressent cependant à l’évidence des comportements d’emprunts des clients des dispositifs de microfinance.

La contribution de Marc Roesch [2004] illustre pourtant, à partir d’une étude menée en Équateur, que loin de se conformer à l’hypothèse d’une forme d’ « abonnement » au crédit, 60% des clients de l’IMF ne sollicitent qu’un seul crédit et restent inactifs par la suite.

Explorant l’évolution des comportements d’emprunt des clients du dispositif de microfinance étudié, notre analyse nous enseigne qu’au cours des renouvellements du crédit, on observe un décalage croissant entre les montants empruntés par les clients d’une IMF mexicaine et les montants maximums auxquels ces mêmes clients auraient pu prétendre. Ce décalage croissant laisse aussi émerger une hétérogénéité des besoins financiers entre les membres d’un même groupe solidaire (Chapitre 9). Encore une fois, l’action collective s’avère avantageuse pour les emprunteurs dans la mesure où elle leur permet de rendre l’offre de l’IMF adéquate à leurs besoins évalués collectivement. Cependant, en s’inscrivant dans une voie intermédiaire de la dialectique proposée par Hirschman (défection et prise de parole), cette modalité d’action est génératrice d’une forme nouvelle d’asymétrie d’information pour l’IMF (Chapitre 10).

Notes
222.

Ceux que l’on nomme encore « best practices».

223.

À moindre risque donc si l’emprunteur ne rembourse pas la somme prêtée.

224.

En termes d’asymétries d’information, le mécanisme de « progressive lending » permettra donc de réduire conjointement les risques de sélection adverse (adverse selection) et de hasard moral (moral hazard).